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Katsuben !

L'homme devant l'écran

 

Katsuben ! (かつべん, 2019) - Masayuki Suo

Projeté en avant-première au Kyôto Historica Film Festival, actuellement dans la programmation du Kinotayo Festival en France, Katsuben ! propose de revisiter l'histoire du film muet à travers la figure emblématique du benshi, mais aussi sous le ton dominant de la comédie. Cette association donne au film sa singularité et son dynamisme, mais n'échappe à quelques poncifs dominants dans le cinéma japonais commercial actuel.

Katsuben est la contraction de katsudô shashin et benshi, deux termes indispensables à la compréhension du contexte du film muet au Japon. Le katsudô shashin désignait le film avant d'être substitué par eiga, le terme actuel pour désigner le cinéma au Japon. Littéralement, l'expression peut se traduire par « photographies en mouvement », et rappelle le motion picture utilisé dans les pays anglophones. Le benshi renvoie au célèbre métier de bonimenteur durant la projection de films muets face au public. Chargé d'expliquer les images projetées et de raconter une histoire, le benshi japonais a cette singularité qu'il était une véritable star en son temps. Donald Richie évoque cette popularité dans ses ouvrages sur le cinéma japonais1 et n'hésite pas à dresser la comparaison avec l'attrait propre aux stars hollywoodiennes.

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Le long-métrage de fiction Katsuben ! se saisit dans un premier temps de cette réalité historique. La reconstitution a d'autant plus de sens que le métier reste pratiqué aujourd'hui, même si le nombre de benshi a évidemment, fortement diminué. Actuellement, Ichiro Kataoka fait par exemple de nombreuses tournées internationales2 pour accompagner la restauration du film Chuji tabi nikki (1927). Gage d'appréciation du film par le public, le katsuben a une véritable position de conteur intermédiaire pouvant influer sur la compréhension de l'œuvre projetée. Le long-métrage restitue bien ce travail à travers de nombreuses séquences mémorables. Son personnage principal, Shuntarô Sometani (Ryô Narita), est un jeune homme aspirant à pratiquer cet art malgré sa condition prolétaire. Mais seule la participation à l'arnaque montée par un groupe lui permet de conter les films sous le déguisement d'une personnalité connue. S'il parvient à s'enfuir de la troupe criminelle et à trouver sa place dans un ancien théâtre de quartier, ce passé le rattrapera.

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Le film a su tirer parti de son sujet en proposant une très belle reconstitution. Les scènes de performance restituent l'ambiance du théâtre populaire et appuient le rôle essentiel comme la célébrité du benshi, souvent avec la comédie. Ainsi, le rival de Shuntarô est dépeint avec l'aura similaire d'une idol, capable de provoquer des vagues d'évanouissements dans la salle. Dans la dernière partie, une séquence très intéressante dévoile le travail de répétition et de préparation du bonimenteur. Les bandes de pellicule du cinéma ont en effet été déchiquetées en morceaux par les antagonistes et le héros et son ami projectionniste doivent recomposer une histoire à partir d'extraits divers. Au rythme d'une improbable écriture dans la narration et les voix, ils assemblent des acteurs occidentaux avec des orientaux, du drame avec de la comédie – le premier film avant-gardiste japonais ?

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Le réalisateur Masayuki Suo fut à l'origine de plusieurs films dansants auparavant, et le rapport au chorégraphique qu'il a entretenu dans sa carrière est palpable dans sa mise en scène du cinéma et de ses personnages. De fait, le genre qui sert au mieux ce rapport – et constitue la réussite du film – est le comique burlesque. Dans ce grand théâtre à l'ancienne, entre les coulisses, les chambres, la salle de projection et l'espace de la scène, le cinéaste s'amuse à orchestrer de mini-affrontements entre le lieu et la troupe de benshi. Entre les planchers qui craquent, le projecteur qui s'enraye, les rideaux qui tombent, les tiroirs qui ferment mal, les comédiens bataillent face à un décor au final aussi personnage qu'eux, exploré et heurté en tous sens. En témoigne cette attendue mais réussie scène de déchirure de l'écran en deux, révélant en pleine projection un vrai couple derrière celui de la pellicule. Cette dimension donne sa personnalité au film, et le plaisir à suivre une histoire parfois cahotante.

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En effet, cette légèreté appréciable se trouve parfois entamée par une certaine maladresse dans l'écriture du scénario et de la galerie de personnages accompagnant Shuntarô. Là se dévoile l'une des failles dans le cinéma populaire japonais actuel, où les figures secondaires repose bien souvent sur l'exacerbation de caractéristiques précises. Ce n'est qu'une supposition mais la profusion depuis plusieurs années des œuvres adaptant de nombreux mangas en prise de vue réelle pourrait expliquer cette tendance.

Le manga use de ressorts visuels pour l'identification caractérielle, où chaque élément graphique renvoie, par la force d'une mémoire commune en circulation, à un stéréotype bien précis. Le jeu d'identification participe au plaisir de la lecture et aux attentes : ainsi, telle mèche rebelle, tel menton arrondi, ou tels yeux perçants guident instantanément sur la compréhension d'un personnage et facilite l'entrée dans l'univers dessiné et paginé, parfois pour s'en défaire par la suite. La transposition de ces codes graphiques dans le live-action se heurte à la réalité et l'absence d'un style graphique : ce sont donc souvent les accessoires, les costumes, le maquillage et enfin l'interprétation accentuée des acteurs qui prolongent ces codes sans pour autant y trouver une parade aussi satisfaisante que sur le papier.

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Katsuben ! n'est certes pas l'adaptation d'un manga mais se retrouve dans l'interprétation et la mise en scène de ses protagonistes cette même tendance à grossir le trait et à caractériser chacun par une personnalité stéréotypée voyante. Si le choix rappelle la tendance globale, il se lie aussi à la volonté de rendre hommage à certains types précis du cinéma des premiers muets, en particulier du côté du burlesque. Mais là, contrairement à la réussite sur le plan de la mise en scène, le genre ne déploie pas son efficacité sur le récit ni sur la direction d'acteur. Néanmoins, les réactions et les échanges se révèlent souvent prévisibles, et cette caractérisation forcée des personnages ne fait qu'en redoubler la vanité. Par exemple, l'ancien maître benshi incarne tous les stéréotypes de la déchéance, des cheveux hirsutes au le kimono lâche. La présence de l'acteur Kengo Kora est ainsi réduite aux caractéristiques de son physique serpentin alors que son rôle du vil rival jaloux aurait pu prêter à des confrontations plus intéressantes sur le plan de l'interprétation pour la projection. De même, Kimiko (Yuina Kuroshima), amour d'enfance de Shuntarô et jeune femme souhaitant devenir actrice, voit son autonomie vite sacrifiée au profit des poncifs de la romance et de la comédie. En effet, ses scènes concernent souvent un gag répétitif fondé sur sa peur panique des araignées3 – élément de suspense quant à sa relation avec le protagoniste principal, puisque celui-ci intervient toujours au dernier et bon moment pour la sauver des pattes de l'insecte... Si l'ajout de ces nombreuses séquences et de ces personnages peut se comprendre par la volonté de proposer un film grand public, Katsuben ! aurait au final en force et en pertinence si tous ses efforts s'étaient tendus uniquement en direction du conteur devant l'écran.






1. On peut se référer aux premiers chapitres du Cinéma japonais, traduit par Romain Slocombe en 2005.

2. Pour certains veinards, il fut présent à la Cinémathèque de Paris en 2018 à l'occasion du Festival Toute la Mémoire du monde.

3. Précisons que les araignées japonaises ont une apparence différente de celles européennes. Avec leurs couleurs, la grandeur de leur corps et de leurs pattes, elles sont en effet plus effrayantes. Mais elles témoignent aussi d'une très grande beauté et élégance. Les utiliser ainsi pour un running gag aussi inintéressant est ainsi presque discriminatoire à l'égard de ces raffinées araignées japonaises !

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