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Hommage à l’eau et aux oiseaux - Récital Kotaro Fukuma

L'eau, les oiseaux, le piano

 

Une réflexion à partir du RECITAL de KOTARU FUKUMA, organisé par les Musicales de Croissy le 31 janvier 2016.

 

Parler de musique a toujours été une difficulté sur ce blog, son auteur n'étant pas une musicienne, ne maîtrisant guère l'histoire de la musique, et encore moins son langage.

Peut-être la découverte du récital du Fukuma inaugure-t-elle une autre manière d'évoquer une représentation musical, dans la modeste intention de ce blog à faire découvrir des oeuvres tout en permettant des ouvertures, par l'interprétation, vers d'autres créations.

Kotaro Fukuma est un pianiste de plus en plus reconnu en Europe. Il travaille entre le Japon et l'Allemagne, et sa sensibilité le porte autant vers le compositeurs de son pays natal que ceux européens. Les Musicales de Croissy le recevaient pour la seconde fois dans sa charmante salle de concert, lui réservant un accueil fort chaleureux auquel le pianiste répondit par de fines explications du choix de ses partitions. La singularité de ce récital résidait en effet dans la création totale du programme par le pianiste lui-même, sur ce thème de l'eau et des oiseaux. La première partie embrassait des compositions du 17ème au 19ème siècle, alternant entre alouette et partition fluviale, tandis que la seconde intégrait martèlements complexes et touches impressionnistes par le choix de compositeurs plus contemporains et singuliers. Si le morceau final, Le Cygne de Saint-Saens, réunissait les deux motifs, se dessinaient déjà, durant tout le programme, un dialogue entre ces éléments. En l'occurrence, le premier segment proposait une impeccable interprétation classique, des lacs calmes aux tempêtes de notes en tous genres, là où le second se révélait plus expérimental, fait de pépiements originaux.

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Ouverture impeccable, ainsi, avec des compositions de Rameau, Bizet ou Glinka, où Kotaro Fukuma jouait sans partition, laissant glisser sans aucune hésitation ses doigts sur le clavier. Si l'eau autant que les oiseaux étaient présents dans les choix de pièces, c'est bien plus le motif aquatique qui se laissait dessiner à travers l'interprétation, par les multiples variations, et surtout le style à la fois dynamique et fluide propre à Fukuma. Ce style devenait ruisseau mouvant, s'accrochant aux scansions violentes comme autant de branchages sur son passage, s'écoulant allègrement sur des successions de notes douces avant de se précipiter dans de soudains crescendos. Cela se révélait particulièrement perceptible sur Les Chants du Rhin de Bizet, un choix éminemment personnel puisque renvoyant à une partie de l'Allemagne, l'un des pays du pianiste, où il a accompli une partie de ses études et vit à présent. La présence du Rhin se liait en outre à un courant éminemment romantique, puisqu'il a nourri les poèmes de Musset, Lamartine, Hugo, et traversé les peintures de Turner, Friedrich...

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Cascade du Rhin près de Schaffhausen (William Turner, 1806)

 

Une autre belle retranscription de Fukuma était La Moldau de Smetana. Le ruissellement en apothéose trouvait tout son sens sous le rythme pianistique, tout aussi bouleversant que la composition d'origine. La magistrale maîtrise de la succession des mouvements ouvrant le morceau éloignait du lyrisme plus emphatique de la partition orchestrale, et acheminait vers une émotion à la fois douce et dense. La Moldau a en outre récemment bordé les images de The Tree Of Life de Terrence Malick, où l'eau, bien plus que la signification patriotique du titre du morceau, se révèle essentiel à la construction du film. Le chapelet de souvenirs d'enfance du personnage, aux images et aux sons s'entremêlant comme de multiples courants, aboutit à un baptême miraculeux dans la mer, à une apothéose de la réconciliation. Le souvenir de The Tree Of Life ne se révèle guère si éloigné de ce récital, puisqu'il évoque le Rain Tree Sketch composé par Takemitsu, d'après un arbre symbolique au roman de Kenzaburô Ôé. L'écrivain japonais est lui-même un ardent défenseur de ces astres de la terre. Ce motif de l'arbre, de même que celui de la terre, traversait le récital, composant un intermédiaire entre l'eau et les oiseaux, entre le ciel et la mer.

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The Tree Of Life (Terrence Malick, 2008)

 

La seconde partie du récital s'emparait d'oeuvres plus impressionnistes, dans un rapport plus sensible à ce couple naturel. Les Miroirs de Ravel introduisaient en douceur ce changement, plus épuré dans son évolution, progressant par touches, non sans dessiner, sous l'effleurement rapide des doigts de Fukuma, le souvenir des tableaux impressionnistes, entre Monet, Renoir, Van Gogh... Les Miroirs préparaient, par ses petites touches inquiétantes, à la déroutante partition du Rouge-Gorge d'Olivier Messiaen. Le jeu restituait les décalages inattendus et les notes brisées de cet interlude court qui changeait considérablement le programme de Fukuma pour l'emmener vers des continents plus modernes, loin du lyrisme fluide.

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Les Nymphéas : les Nuages (Claude Monet, 1915 - 1926)

 

L'une des découvertes de ce récital fut le compositeur Tôru Takemitsu, un choix cher à Kotaro Fukuma. Le Rain Tree Sketch succédait non sans hasard au Rouge-Gorge, puisque l'artiste japonais s'est beaucoup inspiré de Messiaen, mais aussi de Debussy. Se retrouvaient donc les audaces contemporaines, avec de mêmes effets de brisure dans le rythme, cependant mêlés à une fluidité plus prédominante. Ici, le Rain Tree Sketch renvoie à une nouvelle de Ôé, Les Femmes qui écoutent l'arbre de pluie, mais se rappelle au-delà de cette origine la remarquable philosophie humaniste de l'écrivain. Ce dernier défend une conception à la fois empreinte de sagesse mais déchirée face au monde. L'oeuvre d'Ôe est traversée à la fois par la constatation de la violence, jusqu'à travailler un style d'écriture tiraillé de toutes parts ; autant que par la croyance forte dans l'appréhension sage de valeurs humaines. Cette dualité peut se retrouver dans le morceau de Takemitsu.

Tôru Takemitsu a en outre composé beaucoup de musiques de films, et la liste demeure impressionnante, du Ran de Akira Kurosawa aux cinéastes les plus importants des années 1970, Nagisa Oshima, Masaki Kobayashi, Kon Ichigawa, Masahiro Shinoda... Chez Oshima, en particulier, est reconnaissable ce même style de Takemitsu évoquant l'écriture d'Ôe, par des martèlements soudains dans des mouvements tragiques, oscillant entre violence exacerbé et virements sentimentaux.

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Petits Oiseaux (Yôko Ogawa, 2014)

Si le duo renvoyait d'abord à une culture fortement européenne, il se liait aussi au lieu natal du pianiste. Outre la présence de Takemitsu, l'eau et les oiseaux demeurent ardemment présents dans la culture japonaise, à commencer par l'art de l'estampe. Les récentes expositions autour d'Hokusai ou de Kuniyoshi à Paris ont achevé d'amener des images devant les yeux fermées sous l'écoute de ce piano. Estampes sages recueillant le tendre perchement d'un oiseau sur sa branche ; feuilles de croquis qui immortalisent une vivacité des plumes ou l'allure acérée d'un bec : impressionnisme non pas des couleurs et des touches, comme celui des Européens, mais plutôt d'une abstraction japonaise ramenant le vertébré à son essentiel. Cette douceur des estampes, et des notes de certaines pièces jouées durant ce récital, ne sont pas sans évoquer l'un des derniers romans de Yôko Ogawa, et la sensibilité mélomane qui empreint son écriture. Petits Oiseaux propose un véritable voyage au cœur des sonorités comprises au fil des jours par un jeune homme solitaire, observé patiemment par son frère. L'oiseau est autant la créature qui agite les arbres du parc aux enfants que le curieux homme rêveur qui écoute les pépiements venus du ciel.

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L'Empereur retiré Sutoku envoie ses vassaux au secours de Tametomo (Utagawa Kuniyoshi, 1851)

Mais la force d'interprétation de Fukuma durant son récital emportait parfois vers la violence et le débordement. C'est soudainement qu'il se levait pour accompagner les notes les plus impressionnantes, échappant à l'image sage et élégante qu'il paraissait d'abord renvoyer. Les accents fantastiques de la peinture japonaise, par exemple dans le gonflement des vagues de Kuniyoshi, ou dans l'étrangeté de créatures volantes, se liaient à l'interprétation de Kotaro Fukuma, qui, perché sur son piano, n'hésite pas à s'immerger dans le flux musical de son récital. Là aussi un autre oiseau similaire à celui d'Ogawa, pris dans un dialogue passionné, non pas avec d'autres comparses ailés, mais avec le chant de son instrument.

 

Kotaro-Fukuma-dans-piano©Céline-Lamodi.jpg

Programme du récital :

 

Rameau – Le Rappel des oiseaux

Bizet – Chants du Rhin

Glinka – L'alouette

Smetana – La Moldau

 

Ravel – Miroirs

Messiaen – Le Rouge-Gorge

Takemitsu – Rain Tree Sketch

Liszt – Deux légendes

Saint-Saens – Le Cygne

 

 

Un entretien avec Kenzaburo Ôé pour Le Temps, où il évoque notamment son rapport à la nature : http://www.letemps.ch/culture/2014/04/25/kenzaburo-oe-ah-me-suis-dit-c-japonais

 

Le site des Musicales de Croissy : http://www.lesmusicalesdecroissy.com/index.html

 

Le site de Kotaro Fukuma : http://www.kotarofukuma.com/fr

 

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