A BITTERSWEET LIFE – Kim Jee-Woon
Avant J'ai rencontré le Diable et Le Bon, la Brute et le Cinglé, Kim Jee-woon avait déjà tourné A Bittersweet Life avec son acteur fétiche, la star Lee Byun-hun. Ce film est le deuxième que je découvre de Kim Jee-woon. Il permet de confirmer le goût pour le mélange des genres qu'opère toujours le cinéaste sud-coréen dans sa réalisation et son scénario, ainsi que le talent de Lee Byun-hun. Mais A Bittersweet Life déçoit quelque peu par son propos limité et des ficelles scénaristiques convenues, en dépit de l'élégance et la photographie et de l'impressionnante esthétisation de la violence.
La clé du film est contenue dans le titre même, A Bittersweet life, que l'on pourrait maladroitement traduire en français par une « vie douce-amère ». L'apparition de ce titre est illustrée, au début du film, par ce plan sur le personnage central, Sun Woo, incarné par Lee Byung-hun, mettant son carré de sucre dans un café bien noir, l'image de cette action simple s'alliant au titre puis au récit tout entier. Dans ce film, la douceur frôle la violence brute et sans pitié, et deux extrêmes incarnent ainsi la cinématographie, tout comme il peut avoir deux antagonismes permanents, le ciel et la terre, dans le cinéma du grand réalisateur Lee Chang-dong. La très belle mise en images et en sons de cet antagonisme s'avère très belle. Le film s'ouvre par exemple sur cet impressionnant plan-séquence où Sun Woo, dans son élégant costume sur mesure, quitte le comptoir luxueux, passe devant les serveuses tirées à quatre épingles, traverse des cuisines actives pour atterrir dans les bas-fonds mal-famés de l'hôtel, comme une véritable descente aux enfers. Le lyrisme intervient ensuite avec le personnage de la maîtresse du patron de Sun Woo, figure sensée être coupable aux yeux de l'employeur, mais qui, sous les yeux de Sun Woo revêt une importance romantique. Son émotion est transcrite par des évocations poétiques : l'ouverture sur le feuillage des arbres en mouvement, propres au « mouvement du cœur », des plans sur les cheveux féminins glissés derrière les oreilles, la présence musique classique qui s'oppose au rock des scènes d'action.
En parallèle, par opposition, le film restitue une violence sourde et bien souvent insoutenable, violence que le cinéma coréen actuel a su toujours retranscrire avec force et sans tabous. Après une première partie avec des séquences qui montent peu à peu dans l'horreur (la torture, la punition corporelle) jusqu'à l'intensive scène de fuite, la violence va ensuite dans un absurde inattendu, à la fois esthétique, amusant et terrifiant : la très amusante scène du combat au rythme de l'interrupteur qui s'allume et s’éteint ; le terrible mais risible passage où, avant de tuer sa cible, le héros se voit apprendre à démonter une arme par celui qu'il tuera par la suite ; l'élégante séquence où l'une des cibles patine sur la glace, non pas pour profiter de la patinoire où a lieu l'affrontement, mais parce qu'elle est touchée au pied. Tout ceci pour converger vers l'ultime vengeance, où tous les moyens sont déployés pour impressionner le spectateur : cascades, plongées et contreplongées, mouvements dans le cadre, multiplicités des cachettes dans le décor, jeu de reflets... Le film trouve là ses limites, dans ce scénario qui jalonne les étapes jusqu'à un affrontement épique attendu, mais dont la terrible conclusion semble évidente dès le départ. Le suspense reste peu présent, tant le personnage est condamné dès les premiers plans, avec cette métaphorique descente dans les bas-fonds de l'hôtel. De même, l'élément salvateur que représente la jeune femme reste un lieu commun largement utilisé dans de nombreux films.
Compensant les failles d'un scénario convenu, le jeu de Lee Byung-hun, grande star coréenne, ayant aussi joué la Brute dans le Bon, la Brute et le Cinglé, s'avère impressionnant et subtil. Son visage impassible, son regard calme finissent par se refermer totalement et se raffermir avant chaque explosion de violence. La sobriété de cet acteur, qui n'use pas que de son charmant visage, rappelle le jeu de Casey Affleck dans The Killer inside me (le très mauvais film de Michael Wintterbottom, en dépit de l'excellente interprétation de l’acteur américain) : même visage d'ange dans la tourmente. L'acteur joue aussi de son corps et de l'élégance de sa silhouette, son costume semblant sans cesse le protéger des coups. Il referme par exemple le bouton de sa veste avant chaque action violente, comme pour se redonner une contenance. La veste sera enfin progressivement et symboliquement tâchée de sang jusqu'à la fin du film, à l'image d'un honneur déchu, d'une place perdue à jamais.
On intègre souvent le nom de Kim Jee-woon à ce groupe de cinéastes coréens qui esthétisent la violence physique et morale, comme Bong Joon-ho ou Park Chan-wook. Il existe cependant une différence fondamentale entre Kim Jee-woon et Park Chan-wook, tous deux tournés vers un cinéma de violence et de mise en scène de cette violence à l'écran, c'est que l'un tourne pour explorer, expérimenter, s'amuser avec divers genres, alors que l'autre travaille toujours de manière à servir un propos engagé. Dans A Bittersweet Life, Kim Jee-woon s'en cantonne à une vague, voire grotesque imagerie des mafias et des gangs, étant loin de tout ce que diffuse Chan-wook sur les frustrations de la société coréenne, sa misère et son cloisonnement dans sa trilogie de la vengeance. A Bittersweet Life est ainsi un film très impressionnant, très bien maîtrisé dans sa réalisation, porté par son excellent acteur Lee Byung-hun, mais dont il manque une subtile réflexion face à cet étalage virtuose de violence et de combats.