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Les Anges déchus

L'image révoltée comme les personnages

LES ANGES DECHUS (FALLEN ANGELS, 1996) – Wong Kar-wai

C'est un film sur des personnages désaxés, au bord de l'implosion, au bord de la crise, tous marqués par un souci de communication avec le monde extérieur. Le coup de force d'un de ces premiers films du célèbre réalisateur hong-kongais est de nous faire basculer directement dans l'esprit de ses personnages : le visuel et l’esthétique si vertigineux du cinéaste prolongent ici l'état d'esprit de ses personnages. Habilement, les affres de chacun emplissent l'écran les unes après les autres, dans une folle succession d'images détournées, désaxées, déchues de tout caractère réaliste. L'utilisation fréquente et presque provocatrice du grand angle à tous les plans fait que l'écran semble se tordre comme une feuille de papier sans cesse pliée dans tous les sens, à l'image de ce bouillonnement intérieur que vivent les protagonistes.

 

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Il y a le tueur à gages (le charismatique Leon Lai, presque un Tony Leung tourmenté en devenir), sans états d'âmes, quasi muet et recherchant une compagnie facile ; sa partenaire (troublante Michele Reis) follement amoureuse de lui, prête à dépouiller tous les appartements où passe le tueur pour prélever des traces de son passage ; et puis surtout un sourd-muet vivant de petits boulots, à la fois insupportable par son hyperactivité, mais attachant par sa spontanéité délirante. Ce personnage, peut-être le plus émouvant car découvrant tardivement les sentiments humains tels que la déception, l'amour, ou la mort, est par ailleurs incarné par Takeshi Kaneshiro, souvent réputé pour ses rôles de romantique dans les grosses productions actuelles tels que Le Secret des Poignards Volants. Il trouve ici, par sa jeunesse et son côté très fringant, un rôle à sa mesure, à la fois poignant et très amusant.

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Autour de ces personnages gravite une série de protagonistes annexes, créant de mini-histoires toutes marquées par la désillusion, par ce décrochage soudain de l'espoir et du désir qui prendra ensuite toute son ampleur dans les grandes fresques érotiques de Wong Kar-wai, In the Mood for Love ou 2046. Le dynamisme de la réalisation ancre ces récits dans une ville aussi folle que ses personnages, vivant sur un rythme tout aussi désaxé, où le temps semble irrégulier, parfois dans l'accélération parfois dans la dilatation, à l'image de la vie si particulière des protagonistes

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La force de caractère conférée aux personnages et les interprétations hallucinantes des acteurs donnent enfin dans ce film la légitimité à ce style Wong Kar-wai qui peut paraître parfois insupportable : la déformation du visuel, la saturation des couleurs dans les images, et l'aspect saccadé, volontiers « clip », du montage, s'ancrent au final dans une logique psychologique totalement décalée et proche de la folie, mais témoignant également d'un véritable désir de s'emparer de la vie. Au final, les nombreux « désaxements » du récit, souvent confus, témoignent, non plus de l'amour et du couple en discorde comme ce sera le cas par la suite, mais d'une jeunesse sur la pente. Ce qui, dans notre société déchirée actuelle, ne peut que frapper.

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