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  • Judo

    YAU DOH LUNG FU BONG - JUDO - THROW DOWN (2004) – Johnnie To

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    Dédié à Akira Kurosawa, ce film de Johnnie To, quelque peu oublié et occulté par d'autres grands succès plus explosifs, ne manque pourtant ni d'originalité, ni de charisme. A travers cette intrigue uniquement centrée sur l'art et la pratique du judo, Johnnie To fait partager les aventures d'un trio de personnages attachant, s'ancrant plus dans sa veine comique et lyrique, comme il l'a démontré avec des films tel que Sparrow.

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    Judo s'avère en effet porté par un véritable dynamisme. Contrairement à son dernier film en salles, la Vie sans Principe, plus audacieux et réfléchi mais pêchant par un scénario tortueux, Judo choisit une véritable clarté, les séquences se suivant dans une logique agréable, l'intrigue judofemme2.jpgétant ponctuée par de belles pauses lyriques, comme une folle course-poursuite avec des billets de banque dans les bras ou une longue tentative pour décrocher un ballon de baudruche abandonné dans des branchages. Ces très belles séquences, bien souvent portées par l'unique personnage féminin détonnant du film, donnent un véritable sentiment de liberté. Car l'intrigue s'axe en effet sur la recherche de la liberté pour les différents personnages. La femme, Mona, sorte de vagabonde de luxe se rêvant chanteuse à Hong Kong, puis au Japon, l'incarnejudotony.jpg amplement, totalement libérée et sans attaches, assoiffée d'aventures. D'autre part, le second protagoniste, Tony, est un jeune homme intrépide et surdoué en judo, s'étant mis en tête de combattre les plus grands noms, lui aussi porté par une forme d'indépendance et de liberté. Tous deux, ils se heurtent à l'indifférence de Sze-to, ancien champion de judo ayant sombré dans l'alcool. Sze-to, un personnage dramatique par sa condition, devient cependant très drôle sous la mise en scène de Johnnie To, ou l'interprétation de son acteur, l'excellent Louis Koo (la redoutable tête montante d'Election 1 et 2), l'ancien champion de judo devenant un être indifférent au monde qui l'entoure et d'une mollesse terrifiante jusqu'à en être comique. Ainsi, l'une des séquences du film présente l'union de ces trois protagonistes à travers une excellente séquence de vol à la tire dans une salle de jeux d'arcade. La futilité de cet acte infantile rappelle les pickpockets casse-cou de Sparrow, organisés comme une mini-mafia à l'échelle d'un jeu d'enfants.

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    Le film tire, comme Exilé, beaucoup d'inspirations du western. Afin de rendre la tension sur les séquences de combat de judo, qui sont loin d'avoir comme avantage la violence des balles, la réalisation use de nombreux procédés pour capter l'attention d'un spectateur lambda, et créer une atmosphère captivante. Les corps volent dans la poussière, les prises s'enchaînent comme des fusillades à répétition, chaque chute au sol semblant s'assimiler à une balle tirée, ce n’est plus le calibre qui en impose, mais bien plus la silhouette, la précision du geste. Les échanges de répliques sonnent toujours avec menace et charisme, comme toujours avec Johnnie To, notamment parce que la cinématographie de Judo privilégie l'obscurité des bars et l'asphalte des rues nocturnes. En effet, rares sont les séquences de tatamis, ceux-ci étant reclus à un imaginaire nostalgique : Sze-To vient s'allonger dans la salle d'entraînement de son ancien maître décédé, effleurant les tatamis, se souvenant du contact avec ce sol adapté au sport de combat. Autrement, dans une première partie, les séquences de combat s'agencent comme typiques du western ou du film noir, les corps baignés dans une semi-clarté, l'éclairage étant toujours extrêmement symbolique, assimilant la déchéance de Sze-To et sa propension à l'alcool à un rapport au gouffre et à la chute, au sens propre du terme, contre un sol noir et lourd. Dans la seconde partie, pas forcément la plus intéressante du film, celle où Sze-to se « réveille » en quelque sorte, l'espace devient cependant plus éclairé, les scènes de combat plus extatiques et moins portées à la stylisation impressionnante de la première heure.

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    Enfin, le film étant dédié à Akira Kurosawa, on retrouve curieusement une forme d'ostentation proche du cinéma japonais. Certaines séquences s'avèrent presque suspendues, poétiques, ou lyriques, comme la course-poursuite entre Mona, Sze-to et leurs assaillants, après le vol d'une liasse de billets dans un tripot. Les billets s'envolent, et la musique porte cette très belle séquence, différente des séquences habituelles de course-poursuite. Un même effet d’ostentation se trouve exactement au milieu du film, durant la plus importante scène d'affrontement dans la rue, où sont utilisés de nombreux ralentis surplombant les corps ou s'infiltrant entre eux, rappelant le final d'Exilé ou la scène sur le terrain vague de Vengeance. De plus, trois chants symboliques sont entonnés a capella dans le film, sortes de chants légendaires interprétés par un protagoniste témoin de toutes les scènes, en tant qu'acte de début, milieu, et fin du récit. La présence de ces chants assimile Judo à un mélodrame, tout comme Kurosawa a souvent exploré la violence des sentiments avec fougue et passion dans ses réalisations. Cependant, le film de Johnnie To est loin de prétendre à l'émotion du cinéma du grand maître japonais, son film restant délibérément dans un ton léger. Le film pose tout de même les questions d'honneur et de condition humaine, celle-ci caractérisée par les expériences accumulées d'un homme dans sa vie. De fait, le récit de Sze-to s'avère marqué par le sens du retour aux sources, vu que le protagoniste s'installe dans l'ancien dôjô de son maître, s'occupe de son fils handicapé, donc reprend et fait revivre un certain passé, mais aussi par le sens de la renaissance et donc de l'achèvement d'une quête.

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    Judo n'est pas un Johnnie To mineur. Certes plus amusant et plus libéré que la violence d'Election, d'Exilé ou même de la Vie sans Principe, il se distingue du divertissant Running out of Time par son originalité et sa réalisation soignée, symbolique, plus proche et aussi attachant que le ludique Sparrow

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  • Roujin Z

    ROUJIN Z (1991) – Hiroyuki Kitakubo 

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    Le film est scénarisé par Katsuhiro Otomo et se révèle une agréable surprise, alors que le cinéma du réalisateur d'Akira me rebute souvent par sa violence poussive et morbide et son manque de subtilité. On retrouve dans Roujin Z certains éléments propres à Otomo, tels que le développement de la science et du militarisme au détriment de l'humain, ou encore l'arrivée d'une technologie incontrôlable et finissant par tout détruire. Le postulat de base, même si le film date de 1991, ne manque pas d'actualité : face au vieillissement de la population, le Ministère de la santé au Japon, en collaboration avec une entreprise informatique, propose des machines, sortes de lit géant, programmées pour gérer l'entretien des personnes âgées impotentes ou handicapées. Très vite, évidemment, la haute technologie dérape, piraté en quelque sorte par les désirs du vieil homme utilisé comme cobaye pour le lancement du programme, ne désirant pas du tout finir ses jours dans une machine et préférant retourner auprès du souvenir de sa femme décédée. A cela se mêle son infirmière, jeune étudiante naïve prise d'affection pour le vieux.

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    Le film se détache d'Akira et Steamboy tout d'abord parce qu'il ne vise pas à tomber dans un apocalyptique fragile et terrifiant, mais plutôt à exploiter le côté amusant du scénario. De fait, le film ne tombe pas dans la morbidité malsaine qui caractérise habituellement le cinéma de Katsuhiro Otomo, mais s'empreint bien plus d'une certaine légèreté, et d'un comique burlesque, les protagonistes devant faire face à l'évolution d'une machine contrôlée par les désirs d'un vieil homme nostalgique détruisant tout sur son passage. L'humour absurde et le dynamisme des personnages font sourire, notamment celui du groupe de vieux hackers surexcités face à l'évolution de la machine et en suivant les moindres changements depuis leur lit d'hôpital. De fait, le film, même s'il date des années 90, prolonge l'obsession des films d'animation pour tout ce qui touche à l'émergence des nouvelles technologies, intégrant de nouveaux moyens de communiquer. Par le biais de la machine avec laquelle il fait corps, le vieux bonhomme impotent délivre sa rage de vivre et sa nostalgie du passé, et notamment de sa femme décédée avant lui. L'idée touchante du scénario est de réincarner le souvenir de la femme décédée à travers cette machine infernale. Cette dernière devient ainsi intelligente, reprenant au long de sa déambulation une identité auparavant disparue, fait revivre un souvenir, à l'instar de l'agrégat d'objets de l'espace dans « Magnetic Rose » (premier segment du film Memories), qui reconstitue l'univers personnel d'une cantatrice décédée.

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    Une partie du design de Roujin Z est confiée au grand Satoshi Kon dans le casting. On retrouve en effet la trace de l'immense cinéaste dans l'évolution de la machine, se développant et gagnant en croissance au fur et à mesure des actions, l'inerte devenant progressivement animé, à l'instar du cauchemar électro-ménager et urbain déambulant dans Paprika. De plus, vers la fin du film, il subsiste une séquence, courte malheureusement, où le personnage principal de l'infirmière se promène à l'intérieur de l'amas d'objets, se retrouvant propulsée dans une sorte de caverne hybride. D'emblée, cette scène rappelle les déambulations oniriques de l'héroïne de Paprika dans des espaces mentaux réincarnés, comme par exemple cette immense carcasse humaine représentant un visage dans laquelle elle se déplace tel un papillon. Dans Roujin Z, l'infirmière se retrouve dans un espace composé d'un amas d'objets incarnant des souvenirs, ou des espaces urbains détruits par la machine, comme soudainement coupée du monde et subsistant dans un lieu apocalyptique. Ce moment de poésie est cependant court et il ne pourrait pas s'intégrer plus fortement au ton du récit, délibérément léger et sans ambition.

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    Si le scénario de Roujin Z s'avère fort intéressant, il est cependant dommage que la réalisation reste très convenue, et son style totalement désuet aujourd'hui. Le graphisme et l'animation s'avèrent très vieillis et 'impressionnent peu(contrairement à un film comme Perfect Blue des mêmes années, qui, lui, a gardé une véritable force visuelle, ou encore Akira). De plus, les personnages s'avèrent creux et stéréotypés, comme celui de l'infirmière naïve.Il s'agit ainsi d'un amusant film d'animation aux thématiques intéressantes, mais restant au rang de petit film et de divertissement. 

  • La Vie sans Principe

    La Bourse ou la Vie 

    LA VIE SANS PRINCIPE – Johnnie To 

    Merci à Ketty pour m'avoir proposé ce film !

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    Ce que j'apprécie chez Johnnie To et son équipe, c'est leur formidable sens du renouvellement, porté par un certain dynamisme, embrassant tous les sujets possibles pour les convertir en un film de Johnnie To, avec ses acteurs fétiches, ses thèmes récurrents, sa recherche dans une mise en scène de la violence.

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    Ici, c’est particulièrement le cas, puisque le nouveau film du réalisateur hong-kongais s'attache à une poignée de personnages précipités dans la crise financière de la décennie : l'inspecteur Cheung et sa femme cherchant un nouvel appartement ; le fringant Panther, sous-fifre dévoué aux chefs de son organisation mafieuse ; et enfin l'employée de banque Teresa, soumise à la pression de la concurrence pour gagner l'investissement des capitaux des clients qu'elle représente dans de nouvelles actions. Autour de ces protagonistes en gravitent plusieurs secondaires qui vont participer aux divers règlements de comptes ou assister aux renversements de valeurs déclenchés par l'effondrement de la bourse et des actions.

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    La Vie sans Principe s'impose ainsi comme un film choral où se lient et délient, se rencontrent ou s'affrontent, divers personnages. Commençons par le gros défaut du film, à savoir son scénario, qui peine à arriver au dénouement final, bien plus intéressant et intensif : une bonne heure du film s'étire à présenter les protagonistes, et s’embarrasse de séquences inutiles et parfois ennuyeuses. La partie sur Panther, par exemple, est une énième démonstration d'une mafia corrompue et grotesque, portrait déjà effectué dans de nombreux films de Johnnie To. Certaines séquences s'étirent en longueur, comme les cérémonies du Nouvel An, et seul le dynamisme de Lau Ching-wan, l'un des excellentissimes acteurs fétiches de Johnnie To, permet de s'accrocher au récit. De plus, l'un des protagonistes s'avère peu présent et faible par rapport à Teresa et Panther, il s'agit de l'inspecteur Cheung, assez creux et sans véritable évolution, loin d'incarner un inspecteur charismatique. En revanche, toute la partie consacrée à l'univers de Teresa, employée de banque, s'avère pertinente et porte un regard lucide et dur sur le jeu de malversation exercé par les entreprises bancaires pour attirer leurs clients sur des investissements leur rapportant des intérêts importants. Le personnage de Teresa, d'une belle sobriété grâce à l'interprétation de Denise Ho est par ailleurs d'une belle ambiguïté, à la fois soumise aux ordres et à la pression de sa chef tyrannique, dépossédée par ce qu'on lui demande, mais prête à tout pour ne pas finir perdante.

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    Heureusement, la dernière partie du film laisse place à un dénouement et une mise en scène impressionnante, fidèles au style de Johnnie To, réussissant à créer un suspense digne du thriller autour des fluctuations boursières qui défilent sur tous les écrans de la ville et des bâtiments traversés par les personnages. Evidemment, la violence et l'assassinat viennent rapidement alimenter les solutions des mafieux pour sauvegarder leurs investissements, mais les séquences d'action s'avèrent au final assez rares. On peut retenir une flamboyante et aberrante course contre la montre qu'effectue un des chefs de Panther au volant de sa voiture, transpercé au cœur par une fleur décorative, et pourtant continuant de conduire pour tenter un ultime investissement. Cependant, la réalisation du film prolonge la tension dans les séquences à la banque, de rapides travellings circulaires venant cerner Teresa ou ses clients piégés, et le montage jouant sur l'obsession de l'argent et des billets sortants, ou bien alors des chiffres de la bourse débités sur les écrans. Tout comme avec Margin Call (JC Chandor), ce sont les codes du genre du thriller qui permettent d'incarner et de rendre palpable une tension invisible, car se rapportant à des capitaux virtuels, et un effondrement psychologique bien souvent dissimulé. A cette tension magistralement représentée, le film associe une forme de distance ou d'humour, par exemple par la très belle musique composée par Yue Wei, dans la même veine que la partition de Xavier Jamaux pour Sparrow il y a quelques années, joue sur la légèreté et le lyrisme, loin de surligner les différents événements tragiques, mais imposant une forme de distance bien plus efficace.

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    Le côté très excessif et loyal des protagonistes de Johnnie To trouve dans ce film son écho dans l'absurde attachement à l'argent, au point d'y risquer leur vie. Toute l'entreprise du film est d'opposer des figures surpuissantes, obsédées par leur argent virtuel et leur placement, face à d'autres plus modestes, petites gens qui vont finalement tirer profit de la catastrophe, non sans se compromettre. Chacun finit par tirer la couverture à soi, et comme de nombreux autres films de Johnnie To, c'est un combat entre les valeurs morales, quasi-inexistantes, et ses propres désirs ou sa mégalomanie. Le film permet ainsi de traverser différentes couches sociales, différentes manières de réagir face à la société d'argent : Panther rencontre l'un de ses camarades mafieux en train de récupérer de vieux cartons pour se faire de l'argent, observe par la suite la salle d'opérations informatiques clandestine créée sous l'entreprise d'un de ses chefs ; Teresa fait face à des clients aux comportements divers, du plus méfiant à la plus naïve, celle-ci étant cruellement trompée par le langage superficiel de la banque. Au final, ce sont les plus faibles qui s'en tirent à bon compte, Teresa repartant avec son lot d'argent, glace dans la main, l'inspecteur et sa femme obtenant leur appartement à nouveau prix, et surtout Panther, tout jeune nouveau riche s'offrant le luxe de s'offrir un cigare à la « bague rouge », comme marquant ironiquement son nouveau statut obtenu à coup de hasards, à coups d'assassinats soudains, à coups de tromperies.

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  • Old Boy

    OLD BOY – Park Chan-wook

     

    Un grand merci à mon (ancien) camarade Wes pour le DVD !

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    Old Boy. Deux mots qui sonnent comme l'annonce du succès d'un certain cinéma sud-coréen dans le paysage cinématographique en 2004, où le film de Park Chan-wook, deuxième volet de sa trilogie sur la vengeance, frôla la Palme d'Or en recevant le Grand Prix du Jury à Cannes. Old Boy, fortement acclamé par la critique, reçut un fort succès à sa sortie et ouvrit la brèche à la reconnaissance d'un certain cinéma sud-coréen, suivi de près par Memories of Murder, The Host, Mother (Bong Joon-ho) ; A Bittersweet Life, I met the Devil (Kim Jee-woon) ou encore The Chaser, The Yellow Sea (Hong-jin Na). Le film de Park Chan-wok a en effet ouvert la voie à ce cinéma empreint de violence, et où tous les moyens de la réalisation – scénario, mise en scène, montage – visent à concrétiser, incarner, faire ressentir cette violence, qu'elle soit physique ou psychologique.

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    Adapté du manga éponyme de Garon Tsuchiya et Nobuaki Minegishi, le film de Park Chan-wook n'en reprend que le postulat de base (à juste titre, le manga d'origine manquant singulièrement d'intérêt, autant sur l'articulation de son scénario, que sur le graphisme), à savoir l'emprisonnement prolongé d'un homme ordinaire sur 15 années de sa vie, sans aucune raison, puis sa brusque libération dans la ville où il a été enlevé. La force du film doit tout d'abord à la construction de son récit, évidemment, qui correspond tout à fait à ce style de scénario dont il est impossible de délivrer la résolution dans une critique et qui ne peut être vu et utilisé qu'une seule fois (au même titre que d'autres scénarios au dénouement renversant et irréversible comme Fight Club ou Seven de David Fincher, par exemple). La recherche des réponses aux questions Qui, Pourquoi, Dans quel but ? donne ainsi le pouls du récit et des énigmes à résoudre, les éléments étant égrenés au fil des actions. De plus, le film développe un formidable sens sur le destin et le poids du chemin à suivre. Oh Dae-soo, bien qu'il soit guidé par l'esprit de vengeance le plus tenace, est de bout en bout guidé, manipulé par celui qui l'a enfermé. Le rapport au point de vue s'avère habile, manipulant lui aussi le spectateur. Tantôt le film nous fait partager les actions de « l'ennemi », riche milliardaire malade, identifié au bout d'une demie-heure de film, faisant sentir le poids de la manipulation sur Oh Dae-soo, tantôt la caméra épouse le regard du personnage principal, nous faisant souvent songer à tort qu'il a une longueur d'avance sur son geôlier.

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    Ce jeu sur le point de vue finit par démontrer l'horrifiant engrenage de manipulation dans lequel le protagoniste et le spectateur se sont laissés entraîner. Pour Park Chan-wook, le thème de la vengeance est ainsi intiment lié à l'idée de fatalité, de spirale irréversible, les nombreux retours en arrière du film et flash-backs mentaux du personnage contribuant à renforcer la manipulation, à l'image d'un puzzle se reconstruisant. La réalisation nous présente toujours en outre Oh Dae-soo comme en marge de la vie et du quotidien ordinaire : ses comportements sont déréglés, chacune des actions effectuées lors de son retour à la ville devenant l'équivalent d'une « première fois » beaucoup plus intense et violente. Ainsi, la première confrontation avec des jeunes délinquants donne lieu à une solide explosion de violence ; le premier repas à une dégustation pléthorique d'un énorme poulpe vivant ; la première rencontre avec une femme un choc violent écrasant le protagoniste. Ce n'est pas par hasard si la première chose que constate Oh Dae-soo est une tentative de suicide qu'il ne cherchera nullement à empêcher, le plaçant d'emblée du côté du spectacle de la mort.

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    En outre, le film de Park Chan-wook reflète la vision de la violence telle qu'elle est perçue dans une grande partie du cinéma nous parvenant de la Corée du Sud. Nombreux sont ceux qui ont écrit des articles sur l'efficacité de la violence, bien plus éprouvante, car repoussante, que celle d'un cinéma américain, mais qui provoque néanmoins une forme de fascination. Old Boy joue ainsi bien plus sur la part d'ambiguïté des personnages et leur propension à détruire l'autre, voire s'autodétruire. Le rapport à la chair éprouvée, torturée, mutilée, s'avère extrêmement fort, comme si le corps était intimement lié au mental, et ce rapport trouvera son point d'orgue avec le terrible acte final d'auto-mutilation. Le lien entre physique et psychologique devient ainsi très ténu dans les démonstrations de folie des personnages de Park Chan-wook, chaque défaillance mentale, ou erreur, devant se répercuter sur le corps et le détruire tout autant. Oh Dae-soo déclare ainsi au cours du film que la recherche de la vengeance est devenue une partie de lui-même. Il inscrit notamment sur sa peau le nombre d'années passées dans sa prison, tels des stigmates de sa condition d'homme enfermé et en proie à la folie. Sur ce point, la performance de Choi Min-sik, immense acteur coréen eu même titre que Song Kang-ho, ets remarquable. Là où Song Kang-ho était un masque de sobriété, s'enfonçant dans une cruauté indifférente pour Sympathy for Mr Vengeance, Choi Min-sik donne bien plus de son physique, étant agité par les tremblements de la folie, du désespoir, de la douleur, dans Old Boy. En outre, les films coréens cherchent bien souvent à étendre, par symbolisme, ou une forme de contamination, la violence dans des éléments alentours. Force en est cette célèbre scène de dégustation de poulpe vivant, croqué à pleines dents par Choi Min-sik, scène à la fois terrifiante et drôle, véritable performance d'acteur.

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    On retrouve cependant une caractéristique propre à Park Chan-wook au niveau de la violence à l'écran, caractéristique qui se retrouve un peu dans le cinéma de Bong Joon-ho. Il s'agit de ce rapport à une mise en scène quasi-fantastique par moment, et qui contribue bien souvent à rendre la réalisation du film bien plus impressionnante. Prenons l'une des premières séquences du film, à savoir l'enlèvement d'Oh Dae-soo : cet enlèvement est filmé de manière totalement fantastique. Le protagoniste téléphone depuis une cabine, avec un cadrage conventionnel et réaliste ; le protagoniste sort ensuite de la cabine, laissant la place à son frère qui reprend la conversation. A partir de ce moment, Oh Dae-soo disparaît totalement du cadre. Lorsque son frère sort de la cabine te l'appelle, le cadrage évolue soudain, comme un véritable basculement dans un autre univers, effectuant un formidable travelling arrière combiné avec un mouvement circulaire nous dévoilant la rue vide et un parapluie flottant à terre. Le postulat en lui-même, cet enfermement prolongé, apparaît lui aussi comme surréaliste, car inhumain. Le rapport à la folie provoqué par cet enfermement trouvera ainsi sa présence dans des hallucinations cauchemardesques où le protagoniste se retrouve envahi de fourmis. Park Chan-wook glisse par ailleurs sûrement un clin d'oeil aux fourmis symboliques des tableaux de Dali, voire plus encore à ce film culte du surréalisme, Un Chien Andalou, où se retrouve le même sens de l'excès et de la pulsion. Par la suite, une autre séquence s'impose comme fantastique, celle de la remémoration du souvenir, filmée de manière fantomatique, avec une très belle photographie épurée et donnant dans des tons très clairs et lumineux. Ce sens de l'onirisme, voire de la poésie dans le cinéma de Park Chan-wook est de plus lié au thème de l'hypnose, qui porte toute la résolution du film et mènera à la conclusion. Oh Dae-soo se réfugiera dans l'oubli et l'illusion pour survivre, les dernières images étant portées par la très belle musique lyrique de Jo Yeong-wook, compositeur attitré de Park Chan-wook.

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    Par rapport à son premier volet de la trilogie, Sympathy for Mr Vengeance, même si on reconnaît le sens aiguisé de la mise en scène de Park Chan-wook, et son regard sur la violence, le ton et la réalisation d'Old Boy s'avèrent cependant différents. Tout d'abord, la mise en scène de Sympathy for Mr Vengeance était très glaciale, très distante, toute en suggestions et en longs plans fixes. La violence s'installait de manière progressive à l'intérieur du cadre, la lenteur contribuant à rendre le spectacle éprouvant. Les temps de silence étaient très présents, jouant sur les possibilités de suggestion et d'imagination. Old Boy présente une réalisation bien plus nerveuse, bien plus impulsive, à l'image de l'implosion du personnage au bord de la folie après avoir été enfermé aussi longtemps sans explications. Là où Sympathy for Mr Vengeance impose ainsi le recul vis à vis des actes et des protagonistes, Old Boy cherche au contraire à faire souvent partager l'univers mental confus et ultra-perceptif de Oh Dae-soo. Dans la première partie, celle de l'enfermement sur les 15 années, le montage et l'utilisation de la voix-off parviennent ainsi à dynamiser le quotidien répétitif du personnage, notamment avec un très beau split-screen entre les archives de télévision et la percée du mur, tout en faisant ressentir le terrible poids du temps qui passe. Certaines scènes sont filmées avec nervosité, avec de brusques travellings violents ou des effets d'accélération (lors de la montée dans l'ascenseur, par exemple). L'esthétisme a de plus une part essentielle. A l'inverse des actes terrifiants entrepris, le personnage du geôlier auquel se confronte Oh Dae-soo vit dans le luxe et un univers aseptisé, se déplaçant avec des allures de mannequin et d'esthète. Cette confrontation nous mène dans un ton plus acide, donnant plus dans l'humour noir tout comme Thirst. La scène du poulpe repousse et amuse à la fois, tout comme celle du plan-séquence à la hache, qui paraît surréaliste. Le personnage de Oh Dae-soo constate sa propre plongée en enfer avec dérision, dénué de tous sentiments, confondu dans l'absurde de la situation.

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    Old Boy se révèle un film d'une terrible efficacité. La réalisation de Park Chan-wook fait vivre le pouls de la douleur incarnée à l'écran et le chaos mental du personnage. Plus nerveux que Sympathy for Mr Vengeance, mais tout aussi précis et ciselé dans ses choix de réalisation et de scénario, le film incarne un des plus brillants portraits de la manipulation et de la cruauté à travers ses protagonistes, ayant influencé de nombreuses répliques dans d'autres films sud-coréens.