Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Critique de la série animée Haikyū !!
Légèreté
HAIKYŪ !! (ハイキュー!!, 3 saisons, 2014 - 2016)
Réalisé par Susumu Mitsunaka
Production I.G
D'après le manga d'Haruichi Furudate
L'efficacité d’Haikyū !! ne se niche pas dans l'ambition hystérique ou la performance sakuga généralement propres aux animes de sport. La série adaptée du manga d'Haruichi Furudate fait le pari de s'écarter de certains codes et de rester proche de genres plus tranquilles comme le slice of life ou même le josei par les accents mis sur la recherche identitaire. L'intérêt de la compétition ne reste pas en retrait, loin de là, mais une place très importante est accordée à la psychologie de groupe et à la vie quotidienne de notre équipe de volley-ball. Le plaisant équilibre qui se joue donc entre scènes d'action et scènes de réflexion comme d'humour confère à Haikyū !! son aspect fort attachant.
Une fois entré au lycée Karasuno, le rouquin Hinata Shoyo se précipite pour s'inscrire à son club de volleyball. Il espère suivre les traces du « Petit Géant », un joueur qui a su surpasser sa petite taille par son jeu exceptionnel. Mais l'équipe a perdu de sa gloire passé et en outre Hinata doit supporter la présence de son rival de jeunesse, Kageyama Tobio, lui aussi entré dans l'équipe. Les aventures vécues par le club de Karasuno vont remettre les joueurs sous le feu des gymnases et renforcer l'amitié sportive entre Hinata et Tobio.
Les aspirations des jeunes arrivants – Hinata, Tobio, Tsukishima, Yamagushi – se mêlent à la nostalgie des anciens – Sugawara, Nishinoya, Tanaka, Asahi, le capitaine Daichi... La recherche de la réussite anime les uns, le retour à la victoire les autres, et ces deux intentions constituent les deux principaux fils de la série. Par cela, Haikyū !! n'installe pas de hiérarchie entre ses différents personnages. Le duo formé par Hinata et Tobio impressionne mais celui-ci prend place au sein d'un ensemble où chaque joueur développe son attractivité propre. La série évite ainsi rapidement cet écueil souvent présent dans les séries sportives comme Kuroko no Basket, où le duo portant la création reste le seul point développé pendant de nombreux épisodes, au détriment des autres protagonistes.
L'animation fait le choix de dériver légèrement du character design d’origine. Le style se situe ainsi assez loin des lignes plus tranchées et des atmosphères plus chargées d'Haruichi Furudate. Ce décalage assumé ne peut qu'apporter que du bon à la série : la souplesse plus grande des visages et la bonhomie atteinte par les dessinateurs d'I.G Production permettent d'approcher une plus grande variété d’expressions non existantes dans le manga. Chaque personnage reçoit une véritable palette de réactions, notamment au niveau plus comique. Car une certaine légèreté est accordée aux expressions des yeux et des sourires. Ces choix esthétiques permettent de développer une certaine richesse quant aux sentiments explorés d'une saison à l'autre. Au fur et à mesure des matchs, les doutes comme la confiance de soi vont et viennent sur les ombres faciales des membres de l'équipe. Chaque point perdu soulève une succession d'interrogations. Les amitiés, aussi, se renforcent ou se fissurent.
Il faut souligner l'admirable sens des psychologies qui se dégage du portrait de cet équipe. De manière générale, dans l’équipe de Karasuno, on se dispute beaucoup. Les décisions du capitaine et du coach sont certes respectées, les attitudes sont concentrées durant le match, mais les réserves peuvent éclater sur le terrain d’entraînement ou des les vestiaires. La série met un point d'honneur à valoriser la libération des paroles de chacun des membres, l'importance de l'écoute comme de retrouver le chemin de la raison. On peut certes trouver dans le comportement de ces jeunes – si admirables car carrément matures –une absence de réalisme. Mais celle-ci ne cache-t-elle pas un certain idéalisme. Tous les agissements de l'équipe Karasuno, de même que ceux des autres équipes croisées sur son passage, dressent là une peinture idéale de l'esprit d'équipe au sens propre, avec ses nombreux talents dont il faut savoir jouer et harmoniser. Suivre les remous de cette équipe qui pense, joue et s’émeut comme un seul homme se révèle passionnant.
Notre personnage principal, l'attachant Hinata Shoyo pousse jusqu’au bout la carte de l’ultra-motivation. Si ce type de personnage est, dans d’autres séries, tantôt épuisant, tantôt mièvre, celui de Shoyo, parce qu'il est jusqu-au boutisme, mais aussi terriblement gauche, dégage une immédiate sympathie. L'ardeur forcené du joueur alliée à sa naïveté de gosse émerveillé en font un héros quasi sans âge, et bien des fois un véritable personnage burlesque. Si Shoyo est aussi attachant, c'est bel et bien parce l'anime développe une série d'actions comiques répétitives et complices de son spectateur : Shoyo qui se prend la balle en pleine poire, souvent dans les moments les plus tendus du match ; Shoyo qui se tord le ventre de douleur suite au stress avant chaque compétition ; Shoyo qui s’émerveille comme un fan-boy face aux adversaires les plus redoutables... Murase Ayumu – qui n'échappe pas à l'adage d'avoir le physique de son personnage – prête ses performances suraiguës pour porter l'agitation constante de ce protagoniste.
La présence d'Hinata survitalise le suivi de la série – cependant celle-ci, toujours dans cette logique d'équilibre des points forts, ne place pas toute l'énergie dans ce jeune personnage. Shoyo affronte l'animation tout aussi dynamique d'autres joueurs comme le volcanique Tanaka et ses inoubliables levers de tee-shirt, ou encore la férocité du libero Nishinoya.
A l'instar d'un buddy movie, tout anime de sport fonctionne sur un duo contrasté. Au solaire Shoyo répond le ténébreux Kageyama Tobio. Doublé par Kaito ishikawa, Tobio rejoint la longue liste des types-renfermés-et-ronchons-mais-qui-ont-bon-coeur et présente un caractère un peu moins intéressant que celui de son compagnon. En revanche, le rôle du personnage dans l'équipe intrigue plus : setter chargé de préparer les balles pour les attaquants, il a une position à la fois secondaire et centrale. Lorsque le ballon arrive vers lui, tous les regards convergent en sa direction. Cette fonction de pivot, elle se retrouve un peu au niveau du caractère de Tobio, qui est certes colérique, mais qui parvient à entretenir une relation saine et simple avec quasiment tous les protagonistes – sans s'engager, hormis avec Hinata, dans des conflits trop délicats.
Le caractère ténébreux de Tobio se retrouve aussi chez Tsukishima, un personnage secondaire qui va jusqu'à lui voler la vedette dans la saison 3. En regard de l'amitié principale de Shoyo / Tobio s'en joue en effet une autre en miroir, entre Yamaguchi et Tsukishima. Plus dissimilée, cette relation se révèle néanmoins plus subtile et complexe car les deux garçons, animés par la rivalité en dépit de leur amitié, ne cessent de se glisser des reproches. En ce sens, le duo Yamaguchi / Tsukishima incarne le reflet plus sombre de celui de nos deux jeunes héros.
De sa saison 1 à 3, de son premier plan à son dernier, des orteils agités de ses personnages jusqu’à leurs oreilles vibrantes, Haikyū !! offre l’exemple de la perfection par sa qualité graphique constante et la vitalité de ses personnages et enjeux. La qualité de réalisation tient à sa remarquable souplesse entre moments de full animation et d'animation limitée. A ce niveau, la série cherche à condenser toutes les potentialités de l’anime de sport, mais aussi du manga comique et de la tranche de vie. L'équilibre se joue entre des concertations, des gags, des moments de sakuga plus recherchés... Chaque match est en ce sens extrêmement découpé, et varie les temps de discussion à action, de légèreté à gravité, mais également les points de vue entre membres sur le terrain et ceux sur le banc, et surtout une variété de cadrages et de compositions (vues en plongée, gros plans, travellings...). La série reste proche d'une retranscription réaliste – peu d'instants où l'on bascule dans un espace imaginaire plus loufoque, comme Prince of Tennis l'initiait – mais instille de nombreuses petites expérimentations. Les déformations ponctuelles des corps, ou encore l'allure épique de certains ralentis orchestrent les climax des affrontements.
Par ailleurs, les rares moments de sakuga concernent les adversaires les plus farouches. Le fait de ne garder la singularité du sakuga uniquement pour ces antagonistes permet d'intensifier la violence de l'affrontement. L'arrivée marquante d'une esthétique à contre-courant du tissu général de la série nous fait basculer tout de suite du côté de la perception de l'équipe. Le sakuga est notamment utilisé pour Ushijima, l'adversaire principal de la saison 3, qui ne raconte qu'un seul match entier.
Évidemment, l'animation travaille fortement la fameuse combinaison de Shoyo et Tobio. Pour la tactique de ces derniers, elle développe plusieurs petits codes reconnaissables et évoluant au fil des épisodes. Les vues subjectives se mélangent aux points de vues externes. Tout l'objectif de l'animation, à l'instar de celui de la combinaison, est d'incarner la fonction de relais qui se joue entre les deux personnages. Le ballon doit passer de l'un à l'autre sans avoir la possibilité d'être intercepté, glisser sans accroc et avec rapidité. La saison 2 propose la relecture la plus poussée de la combinaison, puisque les deux personnages se rendent compte que leur synchronisme ne fonctionne plus. L’esthétique et la rythmiques se réinventent alors subtilement et proposent de beaux morceaux d'anthologie entre les deux gestes – sursaut des doigts de Tobio, frappe incisive de la main d'Hinata.
L'une des caractéristiques de l’esthétique d'Haikyū !! est de tirer profit du sport qu'il représente. Le volleyball n'a pas la force du football ou basketball ; il s'appuie au contraire sur la légèreté de sa balle qui ne doit jamais toucher le sol. L'idée du volleyball imprime en quelque sorte toute l'efficacité agréable d'Haikyū !! : une série légère traversée d'accents sérieux, et dont les nombreux personnages, connectés par un ballon en l'air, soutiennent la circulation d'une multiplicité d'émotions.