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11ème édition du Festival KINOTAYO

11ème édition du Festival du film contemporain japonais KINOTAYO

 

Pour la première fois depuis mes six années d’existence sur Paris, je pus enfin profiter pleinement du festival Kinotayo. Peut-être eus-je de la chance dans les coïncidences de mon planning personnel car le mois fut libéré pour une édition riche en film-fleuves nécessitant du temps. Car, n’oublions pas de le souligner, le suivi de festival est un travail aussi éreintant qu’intense, malgré l’idée préconçue que voir des films tiendrait plus du passe-temps sympathique.

Les cartes de l’expérience cinématographique furent rebattues au cours du festival, et ce fut tant mieux pour la qualité des films projetés, leur capacité à jouer des variations de rythme et des entrelacements des temps, objectifs et subjectifs, passé, présent et futur. En ce sens, le plus remarquable fut Happy Hour, extraordinaire plongée dans les réflexions et les relations d’un groupe de quatre femmes japonaises. Un chamboulement au cours de 5 douces heures et 20 minutes qui se verront offrir un article-fleuve à part… Entretemps, retour sur cinq films présentés cette année au festival.

THREE STORIES OF LOVE (KOIBITOTACHI) - Ryosuke Hashiguchi

J’ai découvert Three Stories of Love juste après Destruction Babies. Je pensais, naïvement, qu’à un film au titre aussi violent (et en outre interdit aux mineurs au Japon) se devait d’être suivi d’amour… Néanmoins, le long-métrage de Ryosuke Hashiguchi ne parlait pas tant d’amour que de désillusions, frustrations et séparations !

Par son intention, Three Stories of Love rappelle beaucoup Universalove, qui avait tourné en festival il y a une petite dizaine d’années. Dans les deux cas, il s’agissait de croiser les histoires pour faire interagir plusieurs facettes d’un amour déçu, souvent du fait de constructions socio-culturelles qui séparaient les personnages.

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Un certain déséquilibre dans le traitement des histoires est à noter dans ce film japonais. L’arc dédié au personnage homosexuel a, assez injustement, une place beaucoup moins présente que les deux autres. Il était pourtant de loin le plus intéressant et le plus osé, car il aborde la question de l’homophobie ordinaire. Car c’est un geste innocent et quelconque, de quelques secondes, qui va semer le trouble et la violence de son interprétation. La perte de l’amour est ici plus liée au rejet d’une identité sexuelle et à une méfiance fondée uniquement sur des a priori. Ce qui est intéressant, c’est que le film présente un personnage relativement ordinaire, qui soulève peu la sympathie. De fait, le récit se situe plus dans l’analyse et l’observation de l’injustice, une injustice qui sera cruellement diluée par un coup de téléphone. Cependant, contrairement aux deux autres histoires, celle-ci ne trouve pas de résolution, et abandonne son personnage dans le désespoir et la solitude.

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Parallèlement, les deux autres récits, pas inintéressants, sont marqués par des longueurs, des scènes inutiles et des éléments évasifs. Une femme japonaise de classe moyenne, enlisée dans un quotidien sans éclats, se rêve princesse le temps d’une aventure avec un escroc ; un homme, qui a lui perdu l’amour de sa vie, tente de faire son deuil et de trouver justice. Ryosuke Hashiguchi s’intéresse plus aux désirs ordinaires, à la lâcheté des uns et des autres au quotidien. Le film serait honorable s’il adoptait une certaine pudeur, ou délicatesse, à l’égard de ses personnages. Malheureusement, sa mise en scène, désordonnée et intrusive, rend le film difficilement appréciable.




DESTRUCTION BABIES - Tetsuya Mariko

Très remarqué en festival, Destruction Babies est un film inégal, ce qui est fort dommage. L’idée de départ et le travail de mise en scène sont remarquables sur le premier tiers. Malheureusement, les détours du scénario gâchent inutilement l’ensemble en voulant lui apporter une épaisseur inutile, une dramatisation en trop. L’entrée en scène de certains personnages secondaires, comme le petit frère ou la jeune kleptomane, n’aident guère le récit à décoller, et le freine dans ses tentatives horrifiques. Toute la partie du cheminement en voiture, où les trois jeunes sont en cavale, trouve ainsi un aboutissement grotesque qui aurait pu être évité. Tetsuya Mariko a ainsi un peu de mal à dénouer ce qu’il est parvenu à instaurer de puissant dans sa première partie.

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Durant celle-ci, le cinéaste impose une vision puissante, car fondée avant tout sur la sensation, de la délinquance juvénile. Pas d’origine à la violence dont fait preuve Taira, qui s’attaque sans raison à tous ceux qu’il croise, et semble rechercher un certain plaisir masochiste à recevoir des coups en retour. Cette violence n’est jamais montrée comme une réaction, mais bien plus comme un comportement participant de la construction du personnage, comme une caractéristique fondamentale de son être. La terreur du film se fonde sur cette différence et ce qu’elle engendre de brut à l’écran. En cela, la performance de Yûya Yagiru (le jeune héros de Nobody Knows, il y a une petite dizaine d’années...) dégage la monstruosité adéquate : l’acteur a forci, et mise sur le corporel, le chorégraphique et l’animal. Plus troublant, il assimile à la fois la virilité féline d’un Bruce Lee et la robotique d’un zombie.

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Car, effectivement, les éclats de tabassage, et les conséquences de la longue errance de Taira dans cette ville du Sud, sont filmés à la manière d’une contamination. Inlassablement, le garçon se relève dans les allées sombres, malgré le sang qui coule et les dents cassés, et réattaque de nouveau tel un zombie indifférent aux souffrances de son corps. Puis, dans la logique du film de zombie, le personnage entraîne dans son sillage d’autres comportements similaires. Dans cette logique, le film articule aussi un discours sur la violence autant que son spectacle, sa tendance médiatique. La caméra se met souvent dans cet espace d’observation, à distance des gestes de violence, des raclées à terre ou du tabassage semblant ne jamais s’arrêter. Cet espace dans lequel se trouvent des citadins inactifs, sous le choc ou même filmant l’acte sans intervenir... La mise en scène de ces réactions se retrouve aussi dans de récents films sud-coréens - I Came from Busan (Jeon Soo-il), où l’héroïne observait sans bouger un professeur se faire harceler par ses étudiants ; ou Veteran (Ryoo Seung-wan) avec un règlement de compte final sous les yeux ébahis d’une foule citadine. Cette dénonciation du comportement spectatoriel dans la ville moderne ne laisse pas indifférent.

 

 

OYSTER FACTORY (KAKI KOUBA) - Kazuhiro Soda

Après Senkyo 2, vu il y a quelques années au festival Cinéma du Réel, je découvre un nouveau documentaire de Kazuhiro Soda. Moins cinglant que son autopsie d’une politique locale, le film présente quelques longueurs et un petit souci de construction. L’immersion du cinéaste au sein d’Ushimado prend des formes différentes, entre le portrait portuaire, le portrait de l’usine d’huîtres, le journal personnel en bord de mer, et même le cheminement d’un chat blanc qui se balade de maison en maison… L’exercice d’équilibriste entre les différentes facettes du documentaire ne convainc pas toujours.

Le style de Kazuhiro Soda est proche de celui d’un Frederick Wiseman dans sa patiente captation, mais aussi organisation, des éléments filmés. L’entrée dans le film est en ce sens admirable puisque plongeant progressivement au plus près de cette oestréiculture locale. Les sons des coques qui s’entrechoquent, déversées sur le bateau, puis sur les plans de travail de ceux qui décortiquent, hantent longuement les oreilles. Les gestes, quant à eux, captivent, par ces mains de jeunes ou vieilles femmes qui enlèvent voluptueusement les mollusques de leur prison. Cette concentration sur les activités perd de sa force lorsque le film s’écarte de l’usine pour filmer çà et là la ville dans son ensemble.

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Si le film déploie quelques longueurs, c’est néanmoins pour rendre compte de la difficulté à atteindre les interrogations des personnes filmées. Dans la petite manufacture où l’on pêche, puis décortique, des centaines d’huîtres sous un rythme soutenu, la parole personnelle se libère difficilement. Atteindre quelques confessions, ou quelques critiques, relève de l’exercice progressif et subtil. C’est au bout de plusieurs séjours en mer que le cinéaste parvient à arracher quelques mots sur les travailleurs immigrés chinois qui débarquent plusieurs fois par an au sein de l’usine. Dans l’attitude réservée de certains pêcheurs se comprend le côté un peu illégal de cette immigration ; mais se fait aussi témoignage d’une culture en voie de disparition, faute d’une jeune relève japonaise. De même, la mention de Fukushima, et du danger des radiations sur les cultures, surgit dans de courtes conversations, fantôme pesant qui impose parfois le silence.

Autre parole légèrement différente des récits des pêcheurs, c’est celle des femmes. Leur place est relativement singulière : éloignées des bateaux, elles sont autant décortiqueuses essentielles que des mères de foyer. Le cinéaste leur redonne une présence, notamment lorsqu’il discute longuement avec l’une d’entre elle qui prépare le repas pour son baraqué de mari.

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Enfin, Oyster Factory se clôt sur un dernier tiers fort passionnant, avec l’arrivée de deux nouveaux travailleurs chinois. Durant toute la première heure, le cinéaste avait filmé le point de vue des Japonais sur leur travailleurs immigrés. Se ressentait leur déception ou leur confiance vis à vis de certains, mais aussi le manque d’une réelle relation. Dans ce second temps, Kazuhiro Soda rééquilibre intelligemment les points de vue. Il montre des pêcheurs tour-à-tour curieux et attentionnés à l’égard de leur nouvelle main d’oeuvre, mais aussi un peu méfiants. Il s’approche aussi des Chinois, même s’il ne comprend pas leur langue, et capte leur ressenti et leurs réactions, entre amusement et incompréhension. Ainsi, un long gag autour de la corde du bateau, avec laquelle les deux nouveaux ne savent pas quoi faire, puisqu’ils ne comprennent pas les ordres du pêcheur japonais, dit tout de la complexité de la situation.



BANGKOK NITES - Katsuya Tomita

Film tentaculaire de 3h, avec ses imperfections et ses moments de beauté, Bangkok Nites intrigue par son croisement d’intrigues, de tentatives, de renversement des points de vue. Son jeune réalisateur Katsuya Tomita nous familiarise très vite avec le milieu de la prostitution thaïlandaise, dont il partage l’imaginaire. Pour le cinéaste, la réalisation du film, cela se perçoit, se fonde d'abord sur la rencontre humaine avec ses personnages, dont il fait partager les réflexions, les souvenirs, le vécu… Katsuya Tomita se place du côté des prostituées, qu’il accompagne d’un regard tendre ; et de celui des macs, qu’il décrit avec plus de cynisme, de moquerie.

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Plus précisément, il s’est concentré sur le quartier visité par les touristes nippons. Ceux-ci, alpagués dans la rue par des Japonais immigrés et venus là pour faire commerce, sont conduits face à un large choix de prostituées qui scandent joyeusement “konnichiwa !”, “irrashyamase !”. La mise en scène est déjà là, dans cet accueil des clients, par le positionnement des femmes, qui attendent assises dans le noir, dans une sorte de vitrine ; et s’en dégage l’absurdité commerciale où les Thaïlandaises sont objectivées d’emblée, et mises en avant comme la combinaison idéale entre l’exotisme et la sex idol nipponne. L’effroi se mêle d’absurde face à la parade mise en place, et qui va jusqu’à des prostituées habillées comme des pop idol et accompagnées de fétiches kawai pour satisfaire les fantasmes des otakus. L’acidité du film transparaît dans les commentaires des prostituées qui, tout en se soumettant aux demandes, jacassent pour critiquer l’excentricité de tel ou tel client, l’avarice ou la méchanceté d’un autre. Mais cette parade, dont le clinquant se suffit à lui-même, ne constitue que de brefs moments de Bangkok Nites. Car Katsuya Tomita s’intéresse plus aux confessions dans les couloirs et les chambres, ou aux jours de congé des jeunes filles. Il montre avec beaucoup de tendresse leur complicité, leur passager attachement à certains clients ou copains oublié, et leurs envies d’évolution. Les nuits de ce Bangkok ne sont ainsi guère celles des fêtes et des actes sexuels, entrevus ponctuellement ; mais plus celles des discussions, des réflexions et des rêveries de ce milieu. Certains Japonais se rêvent entrepreneurs de palaces pour touristes, élaborent des stratégies pour profiter de la masse touristique venue voir les “filles de Bangkok”. Mais dans ces réunions de gars se perçoit l’errance de ceux qui ne se retrouvent plus dans leur propre pays.

La superposition des cultures et des temps est fort intéressante. D’un côté, c’est le Japon qui s’entrechoque avec la Thaïlande, de l’autre c’est le temps contemporain des petits trafics en tout genre, du fric qui abonde, face à celui militaire, sauvage et étrange des guerres lointaines.  

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La confrontation entre les deux cultures passe par celle entre les langues : les dialogues se construisent, admirablement, sur un mélange constant entre japonais et thaï. Le film, très bavard, laisse surgir cette sensation de familiarité avec ses dialectes étrangers : son imaginaire ne se construit donc pas que par les nuits dans les bars ou les champs, mais aussi par sa densité sonore, où les expressions se heurtent, se lient et se complètent - et rajoutons à ce joyeux entremêlement vocal l’anglais, voire le français d’un acteur qui joue (très mal) l’homme ivre ! Cette omniprésence des langues dit beaucoup de l’intention de partage de son réalisateur, et du plaisir à dynamiser la fiction par des dialogues glissant entre thaï et japonais, entre jeux de mots, réelles confessions et mensonges taquins. En outre, l’histoire d’amour entre l’héroïne Luck (Subenja Pongkorn) et son ancien client Ozawa (Katsuya Tomita) est celle d’un rééquilibre d’une culture à l’autre, d’une transmission dans les deux sens. Le Japonais se rend dans la campagne et rencontre la famille de Luck. Un autre pan du film s’ouvre, plus mélancolique et touchant, sur la ruralité de ce pays, sur ses fantômes religieux et ses rituels croyants.

Le second entremêlement du film est plus complexe, voire parfois maladroit. Katsuya Tomita crypte, par le changement de certaines scènes, par l’arrivée de certaines textures nouvelles dans son images, ses plans d’allusions aux militarisme qui a agité l’Asie sur le dernier tiers du 20ème siècle. Passé surtout viril, qui ravive chez ses personnages masculins des postures de guerriers, des relations de soldat à sergent, et le souvenir de la conquête exotique. Les expérimentations au montage dans ce cadre ne convainquent pas toujours mais elle témoigne d’une réelle richesse de Bangkok Nites et de la construction d’un ensemble où se lient et se délient, entre métaphores, fiction et documentaire, les réflexions et les constats de Katsuya Tomita. Matière dense qui est ainsi parfois brillante dans ses idées - la scène où la caméra survole, accompagnée de retentissantes explosions, les cratères d’obus laissés dans le paysage, reste impressionnante par la fugitive critique qu’elle déploie sur la marque durable de la guerre - mais parfois difficile à saisir. En cela, la partie avec les rapeurs qu'Ozawa rencontre ouvre une piste inattendue, qu'il n'est pas aisée d'appréhender.


Enfin, celle qui règne dans Bangkok Nites, c’est évidemment Subenja Pongkorn, qui interprète Luck, la plus populaire du groupe de prostituées. Car l’ultime aspect de ce long-métrage tentaculaire se forge dans le portrait de femme. Le personnage cristallise à la fois la fierté de celle qui a tout conquis, en dépit de l’écrasement misogyne régnant, et la tristesse de celle qui recherche une stabilité et un véritable sens à son chemin. Cette ambivalence de Luck se révèle poignante, d’un bout à l’autre du film.

 

 

SAYONARA - Kôji Fukada

Il faudra revenir sur Sayonara, lors de sa sortie au printemps prochain. De film en film, le cinéaste progresse et évolue vers des sommets originaux, des prises de risque audacieuses et surtout une exigence qui ne cesse de se renouveler. Avec cette adaptation de la pièce d’Oriza Hirata, Fukada s’impose clairement comme l’un des jeunes cinéastes les plus importants de la décennie. Car Sayonara impressionne par sa maturité et ses audaces autant narratives que formelles.

cinema japonais,kinotayo,festival du film contemporain japonais,festival,three stories of love,destruction babies,oyster factory,kazuhiro soda,bangkok nites,katsuya tomita,sayonara,koji fukada Après Rohmer (Au revoir l’été), après Kurosawa (Kiyoshi - Harmonium), ce nouveau film de Kôji Fukada fait maintenant songer à Tarkovski et Dreyer. Ambitieux, le réalisateur ? Pourtant, ces rappels n’entament en rien la singularité d’un regard et la persistance de certaines thèmes. L’idée du délitement personnel, en particulier, semble intéresser Kôji Fukada depuis le début. Ses personnages sont souvent soumis à la perte involontaire de leurs illusions, du contrôle de leur vie familiale, ou, comme c’est le cas ici, de leur propre corps et volonté de vivre. Touchée par une maladie étrange, Tania (Bryerly Long) passe ses derniers jours en compagnie de son androïde familial, Leona (la superbe actrice-robot Geminoid F !). Dehors, le Japon, suite à plusieurs attaques nucléaires, doit évacuer peu à peu ses habitants. Déjà, par cette situation, le film frappe par son discours sur des thématiques bien contemporaines : le nucléaire, certes, mais aussi l’évacuation qui se fonde sur des critères inconnus. Car le cas d’immigrés comme Tania pose problème à son départ et à sa vie conjugale avec un Japonais. Par les quelques portraits du film et ce thème sous-jacent de l’immigration, Sayonara en dit bien plus que tout autre film de science-fiction actuelle.

 

La perte de vie et d’énergie physique de Tania fait écho à la violence insidieuse de l’environnement et du danger, invisible, des radiations. Kôji Fukada  dirige son actrice selon un choix curieux, et audacieux, qui peut perturber quant au déroulement du film : il en fait une femme dénuée d’expressions et d’intonations - particulièrement pour prononcer le japonais - presque en miroir de son robot Leona. Très vite, c’est même Leona qui crée le plus l’empathie, par les poèmes qu’elle récite pour endormir Tania. Pour un temps, les deux femmes se ressemblent, comme deux jumelles face à la désagrégation du Japon, réunies par la poésie et l’ultime voyelle de leur prénom. La dernière partie de Sayonara sonne de fait comme un adieu marquée par la différence des natures (robot / humain), entre celle qui ne peut pas vieillir et celle qui se laisse atteindre par le temps. La rupture dans cette ressemblance momentanée agit presque comme une rupture amoureuse, et se révèle déchirante jusqu’à la fin du film.

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La peinture de l’apocalypse et d’un monde d’après la catastrophe a rarement été aussi bouleversante sur grand écran. Règnent le calme campagnard, la douceur des rayons de soleil, la tendresse des pluies torrentielles, le ronronnement d’un robot attentif. Il se dégage une logique presque divine, dans le sens d’une immanence éblouissante de tous les instants, dans les quelques scènes qui égrènent la fuite du temps et la disparition des êtres humains. Des insectes qui remontent à la surface brillante d’un aquarium, quelques Japonais qui brûlent des  objets en pleine campagne, entre les tiges de blé, les flammes d’une révolution désespérée. La maîtrise stylistique et rythmique du cinéaste montre le visage d’une nouvelle manière de penser le temps et l’espace : c’est la fuite des éléments qui s’organise dans l’invisible et la lenteur, par les déplacements subtils de lumière le long des angles du décor, par la fusion des fondus enchaînés qui efface les coupes entre les plans. Une fois sorti de la projection de Sayonara, ce n’est pas l’impression d’avoir vécu une ou deux heures de fiction qui s’impose, mais bel et bien la sensation d’avoir traversé un espace-temps indéfini dans une désolation qui, peut-être, pourrait changer.

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