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Kurozuka

KUROZUKA

 

à propos du spectacle de kabuki interprété par la compagnie Kinoshita-Kabuki

 

Supervision : Yuichi Kinoshita
Mise en scène, scénographie : Kunio Sugihara
Avec : Yuya Ogaki, Wataru Kitao, Kimio Taketani, Shinya Natsume, Kan Fukuhara

 

La pièce interprétée en ce début d'année 2016 à la MCJP proposait un alliage audacieux entre l'ancien et le moderne. L'ancien, c'est cet art du kabuki, avec sa codification de jeu et d'habillage, sa gestuelle précise, ses poses et expressions significatives, restitués fidèlement pour une adaptation d'une pièce de 1939. Le moderne, c'est la jeunesse de cette compagnie, qui intègre des motifs contemporains surprenants au sein de cette restitution du kabuki.

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La sincérité de la compagnie à l'égard du kabuki plaît d'emblée dans ce projet. Car il ne s'agit point de briser des codes, mais de créer un double-langage, à l'égard autant des fervents de la tradition que des novices. Pour ma part, si je découvrais pour la première sur scène la gestuelle et de phrasé typiques au kabuki, la qualité d'interprétation surgissait d'emblée. Le kabuki s'appuie sur une langue japonaise assez particulière, empreinte d'expressions anciennes et d'un parler proche du chant, allongeant les syllabes et les sons de gorge. De même, les postures déploient l'emphase et se révèlent riches de sens. En l'occurrence, chaque détail de geste ou de voix est là pour insuffler un trait de caractère au personnage, signaler la venue du fantastique ou bien exprimer à outrance des émotions. Dans le cas de cette pièce, le protagoniste principal était le plus travaillé en ce qui concerne cette dimension, puisqu'il s'agissait d'une vieille femme se transformant en ogresse et attaquant les moines venus sous son toit. L'interprétation magistrale de son acteur rendait compte de l'étrangeté par une habile succession de postures contradictoires, entre de longs moments d'immobilité courbée et de brusques et précis gestes de manipulation ne manquant pas d'effrayer les visiteurs.

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Le ton de la pièce était dans un premier temps dans ce fantastique légendaire, dont certains éléments ne manquaient pas de rappeler nos contes européens. Ainsi, la fameuse porte de la chambre de la vieille femme, qu'elle défend de franchir, rappelle totalement la fameuse pièce interdite de Barbe-Bleue... Le personnage central de Kurozuka est ainsi une variante du thème de l'ogre, prêt à fondre voracement d'un moment à l'autre sur ses victimes. Mais, en dépit de ce sujet, le spectacle ne refuse pas l'humour. Tout d'abord, l'introduction des moines, jouant sur la corde de la modernité, offrait un fort contraste désopilant face au sérieux de la vieille femme inquiétante. Plutôt qu'être des religieux fervents, ces quatre visiteurs se révélaient plus des jeunes en vadrouille, attifés de divers vêtements contemporains, entre mode kawai, treillis, survêtements de sport. De même, les jeux des quatre compères rivalisaient de compétition dans les nombreuses mimiques grimaces qu'ils déployaient durant le récit de l'ogresse, contribuant ainsi à de petites touches comiques, en particulier sur le premier tiers du spectacle. En outre, le kabuki étant interprété uniquement par les hommes, les acteurs s'amusaient grandement avec les rôles féminins qu'ils devaient parfois jouer ponctuellement. L'imitation d'une femme en train d'accoucher par l'un d'eux devenait un curieux numéro burlesque.

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L'énergie des acteurs et de la mise en scène de leurs déplacements contribuaient beaucoup à la dynamique de la pièce et au plaisir d'y assister. Le décor permettait cela, puisqu'il consistait en un petit praticable positionné au centre de la salle, avec des tribunes pour le public de chaque côté, la meilleure place restant le premier rang, au plus près des acteurs en action. La vivacité d'un point à l'autre, et le minimalisme des postures rappelaient un autre art théâtral, celui du bunraku, de la marionnette japonaise, qui appelle aussi souvent à ce type de petites estrades superposés sur lesquels glissent les manipulateurs.

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Une autre singularité de la mise en scène résidait dans les variations de lumière, notamment sur la seconde partie du spectacle, où se révélaient le passé de l'ogresse, la raison de sa transformation, et la bataille finale engagée avec les moines. Les teintes changeaient constamment, passant d'une lumière chaleureuse à des bleus plus sombres, prétexte à des jeux d'ombres construisant la part monstrueuse du personnage. Plus abstraite, cette partie du spectacle déroutait, plus inégale parce qu'elle prenait plus de risques dans l'affirmation de ses choix contemporains. La musique était ainsi bien plus omniprésente, consistant en des choix d'électro ou s'appuyant encore sur la comédie musicale, avec une chanson du répertoire Disney et une autre interprétée par les moines à la manière d'un boys'band actuel. Si l'électro permettait de figurer une impressionnante plongée dans la violence, les chansons paraissaient trop décalées par rapport à l'ensemble, et leur interprétation hésitait entre l'émotionnel franc et l'ironie. Ainsi, les regrets de l'ogresse, sensée devenir plus un personnage aux origines tragiques aux yeux des spectateurs, semblaient parfois surfaits et ne soulevaient guère l'émotion. Résultait plus un spectacle de gestes et de voix ne manquant pas d'impressionner par sa sincère énergie.

 

 

L'entretien avec le créateur de la compagnie Yuichi Kinoshita et le metteur en scène Kunio Sugihara pour le site journaldujapon.com :

http://www.journaldujapon.com/2016/03/05/kinoshita-kabuki-la-tradition-la-modernite-et-tout-ce-quil-y-a-entre-les-deux/

 

Le site officiel de la compagnie : http://kinoshita-kabuki.org/en/about

 

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