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Mekong Stories

Le travail d'un souffle

 

MEKONG STORIES (CHA VÀ CON VÀ) – Di Phan Dang

L'affiche française de Mekong Stories est quelque peu trompeuse. Le trio amoureux n'est qu'une petite parcelle de l'ensemble, et il évolue conjointement à de multiples autres intrigues personnages, là où le fleuve où se recueillent les jeunes du film côtoie aussi la boue, la ville et la sueur. Ce deuxième long-métrage de Di Phan Dang établit un état des lieux d'un Vietnam de la fin des années 1990, marqué par une continuité de désirs entremêlés.

C'est dans la construction d'un cinéma de la sensorialité, de l'image sensuelle et des gestes délicats que se niche le style de Di Phan Dang. Le cadre se remplit avec douceur des courbes des corps et des angles des décors, l'atmosphère est reposée, jamais dans une exaltation trop violente des soupirs et des déceptions. Il y a, dès le départ, une manière de bercer le spectateur en l'inscrivant, à la manière de cette famille vivant au bord de l'eau, sur le rivage des conflits et des passions. Est ainsi surprenante la naissance d'une sensualité alors même que les cadres sont distants, rarement proches des visages, préférant cerner les groupes, la longueur de repas ou de jeux plutôt qu'un regard ému, un morceau de chair en tension. La réalisation est en ce sens tout en sensibilité, entièrement construite en vue de transmettre ici une lumière singulière, là une coordination de gestes, ou encore le bruissement de quelques sons. Cette sensorialité permanente est en écho de la démarche de Di Phan Dang qui propose plus une collection de souvenirs et d'histoires fictives durant la période singulière des années 2000.

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Pour autant, le film ne s'enlise pas dans la répétition ou l'alanguissement. Il est au contraire plutôt porté par une forme de torpeur général, où chaque personnage va peu à peu trouver sa place et révéler ses fragilités. La variation la plus belle réside au travers de la jeune Van (Do Thi Hai Yen, dont la sévérité à la fois tendre et trouble rappelle le jeu de Rinko Kikuchi), personnalité double que l'on entrevoit d'abord comme un fantasme pour les deux garçons Vu et Tang. Cependant, la délicatesse avec laquelle Di Phan Dang montre progressivement les différentes facettes de sa vie – notamment une magnifique scène d'entraînement de danse classique – permet au personnage de sortir de cette vision fantasmée et d'acquérir, sans briser son pouvoir intrigant, une véritable présence. L'équilibre demeure particulièrement précaire entre la volonté d'éclater les points de vue, de laisser s'écouler les nombreux faits du quotidien, et la saisie plus rapprochée de quelques personnages clés. Si le film parvient à créer de l'espace autour de Vu, Van et Tang, il échoue cependant plus au niveau des personnages adultes, tel le père de Vu, moins complexe, raccroché, tout au long du récit, à une image relativement péjorative.

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 Le collectif est au centre du cinéma de Di Phan Dang. Les scènes de discussion, d'agitation autour des tables ou de sieste au bord de l'eau sont éminemment présentes, dans la droite lignée de maîtres japonais ou hong-kongais, chez qui les relations se construisent toujours en partageant un repas, en écoutant le même air, en observant le même paysage... La mise en scène, soigneuse et alliée à une parfaite direction d'acteurs, fait jaillir les accordements ou les dissonances au sein des bandes de jeunes, et par-là les discrets – mais cruels – mouvements d'exclusion, comme les paris de virilité. La singularité de Mekong Stories va aussi se construire dans un accompagnement sensoriel de ces mouvements groupés. Plusieurs séquences, en s'attardant sur certains personnages et en s'abandonnant à un montage plus complexe, reconstruisent des liens selon des attirances mutuelles ou solitaires. Les images et les sons travaillent ainsi un souffle des corps, une lente respiration des chairs et des regards ébauchant délicatement les scènes d'attouchement ou de sexualité. Cet érotisme teinté de nonchalance, plutôt fondé sur une lente, et jamais explosive, montée des sens, fait songer aux glissements de Cemetery of Splendour.

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Pour autant, l'éclatement du point de vue et le soin à saisir le collectif pourrait s'interpréter comme une manière à Di Phan Dang d'échapper à la réelle douleur de son protagoniste central. La multiplication des récits et des séquences noie en quelques sorte Vu, dont les sentiments surgissent assez tardivement, malgré qu'il soit le premier à apparaître à l'image. Le protagoniste est, néanmoins, d'abord un intermédiaire : caché dans l'ombre, prenant des photographies, écoutant les discours virils, il témoigne des portraits de chacun. Son inscription auprès de Vu et de Van lui permet de retrouver, telle une belle redécouverte cinématographique, une présence à l'image. Cependant, dès lors que l'espace s'ouvre à lui, la solitude soudaine éclate. Le plan final de Mekong Stories sera ainsi teinté de violence, d'une cruauté clinique soudaine, assommant le spectateur d'une destruction de la jeunesse, du réconfortant cercle d'amis, ou tout simplement d'une oisiveté naïve. Si le film se niche dans de délicates variations amoureuses, le déclin des relations s'amorce tout doucement, sonnant le glas, plutôt désespérant, d'une souffrance impossible à partager. Mekong Stories est donc le récit de quelques jeunesses prêtes à être brisées.

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