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Critique de Your Name

Une mémoire réconfortante

 

YOUR NAME (KIMI NO NA WA) - Makoto Shinkai

La nouvelle réalisation de Makoto Shinkai est réussie, l’animation est maintenant complète et fidèle au souhait du cinéaste, l’équilibre entre les différents genres est élégant, le récit fort en idées. Cependant, Your Name reste très loin des éclats peut-être plus ambitieux, et assurément plus intenses, de son précédent film Le Jardin des mots, jamais sorti en salles françaises. Le ton y était plus personnel, les choix de réalisation plus audacieux et affirmés, et l’ensemble, hormis un final qui ne m’avait guère emballée, sublime. Avec Your Name, Shinkai reste fidèle à lui-même, conclut même une boucle en renvoyant à son premier long La Tour au-delà des nuages. Rien d’étonnant à ce que surgissent une prédominance du ciel, une symbolique de la destinée, un romantisme des rencontres hasardeuses, une science-fiction de l’intime... Mais après ? Le Jardin des mots semblait dessiner une route nouvelle, plus versée dans la discrétion, moins dans l’épique et le monumental. Or Your Name contraste avec cette délicatesse du précédent, ramène de gros sabots tantôt efficaces, tantôt lourds de sens.

La première partie du film joue sur une corde bien classique du shojo, à savoir cet échange de corps qui crée quiproquos et comique de situation. Sur ce point, la piste est intéressante par les petits mouvements transgenres que l’animation propose : la jeune fille se palpe longuement les seins comme elle se masturberait le matin ; le garçon prend des poses efféminées et coud de mignons motifs ; et l’un comme l’autre éveillent le désir chez leurs camarades. Sans oublier la formidable ambiguïté du doublage - rappelant combien les seiyuus, les doubleurs japonais, sont décidément passés maîtres en la matière de la suggestion, par leurs glissements de tons et leur souplesse vocale. Ryūnosuke Kamiki (Taki) prend ainsi à donner de la voix haut perchée, tandis que Mone Kamishiraishi (Mitsuha) adopte des tonalités graves et rugueuses très amusantes.

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L’ambiguïté est cependant non nouvelle, mais elle a tendance à nourrir en grande partie les productions manga de type shojo ou josei, donnant naissance à ce sous-genre du gender bender. Les récits de travestissements ou de métamorphoses sont ainsi nombreux depuis les années 2000, mais certains prémisses étaient trouvables chez la Lady Oscar de Riyoko Ikeda ou encore dans les oeuvres de Moto Hagio en 1970. Les exemples sont très nombreux dans le domaine du manga, car le secret et la suggestion peuvent trouver une place entre les cases, les changements de pages, ou dans la dilution opérée au chapitrage. Les styles graphiques sont souvent ceux qui jouent de l’androgynie des silhouettes et de l’humour des quiproquos pour mieux éveiller sur les questions de masculinité / féminité. Cette capacité à brouiller le genre est souvent plus difficile à trouver sur le petit autant que sur le grand écran japonais. La représentation libérée a même reculé à ce niveau et Your Name permet au moins d’intégrer ce thème dans le cadre d’une production grand public. Le film de Shinkai avance prudemment les choses à ce point, mais le fait avec la légèreté nécessaire. S’il est une dimension dans laquelle le cinéaste est passé maître, c’est dans cette gestion d’un montage rythmique, où se lient par intermittence l’évolution émotionnelle intime et les refrains du quotidien : se réveiller, déjeuner en famille, prendre le métro ou le vélo, aller en cours, faire ses devoirs et s’amuser avec ses camarades… Ce rythme induit maintenant le basculement des corps féminins et masculins, et le premier éveil des jeunes adolescents face à cette question du genre.

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Ceci dit, la caractérisation peu singulière des personnages rend parfois cette ambiguïté lourdingue : le garçon comme la fille semblent concentrer le maximum de clichés adolescents avec d’un côté celui rustre qui aime se bagarrer, de l’autre celle qui aime déguster des douceurs et s’adonner à des postures embarrassées. Les deux personnages se révèlent relativement lisses et leur aventure trans-corporelle-temporelle extraordinaire ne suffit pas pour les fonder en tant qu’entités émouvantes et singulières. L’absence de personnalité dans leur écriture finit même par se situer à contre-courant des intentions déployées dans ces travestissements et substitutions de corps masculins / féminins chéris dans le shojo et le josei. Car au lieu de faire parade aux stéréotypes du genre, cette succession de comportements finit par les renforcer !

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Le second aspect que Makoto Shinkai tente de développer dans son dernier film est une confusion dans la succession des genres : du shojo aimant les actions de travestissement au drame intertemporel, puis au film d’action pour se conclure sur le film romantique… La révélation de la distance temporelle, qui fonde le second temps du film, est bien menée car on ne la soupçonne pas durant la première partie où les corps s’échangent. Mais de nombreuses longueurs sont présentes, notamment dans le chassé-croisé romantique urbain répété. La densité des genres est en outre entamée par des baisses de rythme, et des détails un peu inutiles, comme ceux relatifs aux camarades de classe ou collègues de Taki et Mitsuha.

A mon sens, l’ambition déployée par Makoto Shinkai ne trouve peut-être pas son accomplissement dans un grossissement du récit et une multiplication des thématiques. Le désir de densité émotionnelle, narrative et rythmique rappelle celui de Mamoru Hosoda pour Le Garçon et la Bête, où, de même, l’emphase du récit et la tentative de multiplier les pistes de réflexion manquaient, dans le fond, singulièrement de personnalité et de profondeur. Or, l’ambition, du moins chez Shinkai, devient plus intéressante dès qu’elle se concentre sur son développement esthétique. En cela, 5 centimètres par seconde, puis Le Jardin des mots étaient de vraies percées. Ils tentaient des approches différentes, par exemple dans le traitement du ciel, le rapport au flou et au net dans la perception d’un visage aimé ; ou bien perfectionnaient le sens d’un montage rythmique urbain en lien avec les désirs, la marque de Shinkai. En comparaison, force est de constater que Your Name, en dépit de l’agréable réalisation, reste sage dans ses propositions visuelles. Les rares moments d’éclat se font reflets copiés de climax déjà proposés : ainsi la rencontre au bord du cratère renvoie à celle dans la chambre d’hôpital dans La Tour au-delà des nuages, avec le même jeu de communication par la voix, la même rencontre par intermittence, brouillée par les dimensions parallèles.

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Evidemment, au cours de la projection, les fantômes des catastrophes vécues par le Japon s’imposent à l’esprit. La révélation du village détruit de Mitsuha s’ancre dans cet espace des oeuvres traitant de la dévastation, du contrecoup subi par le soulèvement de la terre et du ciel. L’ombre de Fukushima plane incontestablement, et Kimi no na wa appartient à ces récentes réalisations japonaises qui en drainent le ressenti - ainsi, Sayonara (Kôji Fukada), bientôt en salles chez nous, se nourrit aussi de ce fantôme. Sans prétendre à rallier absolument Fukushima à Kimi no na wa, il est clair que son stigmate est présent et dirige la recherche émotionnelle du film de Shinkai. En ce sens, le succès explosif au Japon peut se comprendre en partie par ce que le film dégage de réconfortant face à la catastrophe et l’annihilation. Car l’histoire de Mitsuha et Taki condense la violence du chagrin tout en y faisant rempart.

Très vite, l’un comme l’autre des adolescents cristallise des espaces japonais plus larges : Mitsuha pour le village disparu, témoin d’un patrimoine et de coutumes anciennes ; Taki pour la capitale quasi sans mémoire, portée par l’immédiateté, le temps présent. En cela, le manque de personnalité des deux personnages peut aussi s’expliquer par ce désir de les ériger en représentants de deux types de population. L’obsession du nom est là - le titre original, Kimi no na wa, étant une abréviation de Kimi no namae wa (quel est ton nom ?). Plus que le nom, c’est l’idée de la mémoire que martèle le cinéaste, par l’angoisse d’oublier le nom de Mitsuha - et ainsi son village.

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La rencontre de Mitsuha et Taki insiste sur l’importance de la solidarité et du maintien d’une mémoire à transmettre. En outre, l’amour des deux jeunes s’impose comme antidote à la dévastation totale. Cela, Shinkai le souligne symboliquement, par l’appui des jeux de regards adolescents au bord d’un cratère hanté par la violence du passé. L’association entre le souvenir traumatique, témoin d’une histoire plus vaste, et la fiction romantique de jeunesse est la seconde audace intéressante du film, et néanmoins pas nouvelle chez le cinéaste. Celui a aimé les grands écarts entre l’intime et le catastrophisme plus vaste, incluant parfois des schémas géopolitiques ou des suppositions fantastiques. Le choix de Shinkai dans Kimi no na wa réaffirme cette singularité qui lui est propre ; mais rappelle aussi une récente production SF hollywoodienne. La science-fiction intime ne cesse en effet de revenir depuis Interstellar et Premier Contact.

Néanmoins, cette connexion entre intime et universel, entre sentimentalisme et entreprise spatio-temporelle, a toujours, et c’est définitivement encore le cas, entraîné une surenchère souvent maladroite chez le réalisateur japonais. Ce dernier en appelle à ses figures de style parfois pompeuses et sans subtilité : rythmique aérée et aérienne ; symbolisme classique avec le bracelet qui encapsule les liens tissés du temps ; interprétation du sublime dans sa beauté autant que son catastrophisme… La manière qu’a le cinéaste d’effectuer son grand écart finit par embarrasser dans le contexte de cette histoire et de cette mémoire traumatique. Tous les moyens sont bons pour incarner la catastrophe comme la “beauté du moment”, comme une “fatalité” nécessaire à la naissance du sentiment et de l’espoir. La gêne est atteinte lors du fameux moment de rupture entre les deux dimensions, à l’arrivée de la comète. L’éclatement musical, souvent frein à la subtilité et moteur d’une exacerbation grotesque, se fait rempart à la réelle tragédie du moment. Par ces effets dont il ne se débarrasse pas de film en film, Makoto Shinkai s'enlise dans un romantisme facile et suranné, et, pour le cas de Kimi no wa wa, carrément complaisant. Il n’y a guère qu’un seul moment où le cinéaste respecte la tragédie de ses personnages, c’est lorsque Mitsuha disparaît brusquement au bord du cratère, en plein milieu de l’écriture de son nom. Le moment pour d’angoisse, par la rupture visuelle et sonore,  s’éloigne enfin de ce continuum musical envahissant. C’est cela, le silence soudain permet de révéler l’évidence de la solitude et le vertige de la disparition pour Taki. Mais, pour incarner son apologie de la mémoire et son désir des retrouvailles, Kimi no wa wa manque singulièrement de contemplation, de silence, de ces moments où deux silhouettes n’ont besoin que de se regarder pour se comprendre.



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Pour se réfugier dans un rapport plus subtil et profond à la dévastation, les Jets de poèmes dans le vif de Fukushima, récemment traduits chez l’édition Erès, sont à lire. Ces tweets de Ryoichi Wago durant les jours qui ont suivi la catastrophe aménage un espace virtuel pour les douloureux sentiments, mais aussi la possible création poétique.

Commentaires

  • Très belle critique du film, même si je la trouve un peu sévère ! Finalement, ce qui plaît dans ce film, ce n'est peut-être pas les propositions nouvelles de Shinkai (si tu en trouves), mais justement la force d'une narration qui a déjà porté ses fruits. Après, je n'ai pas vu ses autres films mis à part le tout premier. Your Name est certes moins osé que La Tour au delà des nuages, mais l'histoire y est mieux ficelé (ah tiens, on retrouve le terme de "fil"). Je suis également d'accord qu'il y ait des moments un peu trop appuyés et lourds, mais c'est tellement beau de voir la réunion de deux êtres qui se cherchent à la toute fin !!

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