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Momotaro le divin soldat de la mer

Un air d’accalmie dans l’océan patriotique

 

MOMOTARO LE DIVIN SOLDAT DE LA MER (MOMOTARO UMI NO SHINPEI, 1945) - Mitsuyo Seo


Restauré à l’occasion des 100 ans de l’animation japonaise et pour sa commémoration à la Japan Expo début juillet, Momotaro le divin soldat de la mer est considéré comme le premier long-métrage d’animation japonaise. Un statut qui se doit d’être mise en parenthèses pour aborder les vrais vrais singularités du film, mais également son problématique discours.

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Il faut noter qu’il existe deux versions du film : celle-ci ainsi que Momotaro, l’aigle des mers, moyen-métrage réalisé deux ans auparavant. Le long-métrage de 1945 a été commandité par le Ministère de la Marine impériale en tant que film de propagande. Momotaro se révèle donc très patriotique, entièrement en phase avec ce contexte de sa réalisation. Même si le film use d’animaux pour ses personnages, et renvoie à des récits légendaires, la transcription est évidente. Globalement, le scénario se construit selon trois blocs très distincts, et où par ailleurs, les accents du discours se fait plus ou moins entendre. Au début du film, les soldats de Momotaro, un faisan, un singe et un chien, reviennent dans leurs familles pour profiter du calme momentané. Puis, l’action se déplace aux casernes de mobilisation, sur une île exotique, où les soldats attendent la dernière bataille. Enfin, dans la dernière partie, la troupe est sous le commandement du jeune Momotaro et s’apprête à combattre une armée de démons. Mais rapidement, dès le débarquement, ces fameux démons sont une caricature évidente des… Américains.

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Plusieurs séquences servent l’esprit patriotique et les pensées propagandistes de l’époque : la représentation américaine par des géants obèses soumis à la rigidité japonaise ; la glorification d’un débarquement à travers un lyrisme excessif ; et également, plus embarrassant, une vision bienfaitrice du colonialisme. En effet, depuis leurs campements, le commandant et ses soldats animaux enseignent aux populations présentes la langue japonaise. L’opposition entre animaux de la forêt (disciplinés et humanisés) et animaux de la jungle (bruyants et gauches) est une métaphore malheureuse du racisme de l’époque...

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La discrimination mise entre parenthèses, cette seconde partie sur l’île bénéficie de l’influence évidente de Walt Disney - l’un des modèles d’inspiration de Mitsuyo Seo. Le passage est l’un des plus travaillés du film, par ce travail musical sur l’animation. L'aspect harmonieux rappelle le mouvement en “O” de Disney, de même que son sens de la frénésie, son goût pour l’interprétation musicale, sa symphonie des couleurs et des mouvements. La construction d’un baraquement de guerre prend forme par l’agencement quasi magique des poutrelles et le refrain entraînant d’un éloge sur le travail physique, cousins du sifflotement des nains de Blanche-neige. Néanmoins, le spectacle visuel vacille dès lors que la joie devient hystérique et se fait écrin de cette représentation raciste.

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L’acte de glorification de l’armée est, par instants, nuancée. L’une des scènes les plus mémorables du film reste l’ouverture poétique des parachutes. Le débarquement simule un parallèle avec les akènes d’un pissenlit. Mais les éclatements successifs des toiles blanches sont aussi là pour “soulager”, en quelque sorte, la scène précédente, marquée par une sensation funeste et oppressante. Dans un cockpit d’avion grinçant et peu étanche, les soldats reçoivent les gouttes d’une pluie agressive. En un court instant, la gaie farandole du départ vers la guerre se teinte d’une sombre mélancolie inattendue. Nuance de l’effort patriotique ? Désir pacifiste niché derrière cette démonstrative célébration de l’armée ?

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Il devient difficile d’analyser et d’apprécier Momotaro en dehors de cette force patriotique qui guide le sens majeur des choix esthétiques et narratifs. La personnalité la plus singulière du film de Mitsuyo Seo se démarque sur le début. Les protagonistes reviennent dans leur foyer forestier - sous-entendant le village natal de la patrie - et, parce qu’ils sont loin des échos de la guerre, se laissent aller à des activités oisives et diverses. L’animation s’en donne, littéralement, à coeur joie sur cette séquence, libérée du poids des discours. Elle déploie de fait ses plus grandes qualités et ses passages les plus expérimentaux, notamment dans le mouvement des animaux restés à la forêt pendant les batailles.

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On est frappé par l’absence totale du sens des proportions dans ce début. Les mouvements se modulent selon de bien curieuses transformations, presque hallucinatoires. Lorsque le personnage du singe raconte son expérience d’aviateur, la ronde des animaux qui l’entourent se déforme voluptueusement, tourbillonne dans tous les sens... Chaque plan de cette ouverture est un régal tant le moindre détail subit cet étrange tendance à casser l’harmonie, à se laisser aller, comme libéré du poids de la commande. Le petit frère effectue un geste simple, celui de nouer et dénouer le flot de l’uniforme du grand revenu à la maison : sous l’action de cette folle émancipation animée, la simple manipulation gagne une intensité fascinante, encapsulant d’un seul mouvement toute l’admiration du garçonnet. Cet exemple, et bien d’autres encore, rompt avec le reste du film, et laisse entrevoir une forme d’accalmie loin des discours propagandistes et des efforts guerriers. Peut-être Momotaro le divin soldat de la mer cache-t-il, bien malgré lui, et dans ce paradoxe de la possibilité créative au sein d’un contexte de commande, les premiers germes de la génération d’après-guerre ? Celle-là qui aspira au pacifisme d’Etat comme au refus de tout conflit armé - et actuellement menacée par le virulent gouvernement de Shinzô Abe.

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