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  • Pissenlits dansant dans la neige

    PISSENLITS DANSANT DANS LA NEIGE

    Une conférence de Yoko Tawada le 17 septembre à la Maison de la Culture du Japon

    Jeudi dernier, la MCJP accueillait en clôture d'un colloque sur Yasunari Kawabata l'auteure Yoko Tawada. C'est avec malice que Tawada apporta son regard d'écrivain, de lectrice, sur la dernière œuvre inachevée de Kawabata, « Tanpopo », Les Pissenlits, et présenta un texte traduit avec efficacité par Cécile Sakai.

    La conférence de Tawada avait un véritable atout à être ouverte à tous les publics. Avec une redoutable aisance, son écriture alliait l'analyse fine à une expérience personnelle, connectait l'anecdote à la recherche plus exigeante. L'idée du pissenlit vint ainsi rejoindre, dans une interrogation sur la fleur et sa charge symbolique, l'ornementation du passeport de l'auteure, ou le film Tampopo (Jûzû Itami, 1985) et sa vulgarité comique. Le discours évolua par évocations, comparaisons, renvois originaux et décalés – mais faisant toujours sens – vers les motifs du récit et ses circonvolutions possibles, tels la cécité / sexualité, l'impuissance, la neige, la montagne... Ces circonvolutions déjà présente dans le récit et entre les autres œuvres de Kawabata, Tawada les faisait rimer avec d'autres histoires, les siennes, celles de sa double-culture, de l'écriture et du quotidien de son pays. Elle mit ainsi en résonance, avec émotion, les restes de Fukushima avec les images du célèbre écrivain.

    En à peine une heure, la conférence de Tawada fut riche en thèmes et références, liant et déliant les figures tracées dans les Pissenlits de Kawabata. De l'hôpital à la montagne, de la fille au père, à la mère et à son mari, l'auteure a glissé un regard pertinent et très ouvert dans ses interprétations, jonglant autant avec les kanjis de son pays qu'avec les quelques objets posés devant elle, en guise d'évocations comiques. La légèreté de son ton et sa facilité à agripper ces différentes propositions n'ont étayé en rien l'exercice d'analyse et n'ont fait que redoubler l'envie de découvrir les écrits de ces Pissenlits.

    la page de l'événement : http://www.mcjp.fr/francais/conferences/pissenlits-dansant-dans-la-neige/pissenlits-dansant-dans-la-neige

    le site de Yoko Tawada : http://yokotawada.de/?page_id=24

  • Budori, l'étrange voyage

    Alice entre les saisons

    BUDORI, L'ÉTRANGE VOYAGE (GUSKÔ BUDORI NO DENKI) – Gisaburo Sugii

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    Adapté d'une nouvelle de Kenji Miyazawa, Budori est le récit initiatique d'un jeune personnage, entrecoupé de ses étranges visions dans un univers métaphorique. Habilement, le film de Gisaburo Sugii brasse, durant son voyage, divers tons, du fantastique onirique à un réalisme assez poignant.

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    Si Gisaburo Sugii emprunte l'imaginaire animalier dans ce récit, c'est, d'une part pour prolonger un style déjà engagé sur son adaptation de Train de Nuit dans la Voie Lactée, d'autre part pour aborder avec facilité le développement rude des événements. La qualité anthropomorphique de ces chats très attachants n'est pas sans rappeler l'aisance du Royaume des Chats dans cette représentation animée de ces animaux marchant maintenant sur deux pattes, habillés en costumes du temps présent, prêts à partager le quotidien familial. Ainsi, le tableau d'ouverture installe la vie paisible des parents et de la petite sœur de Budori, mais également sa tragédie. La disparition des parents tient à un métaphorique que l'utilisation des chats permet de faciliter. Avec finesse, Budori aborde ainsi l'idée de la mort, et parvient à signaler son caractère terrifiant. L'animation passe de la douceur et convivialité à un expressionnisme troublant de la nature. La maison isolée de la famille, auparavant perçue comme un havre de paix printanier, devient peu à peu une bicoque bancale sous le poids du vent et de la neige.

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    Les saisons rythment cette odyssée. Au-delà de la tendance fantastique, le film vaut surtout le détour par son traitement de ces saisons et des cycles de la vie, un thème cher au studio Ghibli (dans Le Conte de la Princesse Kaguya ou dans Les Contes de Terremer), mais qui gagne ici une véritable importance. La première partie est, sur ce point, édifiante, où tout le récit vient s'incarner dans l'évolution de la forêt et des cultures. Plus loin encore, c'est bel et bien ce changement de saisons et son clivage progressif qui engendre le fantastique réel du film. Le dérèglement climatique, lui-même surréaliste dans son principe, provoque aussi le dérèglement de l'image et du rythme. Les campagnes ou forêts auparavant très réalistes deviennent appauvries ou foisonnantes à excès, les rizières se font polluer par du pétrole et les volcans s'éveillent. Progressivement, l'animation de Gisaburo Sugii et du studio Tezuka Production se colore, prend des chemins plus audacieux, propose des décors plus sauvages ou éclectiques, en phase avec ce décollage de la dimension surréelle.

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    L'univers fantastique que développe parallèlement le film au voyage de son personnage parmi les campagnes s'affiche définitivement comme le monde merveilleux d'Alice. S'y retrouvent l'absurdité de Lewis Carroll, le déguisement derrière la loufoquerie des angoisses du jeune garçon, comme le travail forcé et à la chaîne, la monstruosité, la condamnation à mort... Paradoxalement, ces plongées dans l'univers sombre qui travaille l'esprit de Budori ont droit à un traitement particulièrement flamboyant. L'apparition du chat capé s'introduit de manière sublime dans le film, par des envolées lyriques et de fulgurants éclairs bleutés. Les scènes dans cet univers parallèle sont d'une telle beauté effrayante que se regrette vite leur disparition progressive au cours du film. Mais, comme pour Alice, elles ne sont que des songes éphémères, jamais capables d'accéder à un niveau de réalité supérieur.

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    Si le titre français a axé sa traduction sur le rapport à Alice (« l'étrange voyage »...), le titre original concentre bel et bien son action sur l'existence du personnage. En cela, l'atonie et la mollesse du jeune chat déconcerte un petit peu. Bien souvent, il se laisse guidé, mené par les événements sans véritablement y imposer son caractère ou sa présence. Les personnages secondaires pétillent de drôlerie tandis que le jeune Budori paraît, injustement et de manière décevante, constant dans ses actions, porté par la même naïveté nonchalante qui le laisse bien souvent pantois et figé face aux décors qui se déploient face à lui. Cette passivité demeure quelque peu frustrante au vu de l'évolution que prend le film et sa dimension humaine, où Budori arrive à la capitale, commence à travailler et à partager avec ses professeurs et collègues. Mais elle n'empêche pas l'émotion de jaillir sur ce qui se conclue par une belle leçon de vie.

  • La Maison dans l'arbre

    LA MAISON DANS L'ARBRE

    Un roman de Mitsuyo Kakuta

    Editions Actes Sud, 2013

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    Ce roman de Mitsuyo Kakuta s'empare d'un large destin familial, des premiers pas d'une femme exilée en Mandchourie jusqu'au balbutiements de son dernier petit-fils dans le Japon d'aujourd'hui. Petit à petit, l'écriture et la structure éclatée de l'auteure nous entraîne dans le tourbillon temporel qui s'agence et qui grandit en couples, enfants, petit-enfants...

    À chaque nouveau personnage introduit, de part et d'autre des deux époques, se pose bien souvent la question de son évolution. Comment en est-il arrivé là ? Qu'a-t-il pu se passer pour qu'un tel personnage évolue ? Les transitions et les dichotomies entre les comportements soulèvent un véritable suspense psychologique et humain, progressivement prenant. L'ouverture, trompeuse, laisse croire à l'importance de Yoshitsugu, le dernier de la famille, qui décide après le décès de son grand-père, responsable du grand restaurant familial, d'emmener sa grand-mère en Mandchourie. Mais, l'entrée de cette dernière sur le pays où elle a rencontré son mari fait recommencer l'histoire familiale. Progressivement, tous les personnages précédemment vus à travers le regard de Yoshitsugu, notamment son frivole oncle Taijiro qui les accompagne pour le voyage, retrouvent leur place et se révèlent. La grand-mère devient le pivot de cette transition temporelle, entraînant dans le passé de deux immigrés japonais et ouvrant sur un rapport singulier à l'Histoire.

    Avec finesse, le roman de Mitsuyo Kakuta embrasse toute la seconde moitié du siècle jusqu'au nouveau millénaire, et propose dans un mouvement romanesque ambitieux un regard sur les grandes évolutions de son pays. Le projet d'unification des peuples d'Asie, la Seconde Guerre Mondiale et la défaite, la reconstruction du Japon, l'arrivée de la télévision, les rébellions des années 1970 sont autant d'événements qui jalonnent le roman. L'écriture de Mitsuyo Kakuta et son aisance condense brillamment ces évolutions, les faisant filtrer au travers des personnages. Mais au-delà de la peinture historique et sociale, c'est la progression humaine qui touche dans ce récit. En parallèle des mouvements du pays, la famille se construit, affirme ses valeurs propres tut en s'effritant dans son évolution. Là réside la paradoxe de ce destin déchirant : plus la famille s'étend, plus elle assure sa pérennité, plus ses membres sont voués à disparaître, à s'effacer, à s'individualiser. « N'avons-nous pas honte d'avoir fui ? » s'interroge constamment la grand-mère, divulguant inconsciemment ce comportement de fuite dans l'héritage familial, où chacun s'éloigne, revient sur ses pas, tente de vivre par lui-même, puis redevient dépendant... Autant de trajets et de retours qui, bien qu'intensifiés, nous rappellent à notre propre famille.

    Avec douceur, dans un surprenant et lent assouplissement du rythme, le roman de Mitsuyo Kakuta soulève le bouleversement. Les pièces se mettent en place, les enfants naissent et grandissent, le travail évolue, les souvenirs se connectent à la réalité présente. Dans cette fabuleuse saga s'agite sur ses dernières pages la vérité sur les réactions des uns et des autres, et se révèlent les failles de chacun. Se met ainsi en place la genèse de ce titre poétique, cette « maison dans l'arbre » qui est un improbable refuge loin de la lourde quotidienneté des sentiments familiaux, loin de l'inévitable glissement du destin. Se comprend ainsi, dans l'attachement de la grand-mère et de l'oncle au jeune Yoshitsugu - qu'ils surnomment tous deux « mon petit Yoshi » - leur reconnaissance fugace et spectrale d'un des enfants disparus dans cette histoire. Se dessine, dans les dernières pages du retour au pays, le sentiment d'avoir plongé au cœur des dissensions et des passions familiales, et d'en ressortir la tête pleine d'idées émues et tendres.

  • Detective Dee 2 : La Légende du dragon des mers

    Un Fantastique démesuré

    DETECTIVE DEE 2 : LA LEGENDE DU DRAGON DES MERS (DI RENJIE : SHEN DU LONG WANG) – Tsui Hark

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    Ce prequel à l'excellent Detective Dee : le Mystère de la flamme fantôme s'impose plus comme une fantaisie de la part de Tsui Hark plutôt qu'un véritable second volet. Detective Dee 2 diffère ainsi radicalement du premier, que ce soit dans son esthétique ou dans ses choix narratifs.

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    Le premier volet proposait brillamment une enquête prenante, révélant la complexité d'une époque, du pouvoir de l'Impératrice, tout en composant un Dee désabusé et torturé. Ainsi, à la flamboyante réalisation s'alliaient une certaine finesse de regard et des personnages aux convictions très différentes. Detective Dee 2, lui, prend la direction d'un divertissement beaucoup plus fantaisiste. La proposition d'un Dee plus jeune confère à l'enquête du film un dynamisme revigorant et un malin penchant vers l'absurdité. Les scènes d'action gagnent en spectaculaire, en ampleur, et en effets spéciaux, et le rythme soutient la surenchère de l'entreprise.

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    La Légende du Dragon des mers ancre définitivement le propos dans le fantastique, ou du moins dans une atmosphère abracadabrantesque au possible, étonnamment riche en références. À la texture sombre et tortueuse du premier volet répond une abondance de tons et de décors divers dans le second, plongeant dans les rues agitées de la capitale jusqu'aux rivages d'une île exotique et lugubre, s'engloutissant dans des palais ou des mares de nénuphars, et offrant parfois de somptueux dégradés de couleurs (lors de la séquence dans la teinturerie en particulier). Dans ce film dégouline véritablement ce plaisir de Tsui Hark à filmer ses jeunes héros, tous des acteurs ou chanteurs populaires de Hong Kong, et à les confronter aux situations absurdes. L'esthétique du film assimile, dans ce même plaisir, les références les plus diverses, reprenant la virtuosité du wu xia pian, la rivalité camarade du film de kung-fu, mais également l'artifice du film de monstres. Les créatures du film dégagent une excentricité proche des films fantastiques américains des années 1950, et le film assume entièrement l'aspect artificiel des effets spéciaux. Ce n'est donc plus la révélation de l'artifice et sa dé-construction par les explications scientifiques d'Andy Lau dans le premier volet, mais bien plus le choc de la raison du détective contre un fantastique démesuré et sublimé.

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    En ce sens, le film n'est pas dénué d'humour et offre des séquences d'action absolument jouissives, car elles osent à l'étalage des idées les plus tortueuses. Le plan de Luoyang, cloué au mur dans le Temple Suprême, se transforme donc aisément sous le regard scrupuleux de Dee, devenant cartographie animée et reconstituée. Lorsqu'elle est convoquée, l'intelligence du personnage est sans cesse le moyen de propulser les retouches numériques ou les incrustations, faisant sentir et agir la logique des événements. Une telle émulation du visuel et du son au service du travail mental n'est pas sans rappeler les visions de Sherlock Holmes dans les deux films de Guy Ritchie. L'aspect scientifique abonde ainsi en trouvailles décapantes, tels le repoussant antidote contre un thé empoisonné (doublé d'un gag en cours de générique), les rejets exorcisants de parasites sur les corps des nobles ou encore les batailles contre d'une créature marine gigantesque. En outre, Tsui Hark offre à son personnage une nouveauté, celle d'une faiblesse. Dee ne sachant pas nager, ce manque est comblée par une spectaculaire séquence maritime de course-poursuite... à cheval.

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    Loin de son divertissement, Detective Dee 2 ne présente cependant pas la richesse émotionnelle présente dans le premier film. Le raffiné Andy Lau confrontait d'excellents ennemis. Mark Chao est un second détective très convaincant, mais ceux qu'il rencontre n'atteignent pas la même force que dans le précédent volet, et desservent bien plus les ressorts scénaristiques auxquels ils sont rattachés. Le protagoniste de Zhenjin (William Feng) offre certes un rival charismatique et dont le sérieux contraste avec l'humour désabusé de Dee, mais sa relation entreprise avec le détective reste en surface celle de batailles partagées. Angelababy, jouant la courtisane, et Lin Gengxi dans celui de Shatuo endossent des habits déjà usés, loin de la grâce de Li BingBing ou de Carina Lau. À ce film de Tsui Hark manque de véritables affrontements, non pas visuels, mais psychologiques.