Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Le Garçon et la bête
Bête de substitution
LE GARÇON ET LA BETE (BAKEMONO NO KO) – Mamoru Hosoda
Le Garçon et la Bête part malheureusement d'un handicap, celui-là même qui ternissait Ame et Yuki : l'évidente inspiration trouvée chez Ghibli pour les premiers pas de son récit, forçant le parallèle. L'idée première du nouveau film d'Hosoda renvoie directement au Voyage de Chihiro, par sa logique d'un jeune héros fragile propulsé dans un monde plus monstrueux, glissé en marge des ruelles sombres. Fort heureusement, la comparaison se limite rapidement à ces quelques motifs, puisque Le Garçon et la Bête rejoint une fantaisie burlesque plus proche de celle déployée sur Summer Wars. Le film, tout en peaufinant les thèmes et les jeux esthétiques chers à Hosoda, indique néanmoins une certaine vanité de son cinéma : la simplification extrême de son propos et de ses émotions dirige l'apparente ambition du projet vers un film d'animation finalement très limité.
Le Garçon et la bête serait ainsi un échec, celui de l'évolution de Mamoru Hosoda dans sa filmographie. Summer Wars, succédant à la douce Traversée du temps, avait éclaté d'imagination par son intelligente imbrication d'un phénomène médiatique dans un récit plus classique d'action et de sauvetage du monde. Ame et Yuki, lui, s'était frotté à une pente certes plus ambitieuse, celle d'un fantastique ruisselant d'émotions, malheureusement parfois gagné par un sentimental agaçant. Si la finesse se perdait dans le film, Hosoda indiquait cependant certaines pistes inattendues, tel l'affrontement entre frère et sœur, et l'isolement affectif de l'un ou de l'autre. Des ouvertures bienvenues, et audacieux risques parmi le burlesque animé auquel il avait habitué dans ses deux premières réalisations. Le Garçon et la bête poursuit ces retranchements et tente de combiner, à la fois la folie vertigineuse de Summer Wars, à la fois l'ambition d'une trajectoire de vie similaire à celle des enfants-loups. Mais il échoue, d'une part parce que l'ambition graphique s'éparpille, demeure inégal. Ensuite, parce que l'évolution du personnage, si elle est palpable, n'aboutit pas à la finesse, encore moins à l'émotion, et que tous les éléments devant contribuer à sa construction, ne sont, au final, que des propositions baladées sans grande conviction. La dernière partie du film, du duel dans le stade jusqu'à l'affrontement dans Tokyo subit ainsi le dégonflement de précédentes touches émotionnelles bien plus subtiles par une résolution aisément manichéenne. De même, les promesses esthétiques demeurent difficiles à cerner. La bataille entre les deux candidats au rang de seigneur reste au final peu épique, en dépit de tout le suspense auparavant érigé et du monumental du lieu de l'affrontement.
Les oeuvres de Ghibli ont nécessairement imprégné Hosoda. Les traces de Mononoke-Hime et de Mon Voisin Totoro, voire de Souvenirs goutte-à-goutte, étaient plus que visibles dans Ame et Yuki, par exemple sur l'approche d'une nature fertile, rendue vivifiante par l'animation, et évidemment la dialectique enfance / animalité. Ici, les traces du Voyage de Chihiro balisent l'ouverture du film. Ce petit garçon abandonné au beau milieu d'un Tokyo bruyant, découvrant, par d'étranges ruelles, le monde des bêtes, est le pendant masculin de la jeune Chihiro propulsée dans le dédale des ombres et des créatures terrifiantes, séjours qui sont, pour les deux, une représentation concrète et métaphorique d'angoisses enfantines en même temps qu'un moyen d'échapper . Par ailleurs, l'épopée de Kyûta tient du Max et les Maximonstres, là où celle de Chihiro prenait le chemin d'Alice... Les bakemonos, les bêtes qui accompagnent le jeune garçon lui permettent de s'affirmer et de forger son identité pour pouvoir revenir par la suite au monde des hommes. Mais le rapprochement à Ghibli se situe également dans l'ambition d'Hosoda d'atteindre le fantastique mystique et le goût d'un émotionnel spectaculaire propres à Miyazaki. Ce désir, déjà trop prégnant à Ame et Yuki, gâche certaines parties du film, et Hosoda semble hésiter à perfectionner le style dans lequel il excelle, à savoir celui du burlesque et du fantaisiste éclatant.
Ceux-ci sont bien évidemment présents. Le premier quart du film, qui agence la relation de l'enfant révolté à la bête paresseuse qui souhaite en faire son disciple, dresse avec joliesse les jeux de dispute entre les deux. Beaucoup de petits effets visuels viennent construire un burlesque visuel et sonore tout en signalant la progression d'un rapport père/fils en plein échafaudage. Ainsi, l'imitation spontanée entreprise par Kyûta, reprenant à l'exact chaque de sa bâte, y compris les plus anodins et grotesques, crée un humour tendre et spontané, faisant même songer à ces frères se recopiant l'un l'autre dans Gosses de Tokyo ou Bonjour d'Ozu. Si le lien filial surgit, c'est bel et bien parce qu'Hosoda appuie la ressemblance entre les deux personnages, pourtant a priori éloignés dans leurs formes, antithétiques à souhait. Mais leurs mouvements finissent par se ressembler, et dès lors s'affronter dans les entraînements, avec à l'appui les commentaires moqueurs, ironiques, ou attendris de quelques autres bakemono à leurs côtés. Ces scènes rapprochent Hosoda d'un registre « populaire » dans lequel il excelle. Sa facilité à s'appuyer sur des ressorts comiques propres à la production animée actuelle lui permet de créer le dynamisme dans son film et dès lors d'amener avec légèreté des questions plus profondes, comme la paternité, ou encore de justifier aisément l'ellipse temporelle sur cette première partie. Les expressions et les traits à outrance, les jeux de contrastes, les rythmes sans cesse cassés par les colères et les brisures de chaque donnée sérieuse lancent ainsi le film sur un mode pétillant et divertissant.
Néanmoins, le cinéaste paraît se « freiner » dans les proportions offertes par son sujet. Le monde parallèle ne paraît guère si monstrueux, et les bêtes, par leur anthropomorphisme léger, deviennent vite personnages aisément attachants, voire carrément avoisinantes de personnages typiques en animation. Les deux compères qui observent le maître et son élève en bataille, aux allures de singe ou de cochon, correspondent ainsi à des stéréotypes du shounen comiques, respectivement figures du grand blagueur et du sage dépité qui commente les pitreries des autres. En outre, les moments d'exploits graphiques, comme le pèlerinage auprès des grandes divinités, sont rares et rapidement proposés. Un tel amoindrissement et balayage des possibilités déçoit quelque peu, surtout face à l'énergie qui avait été déployée dans Summer Wars, avec cet éclatement fantastique dans la représentation d'une plateforme virtuelle. Les avatars s'y multipliaient dans un vertigineux ballet tandis que les combats redéfinissaient en permanence l'espace et la position de chaque élément du plan. Dans l'univers du Garçon et la bête, les niveaux de construction et d'agencement des espaces n'insufflent guère de dynamisme, ou de tension dans l'animation. Preuve en sont ces traversées des marchés ou des stades, contenant beaucoup de personnages, mais n'étant jamais traversé par un souffle singulier, un point de vue surprenant qui aurait permis de se projeter dans un réel fantastique.
Peut-être qu'Hosoda souhaite réduire la portée de ce monde monstrueux pour en constituer le berceau chaleureux et rassurant dans lequel se réfugie l'orphelin Kyûta, loin d'une ville tokyoïte qui elle demeure lugubre et indéfinissable. Les scènes finales le confirment en proposant la ville comme un condensé d'écrans lumineux dépersonnalisés et de silhouettes sans visage, traversée de rumeurs sous-marines. Le portrait en dit long sur l'action d'unification et de perte d'identité dans l'espace urbain, tout aussi visibles dans d'autres grandes capitales (Paris en premier lieu...).
Le Voyage de Chihiro était un film sur la disparition, et non la perte, de l'enfance. Cette disparition en passait par une assimilation poétique, multiple, transformée, métamorphosée, des rencontres et des aventures les plus diverses dans les Bains de Yubaba. La fantaisie et le fantastique y étaient là réelles métaphores obscures de la mutation de son personnage grandissant. En parallèle, Hosoda, lui, évacue une grande partie de la fantaisie bestiale, en rapprochant au final beaucoup l'univers des bêtes de celui des humains. La proposition est bien évidemment à saluer, et peut bouleverser si s'ensuit la subtilité et la retenue dans le passage d'un monde à l'autre – et de fait de l'enfant à l'adulte. Le départ de Kyûta loin du monde de son enfance doit de fait être progressif et ténu, ce qui est le cas durant ses deux premières rencontres avec Kaede et son réel père. Encore une fois, le sens de l'ellipse et du rythme, qui s'attaché à des succédanés de scènes aux tonalités différentes, permet d'acheminer l'apprentissage de la lecture avec Kaede avec une belle émotion ; et, de même, le choc des retrouvailles paternelles est disséminé dans de discrets petits tremblements du jeune adulte.
Alors pourquoi diable le dernier tiers du Garçon et la bête réduit-il à néant, par sa lourdeur, son manichéisme soudain éclatant, cette émouvante construction duel ? Toutes les actions finissent par conduire à la nécessité de disparition d'un des deux pères, et le dilemme se résout par cette bataille urbaine, forgée par une rivalité absurde avec un autre humain à peine entraperçu. L'échec final du film d'Hosoda tient au final beaucoup au personnage problématique de Ichirôhiko. Celui-ci, nemesis du héros, est un miroir relativement faible à ses tourments, notamment parce que la relation entre les deux ne transparaît pas. En réalité, Ichirôhiko se réduit, sur le dernier tiers, à rendre visible les sentiments internes de Kyûta, et ne permettant pas réellement au personnage d'exister. Ce choix gâche l'opportunité de construire une réelle ambiguïté dans cette rivalité, ou même dans la dualité du propos, ce protagoniste se révélant aussi un humain propulsé parmi les monstres comme le héros. Le spectaculaire de cette dernier partie devient enfin pauvre dès lors qu'il abandonne sa volonté fantaisiste pour servir cette psychologie maladroite, ainsi qu'un symbolisme grotesque (la transformation de la bête en épée, le discours sur le cœur, etc.)
Outre Ichirôhiko, le rapport à cette « bête de substitution », son maître Kumatetsu, demeure aussi problématique. D'une certaine manière, là où Le Voyage de Chihiro est un film sur la disparition de l'enfance, Le Garçon et la bête l'est sur celle de la figure paternelle. Mais là encore, le film d'Hosoda frôle une assimilation parfois lourde entre la paternité et l'adieu au monde de Kumatetsu. Toutes les actions finales conduisent ainsi à cette réunion forcée entre l'idée d'un père et la présence du monstre, à tel point que le film en gomme toutes les singularités de Kumatetsu. Celui-ci, à l'instar de Ichirôhiko, est un protagoniste fort peu développé, et surtout quasi immuable en dépit de la traversée du temps qui s'opère dans le film. En outre, Hosoda le construit comme un archétype de la japanimation, à savoir ce protagoniste irascible, brut et spontané, dont la gentillesse ne jaillit que par son ronchonnement et ses colères, une sensibilité au final fort visible... et de fait fort peu intrigante.
Au final, Le Garçon et la bête, par cette accumulation de maladresses, peine à articuler ses deux parties, à savoir l'apprentissage de l'enfant et la naissance de l'adulte. L'émotion viendra se loger parfois dans de tous petits détails, ou dans quelques plans laissés en suspens, quelques silhouettes entraperçues en reflet, des plans d'une agitée ville nocturne. Mais ils ne sont guère maintenus et s'estompent dans l'affront des divers désirs d'Hosoda.