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Critique de Lumières d'été

Vers une fiction lumineuse

 

LUMIERES D’ÉTÉ (NATSU NO HIKARI なつ の ひかり) – Jean-Gabriel Périot

Pour la diffusion du film en salles, Potemkine a choisi de monter un court-métrage documentaire de Jean-Gabriel Périot en première partie de sa fiction. Choix singulier, et fort intéressant quant au changement de point de vue à l’égard du Japon pour le réalisateur. Au montage radical, saccadé et poignant des photographies de 200 000 fantômes succède la balade ensoleillée, plus calme et plus douce de Lumières d'été. Les uns préféreront le prélude, les autres le récit. Plutôt que l'appréciation ou pas de Lumières d’été, le travail à l’œuvre d’une filmographie en mouvement intrigue bien plus.

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L’auteure de ces lignes penche plus vers le prélude plutôt que vers la fiction. Car 200 000 fantômes, réalisé en 2007, est un travail intense à partir des photographies du Dôme de Genkaku, bâti, détruit, reconstruit, emblématique de la renaissance d'après-guerre pour Hiroshima et le pays entier. Jean-Gabriel Périot, comme pour d'autres de ses créations documentaires, y manie le montage d'archives avec un sens singulier de l'émotion. Le son, combiné à la cadence des images superposées, transforme le déroulé chronologique en une succession de mouvements symphoniques avec leur caractère propre : gentillesse des premières notes, fracas de la catastrophe, silence glacial face à la destruction, magma étouffé suite au choc, éveil des nouveaux sons de la décennie à suivre... Le court-métrage nous plonge tout de suite, avec cette immédiateté paradoxale née d'un montage très sensoriel, auprès de la violence injustifiable de cet événement.

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La mutation vers le film de récit s'accomplit en douceur. La première séquence de Lumières d'été se concentre sur le long témoignage, face caméra, presque sans contrechamp, d'une rescapée d'Hiroshima. Au montage historique frôlant l'expérimental succède l'entrée dans une parole intime. Une dame très âgée raconte sans interruption le souvenir de cette journée où tout a basculé, alors qu'elle n'était que lycéenne. Le renversement littéral d'une ville paisible. La scène s'impose comme un documentaire au sein du film : de fait, elle assure la jonction entre 200 000 fantômes et Lumières d'été, et, à une échelle plus large, entre la partie documentaire de Périot à son entrée dans la fiction. Le raccord, à la fin du récit, sur le personnage principal, casse la dimension documentaire et fait définitivement basculer dans le champ du film.

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Un réalisateur japonais vivant depuis longtemps en France, se retrouve à Hiroshima pour, suite à une commande, faire un documentaire sur la catastrophe. Malgré ses origines, Akihiro (Hiroto Ogi) débarque totalement au sein de l'histoire de son pays natif. Sa ballade avec la jeune Michiko (Akane Natsukawa) dans la ville développera sa perception... Le premier long-métrage de Jean-Gabriel Périot dégage un parfum très naïf à l’égard de la culture qu’il se propose de filmer. Le souvenir du cinéma d’Hirokazu Kore-eda et de ses dérives palpite à travers les dernières longues séquences du film – courses joyeuses dans les rues, grillades en famille recomposée, feux d’artifices intimes dans la nuit… A l’instar de Notre Petite Sœur, Périot s'engage dans une vision optimiste et très chaleureuse du Japon d'aujourd'hui, voire un poil trop gentillet. La longue nuit où s'engage le réalisateur bougon – et qui va forcément lui redonner le sourire – n'est qu'une suite de séquences joyeuses, sans aspérités pouvant nuancer le tableau. La famille momentanément recomposée au cours de cette soirée donne une image idyllique dont on regrette l'absence de taches d'ombres.

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La vérité sur le personnage de Michiko est d'une évidence éclatante, dès son apparition sur le banc. Fort heureusement, le cinéaste ne se perd pas dans un suspense inutile ; au contraire il joue avec la réalité du fantôme, la sous-entend par allusions permanentes, par comportements anachroniques de la jeune femme, par soudains états de mélancolie. Michiko constitue le fil le plus intriguant du film, et est incarnée par une Akane Natsukawa tour-à-tour rayonnante et profondément triste. Le potentiel du personnage réincarné n'est cependant pas exploité sur la seconde moitié du film – celle-là même qui est noyée par la fête nocturne. La force du fantôme se perd totalement et laisse place à une séparation relativement sans émotion entre l'humain et la chimère.

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Ces quelques défauts et regrets face à Lumières d'été sont probablement lié à l'émotion vive de Périot, qui ne manquât pas d'exprimer son attachement à l'Hiroshima d'aujourd'hui et à ses habitants. Ses souvenirs personnels surgissent, de même que l'identification évidente à ce réalisateur frustré par la capitale française et le milieu du cinéma. Dès lors, la naïveté débordante de la partie fictionnelle, en totale contraste avec l’œuvre photographique plus acerbe et alarmante, trahit une manque de distance émotionnelle.

La frustration face à cette naïveté simpliste fut néanmoins chassée par le très beau débat qui suivit la projection du film en avant-première. Revenant sur le thème du nucléaire, Périot a rappelé l'horreur gratuite que constituait le geste d'Hiroshima et l'angoisse de voir péricliter de nouveau un tel basculement dans l'annihilation soudaine. Un manifeste anti-nucléaire dont la nécessité ne déméritait pas à être rappelé pour notre présent.

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