Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Colloque Goldorak
COLLOQUE GOLDORAK – 40 ANS APRÈS
Deux journées d'étude consacrées à la série développée par la Toei les 18 et 19 mars 2016
C'est dans une ambiance bon enfant que Sarah Hatchuel et Marie Pruvost-Delaspre ont inauguré les journées d'étude consacrées au célèbre Goldorak (UFO Grendizer pour son titre original). Bon enfant car une bonne partie des intervenants de ce colloque de deux jours avaient d'abord été des spectateurs enfants de cette série animée par le studio de la Toei dans les années 1980. La ferveur de la nostalgie et le plaisir de la madeleine ont ainsi bercé les études, révélant soit l'attendrissement, soit l'amusement des uns et des autres dans cet exercice de saisie et d'analyse des émotions d'enfance. Mais certaines interventions, non traversées de cette remémoration, ont aussi apporté des interprétations originales, en marge d'un mouvement de défense de l'intérêt de la série.
Scindé en trois parties, le programme de ce colloque partait d'une analyse générale pour peu à peu s'étendre vers la question de l'influence, et enfin relocaliser sur la réception et l'impact culturel de Goldorak en France. Le premier ensemble « Goldorak Go » posait ainsi les possibilités analytiques de la série, et ce que sa nature et son histoire supposaient dans le contexte des études universitaires. Nul doute que le colloque s'érigeait en fort défenseur d'une œuvre populaire, qui a divisé en France les jeunes spectateurs fans des adultes méfiants, et cette première partie l'affirmait haut et fort, tout en instaurant certaines données indispensables à la compréhension de son ensemble. Un second temps du colloque dessinait ensuite les « Emprunts et empreintes de Goldorak », tout d'abord droit dans les pas de Godzilla et de l'ombre nucléaire, mais aussi dans un champ plus psychologique avec le thème du traumatisme. Enfin, la dernière journée se concentrait sur « Goldorak en France » avec à l'appui non seulement des interventions mais aussi quelques invités.
GOLDORAK : UN RITUEL POUR LE JEUNE PUBLIC
Les deux premières interventions du colloque installaient fort bien la singularité d'une étude de série. Christophe Lenoir et Florian Guilloux ont notamment dressé l'idée d'une ritualisation par le visuel, la narration et la musique à l'oeuvre dans Goldorak. Le premier, avec « Répétition et développement des figures introductives », dressa cette familiarité à l'oeuvre par des repères et des formes régulièrement reprises.Comme lors de son approche de la série Thomas le petit train, durant le colloque sur l'animation limitée, la grande méticulosité du chercheur était tout aussi appréciable. Pour Goldorak, certains éléments prédisposent à installer confortablement les enfants pour la diffusion de l'épisode, et à signaler par-là le passage dans un monde fictif, loin des tracas scolaires. Cette conférence s'opposait d'emblée aux critiques reçues par l'anime lors sa diffusion en France, ; Christophe Lenoir démontrait qu'au contraire ces repères aidaient au contraire à distinguer la fiction de la réalité.
Cette fiction rituelle instaurée par la série fait croître peu à peu les attentes des spectateurs. Elle travaille par une mise en phase des éléments fondateurs de la série et soulève de nombreuses questions pour celui qui regarde : quels véhicules, quels armes, quels ennemis font surgir... ? Le principal exemple fut celui de Goldorak courant vers le lieu de son équipement, séquence rendue au fur et à mesure des épisodes plus complexe, mais gardant à chaque fois ses aspects obscurs tenant en suspense – comme la mystérieuse porte à droite du vasistas emprunté par Actarus.
Le trajet d'Actarus vers son armure (VF)
L'étude musicale de Florian Guilloux, « Plaidoyer pour une musique débile » confirma cette mise en scène de figures introductives et de jeux de répétition. La partition de Goldorak, composée par Shunsuke Kikuchi s'inscrit dans la tradition du gekiban, l'accompagnement dramatique pour les séries d'animation au Japon. Mais si cette considération peut se souligner pour de nombreuses autres partitions pour le cinéma ou la série, elle a revêtu un caractère originale par sa mise en parallèle avec certaines traditions musicales du théâtre japonais. Florian Guilloux a notamment comparé la fonction de cette musique à celle soutenant le nô ou le kabuki, par exemple l'ensemble formé par le hayashi, qui regroupe chanteurs ou musiciens sur scène. Les motifs musicaux soulignent ainsi l'épique, le tragique ou le comique des événements mais leurs variations, en revanche, peuvent déplacer la compréhension d'une scène.
Florian Guilloux a aussi indiqué certaines différences entre le mixage d'origine et le remixage orchestré en France pour la diffusion sur Récré A2. L'effet de ritualisation se révèle d'abord plus accentué dans l'adaptation française et l'équilibre entre les voix, les bruitages et les nappes musicales moins ténu qu'au Japon. La version d'origine est en effet portée par des thèmes musicaux plus pesants ou des sons isolés (comme les bruits de pas ou de vaisseaux), parfois dans la disharmonie et construisant une impression plus angoissante.
Le trajet d'Actarus vers son armure (VO)
Peut-être que ce premier mixage déploie, dans sa construction sonore, une gravité plus forte qu'en France, car renvoyant plus à l'oeuvre, parfois sinistre, de Gô Nagai. Là où au contraire l'adaptation occidentale a voulu proposer une familiarisation plus directe, gommant plus ou moins les accents d'étrangeté.
HÉRITIER DE L'ANIMATION, MAIS INFLUENCÉ PAR L'OCCIDENT ?
Ce rapport à l'oeuvre de Gô Nagai, source de création de la série, fut abordé au cours d'une table ronde consacrée à l' « Originalité de Goldorak ». Julien Bouvard a dressé en ouverture une excellente synthèse du travail prolixe de Gô Nagai. Celui-ci se divise en trois mouvements, allant d'un goût pour l'occulte à la parodie, en passant par un érotisme coquin. Nagai se range dans la catégorie des nombreux mangakas à la carrière extrêmement variée, parcourant plusieurs genres et styles narratifs, dans la droite lignée d'Osamu Tezuka, et similaire en ce sens à Shôtaro Ishinomori (dont il fut l'élève). Le diversité est néanmoins symptomatique des auteurs des années 1970 puisque débutent à la même époque les œuvres aussi singulières qu'insaisissables de Leiji Matsumoto ou Moto Hagio.
Harenchi Gakuen (« L'école impudique »), l'un des nombreux exemples de la veine érotique de Nagai
Pour Goldorak, la singularité du projet est qu'il s'inscrit dans un ensemble de créations à plusieurs paternités. Une trilogie des robots est en effet mise en place par la Toei de 1972 à 1974, avec Mazinger Z, Great Mazinger et UFO Grendizer. Cet ensemble propulse un nouveau système de franchise initiée par le studio, et éminemment fondateur pour l'animation japonaise à l'époque. Le studio s'appuie en effet sur l'idée du mediamix japonais, à savoir la déclinaison de l'oeuvre du manga en série télévisée puis en films, jusqu'à de nombreux produits dérivés. Ce principe du mediamix a par ailleurs été imité en France – et ce qui était une première pour une série japonaise sur notre continent – Goldorak se retrouvant sur les paquets de céréales ou dans les magasins de jouets, préparant aux futurs succès de franchises comme Pokémon.
Gô Nagai
Nicolas Gouraud a proposé un prolongement plus technique à l'exposé de Julien Bouvard. Par un formidable travail de plongée dans des archives des studios japonais, le jeune chercheur a révélé les styles des principaux créateurs de la série, et ainsi ceux de certaines personnalités actives dans les années 1970. Au niveau des croquis, il s'est ainsi concentré sur la « patte » de Kazuo Komatsubara et Shingo Araki. Le premier est une figure importante dans le genre de la science-fiction, puisqu'il a travaillé sur la seconde série d'Albator (d'après Leiji Matsumoto), ou sur la première adaptation en film du manga Terra he (d'après Keiko Takemiya). Il est en outre familier de l'oeuvre de Gô Nagai puisqu'il contribua aussi à la série Devilman, typique du courant ésotérique du mangaka. Le second présente une carrière plus diversifiée, mais néanmoins éminemment riche, avec une fois de plus, la seconde série d'Albator, mais aussi Saint Seiya, Cat's Eye, et surtout Lady Oscar. Le rapport au tragique et au romantisme qui s'érige dans ce dernier peut se retrouver dans certains plans de Goldorak.
Lady Oscar / Goldorak
Mais l'ultime figure majeure, presque aussi importante que Nagai, est celle du réalisateur Tomoharu Katsumata. S'il n'est pas l'unique de la série, puisque ce poste « tourne » selon les épisodes, Katsumata est néanmoins considéré comme le dirigeant principal de Goldorak. Peut-être que la veine mélodramatique de Goldorak surgit aussi de cette direction. Katsumata fut en effet le réalisateur du magnifique Arcadia de ma jeunesse en 1982, la première adaptation en film de la franchise Albator, frappante de teintes et thèmes mélancoliques.
Nicolas Gouraud a aussi évoqué une autre paternité, qui ne tient plus à des créateurs, mais à un film. La Grande Bataille des soucoupes volantes (Uchû enban daisensô) est une sorte de pilote à Grendizer, et où se retrouvent deux collaborateurs principaux de la série au scénario : Shôzô Uehara et Tatsuo Tamura. Le personnage de Gattaiger, dans ce film, est un pré-Grendizer en puissance. De manière surprenante, le personnage de Gattaiger / Grendizer / Goldorak devait demeurer secondaire et n'était pas prédisposé à gagner une telle importance dans l'imaginaire du mangaka. La paternité de Gô Nagai reste ainsi à nuancer. De même, les versions du manga sont multiples – deux sont officielles mais il en existerait quatre autres publiées en magazine – et à chaque fois créées en collaboration avec des assistants. On songe par exemple à une franchise comme Cyborg 009, dont il existe plusieurs versions papier en correspondance avec des séries télévisées aux conclusions multiples.
La Grande Bataille des soucoupes volantes, film-pilote de Goldorak
Pour conclure la table ronde consacrée à l' « Originalité de Goldorak », le chercheur Atsushi Kumaki a quant à lui inscrit l'oeuvre dans un rapport avec ses ancêtres ou ses successeurs du genre mecha. Celui-ci est, dans les années 1960, peu défini. La présence du robot est surtout visible à travers deux figures antithétiques, celle, d'une part, de l'être mécanique autonome (Astro Boy d'Osamu Tezuka), et celle, d'autre part, de la machine contrôlée à distance (Tetsujin 28-gô de Mitsuteru Yokohama). La création qu'est Goldorak combine les deux aspects, où le robot est à la fois étendue du physique du personnage et reflet de son identité. Les séries Gundam, Patlabor, ou encore l'inconnu en France Votoms, peuvent s'interpréter comme des franchises similaires, mais sur un mode militaire, voire politique ; ce qui n'est guère le cas dans Goldorak où les enjeux portent d'abord sur le désir de vengeance d'Actarus.
Du robot piloté de loin (Tetsujin 28-Gô) à la fusion totale avec la machine (Evangelion)
Goldorak serait-il ainsi une étape intermédiaire dans l'évolution du genre mecha ? Il est du moins une timide transgression de certaines figures pré-existantes mais son statut hybride, entre le corps de métal et la machine personnifiée n'engagent pas une rupture complète. Celle-ci, soulignée fort justement par Atsushi Kumaki, s'imposera avec Evangelion, où s'engage une totale fusion du corps, autant que de l'âme avec le robot.
Ce colloque a ensuite dessiné les nombreuses influences occidentales perçues par Goldorak. L'exposé de Atsushi Kumaki liait la série à une tradition de la robotique encore largement à l'oeuvre dans l'animation japonaise ; d'autres conférenciers ont quant à eux établi des comparaisons et des renvois vers des œuvres issues plutôt de l'étranger. Christophe Lenoir anticipa cela en connectant les rituels d'entrée dans le vaisseau avec ceux déployés dans la série américaine de marionnettes Thunderbirds, de dix ans son aîné.
Thunderbirds (Sylvia et Gerry Andersen, 1965)
Mais c'est l'étude de Jean-Etienne Pieri qui échafauda le plus de parallèles avec l'Occident. Ses exemples furent nombreux et très précis, pointant sur des détails en ce qui concerne les influences occidentales. Goldorak est l'équivalent d'un Superman, il affronte des créatures faisant songer à celles de nombreuses séries B américaines... Son lien au genre du western est particulièrement prégnant, par le ranch tenu par Danbei et sa famille. L'exemple oscille entre l'hommage glissé et sa dimension satirique, à travers le personnage de Danbei. Ce dernier, Japonais se rêvant Gary Cooper à cheval dans de moult exagérations, absurdité renforcée par le physique ingrat du personnage, conduit l'imaginaire cinématographique comme un véritable pastiche. La comparaison au western renvoie aussi à un thème plus vaste, révélateur de la personnalité d'Actarus : celui de l'aspiration à une existence terrestre banale, où peut s'oublier le combat pour venger la planète.
Le personnage de Danbei est celui qui véhicule le plus l'imaginaire du western.
Mais ces références sont traversées d'ambiguïté. Certains motifs occidentaux affrontent les japonais ; par exemple l'imaginaire de Godzilla qui se relie aussi à la sréie B américaine. Les transferts demeurent complexes. Au-delà, l'exposé de Jean-Etienne Piéri révélait ainsi la très singulière réception par les Japonais des cultures étrangères, en particulier celle des Etats-Unis après la Seconde Guerre Mondiale. La volonté de rendre hommage aux nouvelles œuvres importées et découvertes dès les années 1950, de jouer avec ces références, de séduire un public international, et ce, en mixant des esthétiques traditionnelles du pays, transparaît dans les créations de cette période. Cette complexité est en outre particulièrement à l'oeuvre en animation dans les années 1970 et 1980. L'entrée de séries-fleuves, souvent des grandes sagas d'aventure, de science-fiction ou de fantasy et dark fantasy, réveillent les inspirations de jeunes créateurs nourris d'images autant occidentales qu'orientales.
UN CHOC FRANCO-JAPONAIS
La singularité de ce colloque fut, dans un deuxième temps, d'approcher le Goldorak « français ». La série a eu un impact considérable sur notre culture, et sur la vision de l'animation japonaise, car elle est la première production d'animation limitée japonaise arrivant sur les médias du pays, et ayant droit non seulement à sa diffusion régulière, mais aussi à une présence massive dans le commerce et la publicité de l'époque. L'étude de Marie Pruvost-Delaspre, « Goldorak à la télévision française, entre remontages et glissements génériques » dressa un complet tableau des nuances de l'adaptation, de ses changements de localisation et de ses actions de censure.
La jeune chercheuse s'est inspirée des écrits de compères américains, qui ont beaucoup analysé les enjeux de retouches et remontages sur de grandes séries importées, comme Sailor Moon, Dragon Ball Z ou Pokémon. Le terme de « diversité combinatoire » forgé par Anne Allison a ainsi instauré dans cet exposé l'idée d'un effacement, ou d'un glissement, de certaines valeurs vers d'autres.
Le version française de Goldorak a été dirigée par Michel Gatineau et Jean-Pierre Steiner, et les dialogues furent réécrits par Jacques Canestrier. A l'époque, pour faciliter l'entrée d'une telle curiosité venue d'une culture quasi-inconnue en France, les retranscriptions occidentales furent nombreuses. L'une des majeures retouches fut le changement des noms des héros, allant soit vers l'évocation galactique (pour les héros), soit mythologique (pour les antagonistes). En outre, l'équipe efface aussi l'ancrage géographique, les références à la trilogie des robots initiale, et surtout celles à la culture japonaise. Le rituel du Nouvel An japonais, qui convoque kimonos, lampions et prières au Temple, est ainsi transformé en bal costumé !
Ces tentatives de développer un vocabulaire compréhensible et des repères français ont en tout cas instauré un réflexe dans la production des versions pour la télévision. Ces efforts se retrouveront donc pour Pokémon, où des équivalences occidentales avaient été trouvées aux noms des créatures, alors que ceux-ci renvoyaient à des kanji et des thèmes japonais. (Remarquons cependant que le nom d'origine de cette série a été conservé, à l'inverse de Goldorak, pour jouer sur l'impact d'un néologisme presque exotique).
Cependant, certaines modifications ne trouvent parfois pas d'équivalent en français, ce qui renforce l'étrangeté de la série et laisse persister des détails flous et inattendus. La réécriture des dialogues peut aussi modifier le caractère des protagonistes, voire renverser certains enjeux dramatiques. A ce niveau, les nuances de certains ennemis se trouvent gommés, et leur ambiguïté d'origine disparue. Ces choix limitent la compréhension de certains enjeux et sont peut-être à l'origine de la violence dénoncée à l'époque. De fait, cette violence ne serait pas créée par les éléments d'origine, mais bel et bien par une reconfiguration française ne permettant pas à l'enfant de comprendre les batailles.
L'explication de ce contexte de création par Marie Pruvost-Delaspre a trouvé durant la journée d'étude un contrepoint plus ludique. En deuxième partie de journée, des anciens doubleurs de la série Goldorak, Thierry Bourdon et Amélie Morin, ont apporté leurs témoignages et leurs nombreuses anecdotes. La cadence était soutenue pour l'enregistrement de tels épisodes (parfois jusqu'à 3 par jour) et les dialogues exigeaient une forte vivacité , souvent soutenue par une folle ambiance dans le studio d'enregistrement. Ce passionnant dialogue a conclu la journée d'étude sur une note malicieuse et positive. En cela, le positionnement de Marie Pruvost-Delaspre et Sarah Hatchuel n'était pas nécessairement d'accabler le travail de l'équipe française dans sa réadaptation de la série japonaise ; mais de souligner autant leurs limites que leurs inventions.
Le rapport à la France s'est, dans un second temps, dessiné par des approches transversales et des regards d'artistes inspirés. La table ronde « Goldorak et l'art », si elle était fort originale par le choix de ses invités, se révélait malheureusement trop courte. Les intervenants n'échangèrent guère entre eux après les présentations des travaux, alors que des ramifications s'ébauchaient entre leurs propos.
Chaque intervenant a entrepris de lier l'imaginaire à une pratique artistique, ou une commercialisation d'oeuvres. Bernard Peigné, auteur, Erwann Venn, plasticien, Benoît Spacher, expert en art et Mathieu Javarella, directeur de galerie, ont ainsi raconté leur rapport à l'oeuvre japonaise. Celui-ci se manifestait en premier lieu dans la nostalgie de l'influence. L'exposition Goldo Expo mise en place par Mathieu Javarella dans la galerie Sakura en témoignait : le galeriste détailla son catalogue et mis en valeur des créations de plasticiens étrangers portées par un souvenir, des visions marquantes, des icônes d'enfance. Le casque devient ainsi motif inhérent à toutes les pratiques, du dessin à la sculpture, et il était surprenant de constater qu'en dépit des différences culturels (avec des artistes de l'Italie à la Turquie), les formes les plus représentées et travaillées demeuraient les mêmes.
L'artiste Erwann Venn confirma ce rapport nostalgique. La figure de Goldorak participe à un ensemble de données personnelles qu'il travaille dans ses créations. Erwann Venn le souligna : le héros japonais est sensiblement rattaché à ses souvenirs d'enfance, et ne peut que surgir dans certaines œuvres. Le robot est en ce sens liée à une génération précise. A l'inverse, l'auteur Bernard Peigné n'avait pas connu tout à fait le même trajet avec la série. Celle-ci a plutôt été une influence occasionnelle dans l'écriture de son roman Les Géants du passé, où Goldorak se mêle à des générations de robots ancestraux, notamment ceux de Miyazaki. L'auteur a embaumé la forme d'un certain pouvoir nostalgique, dans la lignée de titans disparus.
Le dernier intervenant, Benoît Spacher, se révélait un peu à part des trois précédents. La présence singulière tenait au fait qu'il avait un rapport à Goldorak plus large, car inscrit dans un domaine d'expertise. Benoît Spacher travaille en effet sur les archives des films d'animation, leur restauration et leur exposition. Après avoir expliqué ce passionnant métier, il a pointé combien Goldorak était un héros de la conquête verticale, typique d'un imaginaire spatial. Une fois de plus, les propos soutenus lors de cette table ronde érigeait le personnage comme point d'admiration de tout une génération d'enfants.
RETROUVER GOLDORAK...
Bounthavy Suvilay, par un riche travail de collecte sur « Goldorak et la presse », a cerné combien le terme, aux connotations d'abord négatives, va peu à peu se forger l'identité de la génération des enfants des années 1980.
Premier personnage japonais réclamé par les enfants, idole de la télévision, le robot est d'abord attaqué de toutes parts par la presse, certains politiques ou psychologues. Des néologismes fringants, comme « la Goldorakite », ou « la Goldoracket », sont inventés par les journalistes : le phénomène est vu comme de l'exploitation et de la manipulation des enfants par les hommes d'affaire et le jeu du commerce. Cette charge n'est cependant, précise Bounthavy Suvilay, qu'annonciatrice de celle, plus violente, comme Dragon Ball à sa sortie en 1988. Une certaine incompréhension de la série et de ses objectifs se construit aussi en France. Face au succès et aux modifications opérées par la version française, les médias se persuadent que les studios japonais ont inventé des éléments spécifiques pour plaire uniquement aux Européens – mais ces éléments dénoncés sont justement ceux instaurés par la version de Michel Gatineau...
Dragon Ball remplaça Goldorak en terme de mauvaise perception de l'animation japonaise en France.
Puis, au fil des années, le terme perd de ses atours péjoratifs et devient plus le symbole d'une génération. Goldorak s'installe dans le langage courant, se mue en un lieu commun utilisé par les journaux pour inclure toute une culture de la télévision, voire une culture générationnelle incluant aussi des habitudes de vie et un mode de pensée. Si le mot reste ancré, c'est probablement parce qu'il est unique en France et qu'il se démarque du japonais Grendizer ; et qu'il a dégagé cette souplesse, perçu comme un ennemi ou un ami des enfants.
Le terme entretient donc un rapport quasi-obsessionnel. D'où provient celui-ci ? Si certes l'étrangeté de la série a été amoindrie par les producteurs français, il n'en reste pas moins que Goldorak impose un univers et un style entièrement nouveaux. Ces éléments, étrangers pour la France à l'époque, dessinent en outre des thématiques plus graves. une certaine violence sourde bel et bien à l'oeuvre, marquante pour les esprits de l'époque.
Le paradoxe de cette violence, dans le contexte de la version de Michel Gatineau, a justement été soulevé par Marie Pruvost-Delaspre, qui expliquait que la suppression ou la modification de certaines scènes brutales ne faisaient qu'accentuer ce caractère-là. D'autres interventions ont explicité cette question de la violence, plus en lien avec l'origine japonaise de la série, comme Jean Du Verger avec « La question du traumatisme nucléaire et environnemental ».
Godzilla d'Ishirô Honda.
Le Japon a vécu un traumatisme atomique unique, qu'il fut difficile d'évoquer pendant de longues années. Certaines œuvres proposent une vision détournée de la catastrophe, tel le célèbre Godzilla d'Ishirô Honda (1953). le film s'inspire par ailleurs des clichés d'époque du désastre nucléaire pour constituer son esthétique. Le manga Gen d'Hiroshima, de Keiji Nakazawa en 1973, marque les esprits car la réalité catastrophique est vue de face, amplifiée par la force graphique et les détails réalistes. Entretemps, il faut aussi noter les écrits de (l'admirable) Kenzaburô Ôé et de ses Notes sur Hiroshima publiées en 1965, qui racontent la difficulté de témoigner pour les rescapés de la catastrophe.
Les deux œuvres que sont Godzilla et Gen d'Hiroshima inspirent certains effets symptomatiques de cet imaginaire d'Hiroshima et Nagasaki. Pour Goldorak, il pourrait se dégager un alliage entre les deux car si la création de Gô Nagai demeure métaphorique à ce niveau, diluant les références dans le traumatisme de son personnage extra-terrestre, le style graphique rappelle plus Nakazawa. Le champignon nucléaire est fréquemment repris, accentué dans ses lignes, sa masse et ses couleurs. Ce plan a une double-signification, précisa Jean Du Verger, puisqu'il porte à la fois le traumatisme inhérent au personnage, ainsi que de son trouble affectif, et celui global, qui existe au-delà, dans l'imaginaire collectif. Le théoricien s'est cependant plus concentré sur la thématique environnementale, encore plus prégnante à l'oeuvre.
Un des plans traumatiques de Goldorak, qu'Actarus imagine régulièrement dans sa remémoration douloureuse des événements.
En 1960, des questions écologiques importantes surgissent au Japon et persistent dans les années qui viennent. Goldorak en ce sens une série de son temps, prolongeant certaines thématiques présentes dans des œuvres comme Le Roi Leo, Spectreman... Les attaques des Forces de Véga deviennent des agressions extérieures qui nuisent à un écosystème, détruisent une Nature perçue comme un havre de paix et d'équilibre pour le héros. Plus encore, le ranch et ses environs sont réellement des repères essentiels pour l'extra-terrestre, lieux lui permettant de gagner son ancrage – et son identité – terrestres.
La proposition de Nathalie Ségeral, qui succédait à celle de Du Verger, était pour le moins originale. Elle se détachait de la série pour extrapoler certains de ses thèmes vers des considérations plus philosophiques. Le travail de la jeune chercheuse s'inspirait des écrits de Charlotte Delbot et de son rapport à la Shoah. En parallèle de la souffrance d'Hiroshima, Nathalie Ségéral laissait surgir cet autre génocide pour comprendre l'idée du traumatisme dans l'oeuvre japonaise. Elle expliqua que le témoignage de la Shoah fut longtemps tabou, aussi caché que celui des rescapés de l'explosion nucléaire.
L'oeuvre de Delbot a aidé à raviver la mémoire traumatique par l'usage de doubles, souvent théâtraux ou mythologiques, pour accéder aux souvenirs de la souffrance. La recréation en théâtre de son histoire et le passage par la figure d'Eurydice furent ainsi la porte d'accès au témoignage. Nathalie Ségéral a porté l'attention, prolongeant cette idée d'un double spectral féminin, sur le protagoniste d'Afélie, la fiancée disparue d'Actarus qui semble revenir d'entre les morts. Le personnage cristallise le thème du génocide et apparaît comme une « revenante », dans le double-sens utilisé dans les récits de la Shoah, dans la série.En outre, le personnage déchiré qu'est Actarus subit un principe de dédoublement constant, puisque passant par la figure du robot Goldorak pour affronter ses ennemis, et d'une manière se confronter à son passé.
Le retour d'une Afélie fantômatique dans Goldorak.
L'intervention de Sarah Hatchuel, si elle concluait la première journée du colloque, portait néanmoins la synthèse d'une émotion latente à la plupart des interventions. La seconde organisatrice du colloque a révélé son attache singulière à la série et a construit, avec autant de distance que de malice, sa propre réflexion sur ses sentiments de jeune spectatrice enfant des années 1980. Avec « Peut-on retrouver le passé ? », c'est le procédé de l'anagnorisis, autrement dit de la reconnaissance par les proches, qui parachevait le thème du traumatisme par celui des retrouvailles.
Le personnage d'Actarus, dans sa volonté de retrouver le passé, subit de nombreux ratés dans sa mémoire et reconstitue ses souvenirs par bribes incomplètes et incohérentes. La succession de retrouvailles avec des proches issus de sa planète, comme son ancienne fiancée ou sa sœur, l'aide à peu à peu compléter son identité. Ce système de reconnaissance progressif est cependant traversés de difficultés, car souvent entretenu par des illusions du personnage, voire des oppositions radicales avec ceux qu'il retrouve.
Quand Actarus retrouve sa soeur, les plans indiquent une farouche opposition entre les deux êtres.
L'oeuvre d'origine est cependant marquée d'une mélancolie plus intense que l'adaptation française. Le dialogue final français estompait la dimension passée et la nostalgie, faisant peu cas de cette reconstruction interne et mémoriel du personnage principal. L'accent est mis sur l'avenir et des promesses de rencontre, anticipant en cela le désir des enfants de l'époque, qui s'imaginaient – Sarah Hatchuel étant bien placée pour nous le témoigner ! - approcher un jour Goldorak en vrai. La série japonaise, elle, demeure loin de la fin ouverte et optimiste. Le dernier épisode met l'accent sur la tristesse d'Actarus et de sa sœur, qui doivent quitter la famille terrestre qui les avait accueilli. Sans céder au désespoir, les compositions graphiques et les voix qui résonnent sont chargées d'une mélancolie qui se retrouvera dans d'autres œuvres de l'époque.
Mais Sarah Hatchuel acheva néanmoins son exposé sur la dimension optimiste de ces deux versions, et sur le thème des retrouvailles. La clôture du colloque confirma cela en conviant chaleureusement le public à une diffusion à l'ancienne, mise en place par Sébastien Carletti. La projection de publicités d'époque et d'un épisode de Goldorak sur une télévision vintage restitua la redécouverte émue pour les générations 80 ... ou alors la découverte amusée pour les autres.
Le colloque organisé par Marie Pruvost-Delaspre et Sarah Hatchuel invitait ainsi à analyser un monument de l'animation japonaise, sans annihiler son emprise sur les Français de l'époque ni détourner le regard de ses limites. Il se dégageait néanmoins un ambitieux désir de rétablissement des réalités de la série, en opposition aux charges qui furent montées contre elle. L'initiative est fortement louable, tant le domaine de la recherche français piétine parfois à s'ouvrir aux œuvres populaires.
La vision proposée par Sarah Hatchuel se concluait sur un Goldorak bienfaisant, chargé de drame et d'émotion. Mais d'autres soulignèrent l'ambiguïté de la figure, à mille lieux du héros réconfortant dépeint par la théoricienne. Bernard Peigné a évoque la peur surgissant de la figure du robot, massif et impressionnant ; et Atsushi Kumaki son clivage constant entre humanité sensible et machine écrasant ses adversaires. Goldorak est ainsi resté, de part en part de ces nombreuses études et de ce riche programme, une figure multiple, paradoxale et bien plus obscure que l'icône d'un robot célèbre.
Pour en savoir plus...
Le programme du colloque : http://shatchuel.wix.com/goldorak-colloque
Pour aller plus loin et vivre le colloque... : http://epresence.univ-paris3.fr/3/Page/Published/2099531.aspx