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Critique de Lucky Strike

La mécanique du sac

LUCKY STRIKE (지푸라기라도 잡고 싶은 짐승들, 2019) - Yong-hoon KIM

Le succès de Parasite a peut-être entraîné une perception biaisée sur le cinéma sud-coréen. Succédant à la Palme d'or dans le calendrier des sorties en France, Lucky Strike a en effet reçu les félicitations du premier film « prometteur », le partenariat de France Culture et une relative bonne visibilité au lendemain de la réouverture des cinémas durant l'été 2020. Pour autant, le film déçoit les attentes et sa qualité tient pour beaucoup au casting et à l'équipe technique.

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En effet, les atouts esthétiques propres au film restent indéniables. Pour un premier long-métrage, les acteurs, tous de grands noms vus çà et là chez Lee Chang-dong, Kim Jee-woon ou Ryoo Seung-wan, sont bien dirigés, le cadre est propre, le son soigné, la lumière bien pensée. La chambre de Tae-young (Jeong Yoo-seong) est ainsi successivement éclairée par les néons des bars alentours, clignotant littéralement de bleu et de rouge. Mais cette idée, si séduisante soit-elle dans le plan, ne s'articule guère avec le sens de ce chassé-croisé, ni avec la psychologie fort lisse des personnages. Tout au plus, le changement de lumière sert d'avertissement pour les crimes et les déchirements à venir. L'écriture des personnages se révèle similaire à ces potentiels éléments de compréhension filmique rapidement épuisés ou abandonnés au fil du film. C'est le cas de la vieille dame incarnée par Youn Yuh-jung, immense actrice qui n'apparaît qu'à quelques reprises et se révèle réduite à une simple manifestation de la folie.

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L'efficacité moindre du thriller se mesure par ailleurs dans le respect sage du roman dont il est tiré. L'absence d'approfondissement des personnages pointe une certaine prudence vis-à-vis de leur place au sein du schéma scénaristique. Il ne s'agit pas de briser le fil des transactions, mais d'au contraire renforcer les effets de karma. De fait, le film s'alourdit lui-même dans la démonstration de son principe, et ne propose rien de plus que le jeu du récit noir... En outre, les quelques effets de « surprise », où le destin s'abat sur l'un ou sur l'autre des protagonistes une fois leur implication, constituent rarement des subversions. Ainsi, lorsque le véritable visage de la patronne du bar (Jeon Do-yeon) est révélé, ce revirement arrive de façon grotesque, presque simpliste car imposé dans le simple but de servir la mécanique, et ne débouche pas sur une nouvelle lecture plus complexe du personnage.

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De fait, le point de vue de Kim se fonde uniquement sur ces enjeux de mécanique scénaristique. L'usage d'un chapitrage méticuleux, s'appuyant sur des effets d'annonce, ne fait que freiner l'histoire et l'enfermer dans un rythme patent. Ainsi, pour tout spectateur féru de romans policiers ou de films noirs, les faits divers mentionnés à la télévision au début du film se prédestinent dès le départ à agir comme une grille de lecture, ce qui évacue tout suspense ou effet de surprise par la suite. Certes, la trajectoire du sac aurait pu être prétexte à cibler certaines réalités sociales, en particulier celles des trafiquants ou de la prostitution. Néanmoins, le regard porté sur ces réalités évite également toute réflexion ou élaboration d'un propos surpassant ces histoires de sac et d'argent. Malheureusement, il ne fait que soumettre chaque micro-univers traversé à la même logique implacable et au même discours d'une avarice et d'un égoïsme rongeant les personnages. La structure, si elle paraît bien construite, chapitrée avec soin, ne déraille jamais et enferme, à tous les niveaux, dans la répétition.

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