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Critique de La Frappe (Sung-hyung Yoon)

Revers et contre tout

 

LA FRAPPE (PASUGGUN) - Sung-hyung Yoon


Surprenant premier film, La Frappe ne cesse de contredire les chemins qu’il emprunte. Chaque personnage échappe à l’image qu’il semblait renvoyer, où la rudesse de l’un cache par exemple une profonde délicatesse. Les bourreaux supposés sont tout autant victimes, tandis qu’au scénario, les pistes sur l’origine du suicide ne cessent de se contredire. C’est le choix de l’adolescence qui permet au jeune réalisateur de jouer sur ce brouillage constant : espace où l’identité commence seulement à se construire, et où chacun mime l’autre, s’enrobe de postures prises à droite à gauche et peine à assumer son réel ressenti. Film multiple, par cette succession de posture, comme par sa fragmentation au montage, La Frappe est une réussite qui soulève ce désir, celui de voir très prochainement la seconde réalisation de Sung-hyung Yoon sur nos écrans.

Premier revers : on est trompé par l’identité du disparu, ce jeune dont le suicide est explicité par la vision de son père en plein travail de deuil. Par le montage et l’entremêlement des séquences, Sung-hyung Yoon créé dès le départ la confusion. Car à une scène de harcèlement du passé, où un  jeune se fait frapper violemment par ses camarades, il fait succéder le moment présent où le père, désespéré, commence à entreprendre des recherches sur son fiston (dont le visage, évidemment, ne nous est pas dévoilé). Connexion logique car usuelle chez le spectateur : c’est ce gamin brimé et renvoyé au sol qui est le disparu. Or, la suite des événements contredit cette supposition et nous renvoie directement à notre erreur de spectateur facile. Par cette petite manipulation, plus intelligente que perverse, Sung-hyung Yoon nous inculque une mini-leçon en guise d’avertissement à son film : les apparences demeurent bien trompeuses et chaque scène au lycée, chaque rôle endossé au cours d’un échange entre jeunes, cache son lot de souffrances et de sentiments inavoués.

 

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Il y a dans La Frappe cette tension des comportements qui ne parviennent pas à s’exprimer, qui ne dévoilent jamais, étreints qu’ils sont par la tentation du “jeu de rôle” auprès des camarades, par les codes masculins, par les modèles d’adultes évanescents. Pour autant, le film ne démontre pas cela pas des indices marqués - comme il se fait souvent dans notre écriture de scénario française fort démonstrative, avec par exemple le livre que lirait tel personnage, le jeu vidéo qu’imiterait tel autre, dans des postures symboliques sensées nourrir le psychologique - mais bien plus par l’irrigation du secret. Rien n’est totalement dévoilé, les sentiments se succèdent sans trouver une réelle expression, les regards, s’ils sont plus intenses, ne cessent de contredire les mots proférés et d’opacifier les propos. Cette persistance du secret, et des tourments réels de l’un et l’autre des trois amis Ki-tae, Dong Yoon et Hee-Joon, travaille dès lors un sens de l’évocation. Chaque réaction, chaque mot, chaque scène ouvre à une multitude de possibilités, où se frôlent jalousie, désir, haine de l’autre, manque de confiance et recherche de domination.

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Dans la construction de cette tension, la performance du trio de comédiens se doit être saluée. Le cinéaste a réuni trois acteurs magnifiques, aujourd’hui stars dans le drama ou les productions sud-coréennes : Lee Je Hoon, Seo Jun Jeong et Park Jung Min, qu’on a vu l’an dernier au Festival du Film Coréen de Paris pour Dong-ju. L’équilibre entre les trois est fort bien pensé, que ce soit dans les oppositions physiques que dans les attitudes actoriales. L’épaisseur du texte et la subtilité des réactions sont ainsi transcrits avec une force rares pour un si jeune casting. Le plus impressionnant demeure en ce sens Lee Je Hoon, qui interprète Ki-tae. A l’image du film tout entier, son jeu ne cesse, au fur et à mesure du film, d’échapper aux premières impressions visibles : preuve en est, le protagoniste apparaît d’abord insignifiant, pétri d’un masque de vulgarité adolescente sans grand intérêt. Progressivement, l’écriture, la mise en scène, accompagnent la transformation de l’acteur, qui dévoile une palette d’expressions fragiles et inattendues.

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Ainsi, dans ce trio, les rôles de victime et de bourreau, de leader et de suiveur, ne cessent de s’intervertir. Est-ce cela, au fond, l’amitié intense d’un groupe d’amis, particulièrement au cours de cette période de recherche personnelle ? La succession des attitudes, les changements constants dans la domination fait écho aux tâtonnements identitaires.

De séquence en séquence, les sentiments plongent les garçons dans une torpeur plus totale. C’est une forme invisible, pénétrante, d’oppression qui ne laisse éclater ni passion, ni confessions, que met en scène La Frappe. Pourtant, la fin du film sera celle d’une douce libération, par la réconciliation au montage des temps. L’idée, très simplement appliquée, dans une modestie de mise en scène qu’il faut souligner, saisit, avec beaucoup de tendresse, un jeune solitaire qui fait enfin son deuil par l’émotion d’un souvenir ravivé.

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