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  • Youn Sun Nah

    Youn Sun Nah

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    J'ai découvert Youn Sun Nah l'année dernière, lors de la sortie de son album Same Girl, hautement acclamé par le domaine du jazz à l'époque. Mais l'artiste d'origine coréenne ne se limite pas uniquement à des reprises dans l'univers du jazz, tant elle s'avère polyvalente, puisant dans différentes cultures, différentes ressources vocales, et surtout langues. De la chanson française (l'éternel Ne me quitte pas de Jacques Brel à l'envoûtant India Song de Duras, en passant par du Léo Ferré) à la chanson traditionnelle de son pays d'origine (Arigang, célèbre chant coréen), Youn Sun Nah multiplie les nationalités, multilingue avec aisance. L'anglais domine, que ce soit sur des reprises (My Name is carnival, puissante chanson méconnue de Jackson C Frank) ou des versions revisitées de titres cultes, par exemple sa surprenante interprétation du Enter Sandman de Metallica. Le français, deuxième patrie de l'artiste, a aussi une part importante, avec les très belles reprises, à la hauteur des versions originales, de célèbres chanteurs. La prestation exotique de Ne me quitte pas atteint par exemple la même émotion fiévreuse tout y intégrant une forte sensualité avec l'ajout de l'accordéon et de la batterie, mais aussi les puissants crescendos, quasi lyriques, de la voix de Youn Sun Nah. Car cette artiste, impressionnante sur les concerts, n'hésite pas à multiplier non seulement les langues, mais aussi les possibilités vocales : vocalises en tous genres, chants de gorge, claquements de langue, gloussements et autres onomatopées buccales agencent les textes, ou parfois remplacent le texte, comme c'est le cas pour Enter Sandman, mais aussi Calypso Blues, où elle utilise la loop machine. Quant à l'accompagnement musical, il peut donner dans le blues ou le jazz léger (Uncertain Weather par exemple, l'une de ses propres chansons), et, dans les meilleurs morceaux, vers la culture latino ou orientale, par exemple avec Breakfast In Bagdad. Véritablement agréables à l'écoute, les chansons de Youn Sun Nah peuvent autant nous émouvoir tendrement que nous dynamiser.

     

    Ci-dessus, des liens vers quelques unes des nombreuses vidéos de l'artiste :

    Calypso Blues, géniale et très soignée interprétation à la loop machine

    Enter Sandman, version revisitée de Metallica

    Avec le temps, d'après Leo Ferré

    My name is Carnival

    Breakfast in Baghdad

     

  • A Bittersweet Life

    A BITTERSWEET LIFE – Kim Jee-Woon

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    Avant J'ai rencontré le Diable et Le Bon, la Brute et le Cinglé, Kim Jee-woon avait déjà tourné A Bittersweet Life avec son acteur fétiche, la star Lee Byun-hun. Ce film est le deuxième que je découvre de Kim Jee-woon. Il permet de confirmer le goût pour le mélange des genres qu'opère toujours le cinéaste sud-coréen dans sa réalisation et son scénario, ainsi que le talent de Lee Byun-hun. Mais A Bittersweet Life déçoit quelque peu par son propos limité et des ficelles scénaristiques convenues, en dépit de l'élégance et la photographie et de l'impressionnante esthétisation de la violence.

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    La clé du film est contenue dans le titre même, A Bittersweet life, que l'on pourrait maladroitement traduire en français par une « vie douce-amère ». L'apparition de ce titre est illustrée, au début du film, par ce plan sur le personnage central, Sun Woo, incarné par Lee Byung-hun, mettant son carré de sucre dans un café bien noir, l'image de cette action simple s'alliant au titre puis au récit tout entier. Dans ce film, la douceur frôle la violence brute et sans pitié, et deux extrêmes incarnent ainsi la cinématographie, tout comme il peut avoir deux antagonismes permanents, le ciel et la terre, dans le cinéma du grand réalisateur Lee Chang-dong. La très belle mise en images et en sons de cet antagonisme s'avère très belle. Le film s'ouvre par exemple sur cet impressionnant plan-séquence où Sun Woo, dans son élégant costume sur mesure, quitte le comptoir luxueux, passe devant les serveuses tirées à quatre épingles, traverse des cuisines actives pour atterrir dans les bas-fonds mal-famés de l'hôtel, comme une véritable descente aux enfers. Le lyrisme intervient ensuite avec le personnage de la maîtresse du patron de Sun Woo, figure sensée être coupable aux yeux de l'employeur, mais qui, sous les yeux de Sun Woo revêt une importance romantique. Son émotion est transcrite par des évocations poétiques : l'ouverture sur le feuillage des arbres en mouvement, propres au « mouvement du cœur », des plans sur les cheveux féminins glissés derrière les oreilles, la présence musique classique qui s'oppose au rock des scènes d'action.

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    En parallèle, par opposition, le film restitue une violence sourde et bien souvent insoutenable, violence que le cinéma coréen actuel a su toujours retranscrire avec force et sans tabous. Après une première partie avec des séquences qui montent peu à peu dans l'horreur (la torture, la punition corporelle) jusqu'à l'intensive scène de fuite, la violence va ensuite dans un absurde inattendu, à la fois esthétique, amusant et terrifiant : la très amusante scène du combat au rythme de l'interrupteur qui s'allume et s’éteint ; le terrible mais risible passage où, avant de tuer sa cible, le héros se voit apprendre à démonter une arme par celui qu'il tuera par la suite ; l'élégante séquence où l'une des cibles patine sur la glace, non pas pour profiter de la patinoire où a lieu l'affrontement, mais parce qu'elle est touchée au pied. Tout ceci pour converger vers l'ultime vengeance, où tous les moyens sont déployés pour impressionner le spectateur : cascades, plongées et contreplongées, mouvements dans le cadre, multiplicités des cachettes dans le décor, jeu de reflets... Le film trouve là ses limites, dans ce scénario qui jalonne les étapes jusqu'à un affrontement épique attendu, mais dont la terrible conclusion semble évidente dès le départ. Le suspense reste peu présent, tant le personnage est condamné dès les premiers plans, avec cette métaphorique descente dans les bas-fonds de l'hôtel. De même, l'élément salvateur que représente la jeune femme reste un lieu commun largement utilisé dans de nombreux films.

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    Compensant les failles d'un scénario convenu, le jeu de Lee Byung-hun, grande star coréenne, ayant aussi joué la Brute dans le Bon, la Brute et le Cinglé, s'avère impressionnant et subtil. Son visage impassible, son regard calme finissent par se refermer totalement et se raffermir avant chaque explosion de violence. La sobriété de cet acteur, qui n'use pas que de son charmant visage, rappelle le jeu de Casey Affleck dans The Killer inside me (le très mauvais film de Michael Wintterbottom, en dépit de l'excellente interprétation de l’acteur américain) : même visage d'ange dans la tourmente. L'acteur joue aussi de son corps et de l'élégance de sa silhouette, son costume semblant sans cesse le protéger des coups. Il referme par exemple le bouton de sa veste avant chaque action violente, comme pour se redonner une contenance. La veste sera enfin progressivement et symboliquement tâchée de sang jusqu'à la fin du film, à l'image d'un honneur déchu, d'une place perdue à jamais.

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    On intègre souvent le nom de Kim Jee-woon à ce groupe de cinéastes coréens qui esthétisent la violence physique et morale, comme Bong Joon-ho ou Park Chan-wook. Il existe cependant une différence fondamentale entre Kim Jee-woon et Park Chan-wook, tous deux tournés vers un cinéma de violence et de mise en scène de cette violence à l'écran, c'est que l'un tourne pour explorer, expérimenter, s'amuser avec divers genres, alors que l'autre travaille toujours de manière à servir un propos engagé. Dans A Bittersweet Life, Kim Jee-woon s'en cantonne à une vague, voire grotesque imagerie des mafias et des gangs, étant loin de tout ce que diffuse Chan-wook sur les frustrations de la société coréenne, sa misère et son cloisonnement dans sa trilogie de la vengeance. A Bittersweet Life est ainsi un film très impressionnant, très bien maîtrisé dans sa réalisation, porté par son excellent acteur Lee Byung-hun, mais dont il manque une subtile réflexion face à cet étalage virtuose de violence et de combats. bitterlee2.jpg

  • dans le studio Ghibli

    Dans le Studio Ghibli – Travailler en s’amusant

    Toshio Suzuki

    Editions Kana

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    Difficile de trouver la catégorie pour ce récit du producteur du studio Ghibli dont je viens de commencer la lecture. Publié par les éditions Kana, branche francophone de publications de manga, il est pourtant un récit autobiographique agrémenté de quelques illustrations, et non pas un manga, et dépeint de près diverses anecdotes concernant le studio Ghibli et ses deux fondateurs incontournables, Isao Takahata et Hayao Miyazaki. J’ai finalement décidé de le ranger dans la catégorie littérature, car il s’agit avant tout d’un récit autobiographique entrepris par Toshio Suzuki.

    La seconde partie du titre « travailler en s’amusant » s’allie parfaitement avec le forme agréable et le style simple de Suzuki, en parfaite adéquation avec la légèreté sincère des productions Ghibli. Dès sa préface, intitulé « les souvenirs inscrits en nous », Suzuki évoque l’importance de la notion de l’instant présent pour les deux réalisateurs avec lesquels il collabore, notamment Hayao Miyazaki, affectueusement surnommé « Miya » qui est « un spécialiste de l’oubli ». Suzuki aborde cette notion du présent, de l’immédiateté des projets pour en déduire sa démarche de remémoration, simple et non organisé, du moins juste chronologique, qui vise à raconter diverses anecdotes précises, des lambeaux inscrits en lui, ne voulant aucunement forcer la mémoire. Ce qui en fait un récit aux multiples références, détournements, allant de citations littéraires brusquement délivrées à de percutantes phrases retenues dans les échanges avec les réalisateurs. Le livre s’organise en une série de chapitres suivant la création de la revue Animage, première revue consacrée à l’animation japonaise dont Toshio Suzuki a été le principal créateur, la réalisation de Nausicaa, la fondation du studio Ghibli… chacun introduit par une citation de l’auteur ou de ceux qu’il a rencontrés : « Quand on côtoie quelqu’un, il faut partager sa culture » ou «dévaler une pente ensemble, c’est ça, réaliser un film ». Ces courtes phrases font la spontanéité du récit, immédiatement complice avec le lecteur.

    Toshio Suzuki a une formation de journaliste-rédacteur, ayant collaboré à l’hebdomadaire Asahi Geinô, et par la suite, à la revue Animage, toute première revue exclusivement consacrée à l’animation japonaise en 1978, ce qui était une grande première. C’est dans le cadre de la création de cette dernière qu’il a rencontré Takahata et Miyazaki. Sa formation et son esprit journalistique, puis ensuite de producteur fidèle à ses deux compères, en font quelqu’un d’altruiste, partageant généreusement anecdotes et un point de vue fort intéressant et précis sur les méthodes de travail des réalisateurs. Il raconte par exemple sa première terrible rencontre avec Takahata, qui refusait un entretien avec le journaliste, lui dressant  une série de remontrances durant une heure entière pour argumenter son refus. On peut aussi découvrir de courts croquis d’affiches de films (Ponyo sur la Falaise, dernier né de Miyazaki père, qui orne la couverture du livre, mais aussi Horus, Prince du soleil), des dessins inédits de Toshio Suzuki ou de Miyazaki, et même des extraits de storyboard, par exemple celui du Château de Cagliostro, témoin de la précision rigoureuse de Miyazaki. Car le récit n’est pas seulement un empilement d’anecdotes savoureuses,  il livre aussi un point de vue sur les techniques employées par le studio Ghibli, tout en ouvrant le champ à d’autres formes de l’animation (un parallèle est effectué avec Disney) et avec de multiples formes culturelles (la littérature, notamment, qui a une place fondamentale).

    Je conseille ainsi l’achat de ce livre pour les passionnés des studios Ghibli, mais aussi pour ceux qui veulent avoir un aperçu sur le métier de producteur ou sur l’animation japonaise en général. Passionnant et très agréable à lire, il nous fait encore plus aimer le travail des studios sans tomber dans l’autocélébration !