Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Une vie simple
Plaisirs culinaires
UNE VIE SIMPLE – Ann Hui
Une vie simpleest un film très culinaire, et ce n'est pas ce qui le dessert, bien au contraire ! La simplicité du film (et donc, de la vie de ses protagonistes) vient avant tout des échanges, plaisirs, partages de la cuisine et des plats chinois. Une simple soupe devient dans le cadre du drame de la fin de vie de Ah Tao (Deanie Ip), servante dévouée à la famille Leung et ayant presque élevée par elle-même le dernier fils, Roger (Andy Lau), devient une véritable bénédiction.
Dès le début du film, le scénario nous vante les mérites culinaires de la vieille servante, filmée cachée dans la cuisine ou sélectionnant avec sévérité ses ingrédients au marché, et la réalisation se plaît à en faire la démonstration, dans des scènes absolument alléchantes. Par la suite, toute la tendresse d'Une vie simple résidera avant tout dans les efforts que vont déployer Roger et le reste de la famille pour prendre soin de Ah tao, paralysée et recluse dans une piteuse maison de repos suite à un infarctus. Lui préparer et lui offrir des plats sera la principale attention apportée, donnant lieu à des déclinaisons comiques de ces simples gestes : Roger ou sa mère, connaissant l'exigence d'Ah Tao, verront leurs plats critiqués par la malade, débouchant sur des scènes comiques. Dans ce rapport entre Roger et la servante, c'est bien une histoire de filiation qui se noue, teintée de romance amoureuse. La relation est cernée au travers de séquences d'une tendre complicité, refusant le larmoiement pour se concentrer sur les petites plaisirs de la vie, ou encore les découvertes nostalgiques. En témoigne une émouvante séquence de fouille dans les cartons, où la vieille femme redécouvre, à la veille de sa mort, son tout premier salaire de servante, tandis que son protégé la regarde amoureusement s'extasier.
En outre, Une vie simple réussit à garder un équilibre plaisant entre le mélodrame et le comique. Le choix d'un sujet aussi lourd est non seulement traité avec une belle justesse, mais est de plus constamment enrichi de touches burlesques et humoristiques. Dans la maison de repos, le caractère assez infernal tout autant qu'attendrissant du lieu est relevé, où les personnes âgées peuvent se révéler insupportables, bornées, disputant un voisin qui peine à manger, réclamant de l'argent à tout va, ou encore se trompant de dentier. En outre, le film joe habilement de l'image de Andy Lau, un choix très habile dans le casting, puisqu'il incarne un producteur de blockbusters, pourtant habitué à vivre simplement car fidèle aux codes de vie modestes de celle qui l'a élevé. De ce contexte naissent des scènes burlesques, tournant en dérision le cinéma chinois : apparition hilarante de Tsui Hark réclamant plus de budget pour son film ; reconversion de Anthony Wong, fidèle acteur de Johnnie To, en directeur de maison de retraite à l'allure d'un mafieux...
La simplicité du film et de ses intentions en font une histoire forte, et éminemment touchante. Son rythme parvient à nous faire suivre, dans une troublante vérité, le sentiment de la maladie qui nous dépasse, pouvant faire passer d'un rétablissement plein d'espoir à une brusque dégradation. Les interprétations sont époustouflantes, Deanie Ip jouant de manière impressionnante ce corps malade passant par toutes les phases sans perdre de sa dignité ; et Andy Lau, dans un choix judicieux, à la fois en lien avec son image de célébrité et à contrepoint de ses rôles habituels, joue sur la carte de l'intime et sur celle de son impeccable sobriété.