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Elégie orientale

Fantômes de la douleur

 

ELEGIE ORIENTALE (VOSTOCHNAYA ELEGIA, 1996) – Alexander Sokourov

Court-métrage documentaire d'une vingtaine de minutes, le film de Sokourov est d'une envoûtante nostalgie.

L'impressionnant travail sur l'image et le montage créent une atmosphère brumeuse et fantomatique s'alliant aux récits des figures interviewées. Ces dernières, toutes des vieilles personnes japonaises vivant dans des petits villages, surgissent telles des figures à demi-effacées, cachées par la brume, brouillées par le temps et le travail de leur douleur. La forme prolonge à l'extrême le travail de la mémoire, cette mémoire qui est chaotique, fluctuante, hantée par les fantômes. L'approche documentaire n'existe pas, car elle est remplacée par l'immersion dans un film fantastique, où le réveil de l'image est similaire à celle de souvenirs troublants.

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La structure est latente, insaisissable, invisible. On passe d'un espace à l'autre par une succession de fondus enchaînés dissimulés par la brume et les lumières qui s'entremêlent. L'effacement des traits et le brouillage de l'image et des raccords créent un étrange et invisible emboîtement de figures visuelles. Dans ce court-métrage se dresse d'abord la parabole avec le film de fantômes japonais, qui prône des silhouettes sans pied, prenant le temps de s'établir dans les plans, ralentissant la cadence des images et des sons. La lente installation des êtres se révèle en ce sens la même que celle des silhouettes chez Hideo Nakata ou Kiyoshi Kurosawa : chacun s'impose doucement à l'écran, par jeux de progression, révélant là une ombre, ici des mains tendues, parfois une voix brisée. Plus loin, les contours sinueux et la confusion des plans par une succession de fondus enchaînés dessinent une parenté avec le style chinois du sumi-e, où les traits sont vaporeux, dénaturés de couleur, fusain ou encre capable d'incarner la brume des petits villages.

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Mais l'Elégie n'est pas qu'un hommage à ces esthétiques ; il est aussi une approche respectueuse des êtres filmés. Pour aborder ces récits frappés par la douleur et le questionnement, il est nécessaire d'y pénétrer prudemment, par gradations, par superpositions. Les appels de douleur, qui surgissent par fragments, n'en sont que plus déchirants par cet estompement de certains de leur contour : la pudeur s'allie au mystère

 

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