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Kaili Blues

Une jeunesse qui se perd... Un film qui se perd

 

KAILI BLUES – Bi Gan

Trois semaines avant la sortie du bien plus délicat Mekong Stories, la presse française s'est ruée sur ce premier film chinois, propulsé comme le renouveau asiatique. Si nos salles aspirent en effet à des créations cinématographiques autres que celles des chefs de file habituels – mais eux-même subissent de plus en plus les difficultés de la distribution – l'engouement à propos de Kaili Blues demeure quelque peu surprenant et réellement abusif. Le film de Bi Gan est certes intriguant, mais il abonde aussi de nombreux défauts et n'est pas à l'abri de tics typiques à la production asiatique des dernières années. N'y voyons pas du recyclage mais plutôt une réelle incapacité à incarner le trouble de son personnage principal.

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La narration éclatée de Kaili Blues tient en effet parfois de l'exercice appliqué, trop propre dans ses coupes, trop voyant dans ses effets de rupture ou de liaisons entre des plans éloignés, alourdi par un certain symbolisme. Les jeux de montage, rythmant les plans d'une moto réparée ou d'une montre en état de marche ne gagnent guère la subtilité lorsqu'il véhiculent un discours pesant sur l'alanguissement du personnage principal, et son incapacité à trouver un sens à son quotidien. La seule aspiration de Chen Seng (Yongzhong Chen) va peu à peu se cristalliser autour du jeune fils de son frère. Ce dernier ne s'occupe guère de son enfant, préférant vaquer dans les night clubs ou les bars, et sera prêt à tout pour se débarrasser de sa charge parentale. Préférant éviter les échanges ou le rapport entre ces trois êtres, le film préfère les nombreux détours. Mais s'il se ressent cet effort constant pour trouver des écarts et des chemins de travers, jusqu'au symbole ou à la métaphore, ceux-ci sont soit maladroits, soit mal avisés, pour réellement soutenir le trouble intérieur du personnage. Ce dernier ne devient ainsi qu'un pâle fantôme, et son affection pour son neveu quasiment incompréhensible. Kaili Blues souffre d'une absence de sentiment qu'il prétend incarner, car c'est plus l'application de son concept d'éparpillement qui ressort, et non une réelle profondeur personnelle.

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A cette histoire de dissension fraternelle se greffent de nombreux autres embryons de récit, entre le premier amant d'une vieille doctoresse, les errances d'un fou ou celle d'un vendeur de montres, et un jeune cherchant désespérément à plaire à la belle fille du village ; et, au-delà, un croisement entre les temps, celui du souvenir de Chen, de la vieille dame, d'un confus futur et du présent... Ces fils, cependant, ne s'entremêlent pas : ils se chevauchent bien souvent dans un exercice douloureux au montage, échappent à toute émotion, glissent sans cesse et ne parviennent pas à étoffer l'ensemble.

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Dès lors, il reste au film de Bi Gan quelques notes discrètes qui constitueraient la réalité du projet personnel de son réalisateur. Kaili Blues saisit plus dans l'alanguissement de certains plans, et en particulier dans un traitement relativement subtil de la lumière ou des ombres. Ce sont ces quelques secondes de latence sur un mur où se reflète un train, sur une grotte traversée de fluettes lueurs, sur la vieille doctoresse se réchauffant près du poêle, ou enfin sur ce regard bercé par le soleil léger, voguant sur une barque, de la belle fille du village. Ce fameux long plan-séquence qui compose un bon tiers du film, et qui a impressionné la plupart des critiques, surgit subitement d'une première partie de réalisation très léchée. La pari est relativement osée, puisque s'affirme totalement la maladresse technique en même temps qu'une durée faisant exagérément éprouver le chemin des personnages, qui n'en finissent plus de traverser les mêmes décors. Là encore, ces nombreuses marches d'une rue à l'autre, d'une fenêtre à une autre, du pont jusqu'aux rivages, appuient l'idée de l'écart et, alors qu'ils prétendent les éléments issus de l'imaginaire mental de Chen, ne les font paraître que plus voyants.

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Cependant, le vacillement de ce plan-séquence indique une ouverture fort plus intrigante : celle du quotidien de cette poignée de adolescents, à la décontraction paresseuse presque surprenante pour leur jeune âge. Leurs trajets incessants hantent bien plus que le reste du film, par ces corps balancés sur la poussière du sol, devisant tranquillement de l'amour, de l'avenir, de leur vie... Leurs marches continuelles inscrivent un sillon de méditations envoûtantes, malheureusement peu persistantes dès lors que surgit le générique final.

 

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