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Critique de La Grenadière

Adieu à la mère

 

LA GRENADIÈRE (2006) - Ken Fukazawa et Kôji Fukada

On se demande quand Kôji Fukada recevra le prix d’un des grands festivals de cinéma. Car jusqu’à présent, tout ce qu’il réalise se révèle sensible et brillant. Il faut faire preuve de génie pour s’attaquer à autant de projets différents - rappelons-le une reprise de Rohmer sous l’actualité de Fukushima ; un drame intemporel glacial et familial ; une adaptation d’Oriza Hirata dans un Japon futuriste - et offrir à chaque fois une vraie proposition de cinéma, sensée, réfléchie et passionnante. Ce génie ne cesse de s’imposer de film en film.

La Grenadière n’échappe pas à la règle. Projet commandé par la Toei Animation dans le cadre de ses 50 ans, et inaugurant la forme du Ganime (combinaison d’animation et d’image fixe), le film annonce les prochaines œuvres de Kôji Fukada. Nouvelle piste de cette filmographie décidément éclectique, mais où se maintient le sens de la retenue et la recherche d’une transmission des émotions par le travail lumineux et le rythme poétique.

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Avant de rendre hommage à Rohmer dans Au Revoir l’été, La Grenadière marquait déjà l’attachement de Fukada à la France. Car cette adaptation de la nouvelle de Balzac reste fidèle à la période et aux lieux décrits, et le texte, même traduit en japonais, habite le film comme acteur principal. La voix du récitant traverse les différents tableaux composés par Ken Fukazawa et conte le quotidien de Louis-Gaston, Marie-Gaston et leur mère au coeur de la Touraine. Ce maintien de la voix-off n’a rien de ronflant - alors que dans certaines adaptations de textes classiques, je songe à celles pour la télévision française, il déconstruit le rythme du film et distancie par rapport à l’essence de l’oeuvre d’origine. Ici, la combinaison de l’animation, de la composition musicale et de la voix traduit de judicieux équilibres entre la retenue et l’expression des sentiments, entre les scènes quotidiennes et celles plus intimes, trahissant le douloureux souvenir de la mère comme la menace de la maladie. La subtilité de l’ensemble est du même niveau que la profondeur du style de Balzac, et évite les écueils de l’épanchement, notamment parce que cette voix est capable de maintenir à distance lors d’une confession trop brûlante ; comme de se retirer au bon moment, face à la force d’une image.

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Le travail sur les visages dans les tableaux de Ken Fukazawa joue, de même, sur cette tension entre l’intimité et la retenue. distance entre personnages et intimité du texte. Les visages demeurent dans ce flou et cet estompage propres au peintre, et les quelques rares gros plans du film sont sans cesse parasités par une lumière trop forte, ou le verre dépoli d’une fenêtre. Le visage de la mère, en particulier, est touché par ce vacillement des traits et cette absence de netteté. Le style de Fukazawa présage subtilement la tragédie à venir.

L’ombre du film de Frédéric Back, L’Homme qui plantait les arbres (1987), plane sur les compositions picturales et essentiellement bucoliques de Ken Fukazawa. La traversée des saisons et des mêmes décors indique, juste par l’image, le trajet du temps et la croissance des enfants. De même, la discrétion de l’animation, toujours traduite en reflets, apparitions et disparitions de certaines parties de l’image, rappelle le grand maître canadien. Dans cette expérience du Ganime, les sentiments affleurent par petites couches, au rythme d’une image qui lentement évolue. La succession des positions des deux frères auprès du piano désigne la patiente écoute émerveillée du plaisir musical ; l’esquisse d’un sourire sous le soleil au cours d’une promenade sous les arbres dit la force d’un bonheur éphémère ; et l’effacement d’un profil au profit d’un paysage transcrit la brusque compréhension de la mort.

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L'homme qui plantait les arbres, Frédéric Back

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La Grenadière éclaire au mieux les obsessions et figures de styles du cinéaste japonais. Le medium du texte littéraire et le style du Ganime rendent paradoxalement plus visible ce qui fonde l’essence de son cinéma. Dans La Grenadière, comme dans tous les films qui vont lui succéder, une véritable douceur se développe presque langoureusement dans la douleur. C’est la meurtrissure d’un temps qui passe, fait s’écrouler les figures aimées, fait transformer le paysage de l’enfance.

Bien avant Sayônara, sorti cette année 2017 en salles françaises, La Grenadière porte en outre l’attention sur l’importance de la lumière chez le cinéaste japonais. La scène du décès de la mère fait bien évidemment écho à l’impressionnante disparition du corps de Bryerly Long. A bien des égards, le film annonce Sayônara, par le goût pour la voix récitante, la mélancolie des personnages dans l’attente, la maladie qui ronge dans l’invisible et la lenteur, la persistance des regards à travers les fenêtres… Dans l’adaptation de Balzac, le film atteint son pic de beauté lorsque l’image paraît “s’éteindre” à petit feu comme l’âme, à l’issue d’une longue veillée au bord du lit maternel.

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Sayônara

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