Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Sunhi
L'amour est jeu de ressemblances
SUNHI (U RI SUNHI, 2013) – Hong Sang-soo
Film découvert au Cycle Séoul Hypnotique du Forum des Images
Sunhi est pour moi le retour à l'expérience Hong Sang-soo, qui s'était « étouffée dans l'oeuf » à la sortie de Les Femmes de mes amis (2010). La déception face à ce film avait, il y a quelques années de cela, achevé tout désir d'en découvrir plus sur le cinéaste. Quelques années plus tard, je compris que mon incompréhension autant que mon indifférence à l'égard de l'oeuvre de Hong Sang-soo découlait de mon rejet de celle d'Eric Rohmer, influence majeure sur le cinéaste sud-coréen. Sunhi est cependant l'un des films les moins démonstratifs de Hong Sang-soo, surtout plaisant par sa simplicité.
Le schéma est simple : autour de la jeune Sunhi vont circuler trois hommes d'âge et de situation différents, tous attirés par elle. Le jeu veut que Sunhi n'est guère attirante et n'a rien de la femme fatale ou extraordinaire que tous dépeignent : elle contient au contraire une charge d'ordinaire, voire d'oisiveté banale qui contraste de manière amusante avec la fascination connus par ces trois hommes. Cet anti-charme du personnage surgit dès les premiers plans, où avance mollement Sunhi, et pose des questions d'un ton badin à l'un de ses anciens camarades d'université. Pourtant, l'anti-charme provoque l'attachement immédiat au personnage qui devrait rebuter, mais qui pourtant amuse et attendrit par sa beauté simple, sa franchise et sa mauvaise foi. Hong Sang-soo lui confine par ailleurs un code vestimentaire tout précis, doudoune noire, pull orange vif et sac à dos vert, trimballant cette silhouette de lieu en lieu, indifférente aux émois des hommes autour d'elle.
L'actrice, Yu-mi Jung – par ailleurs aussi la doubleuse du film d'animation projeté dans le cadre de ce même cycle coréen quelques jours plus tard – incarne toute en retenue ce personnage atypique et peu attractif, parvenant à faire glisser ses émotions cachées dans de nombreux petits gestes. La scène où elle découvre ainsi la lettre de recommandation écrite par son enseignant laisse voir, sans surenchère, sa progressive déception et incompréhension face aux mots peu motivés de celui qu'elle appréciait. En outre, Hong Sang-soo souligne tout en douceur, par à la fois l'indécision et la volonté frondeuse de la jeune femme, certaines contradictions de la jeunesse étudiante coréenne (et que l'on pourrait étendre aisément à celle française !).
Quant aux hommes, ils sont, contrairement à Sunhi, étrangement condensés en un. Si le film leur attribue au départ des caractéristiques très précises – l'étudiant de cinéma badin, l'esthète enseignant de faculté, le chercheur désoeuvré – l'enchaînement des séquences vient peu à peu les réunir, certes par leur attachement commun à Sunhi, mais surtout par une vision circulaire de l'amour. Ce sont en effet les même mots qui reviennent dans les bouches, les mêmes expressions qui s'agencent, les mêmes gestuelles qui surgissent au cours des conversations, bien souvent autour de plusieurs bouteilles d'alcool. Ceci confère beaucoup à l'humour de Sunhi, qui joue sur un principe répétitif, où les hommes finissent toujours par devenir les mêmes figures larmoyantes autour d'une table, et à se ressembler énormément.
L'idée de la répétition est ce qui construit le film en même temps qu'il le limite. De fait, la réalisation de Hong Sang-soo se table sur la venue par deux des thèmes et des lieux : deux venues à l'université, deux lettres de recommandation écrites, deux passages dans le bar, ou même deux poulets commandés ! Ces séries de duos aboutissent à un amusant trio final, par ailleurs plus proche d'un Lubitsch qu'un Rohmer. Mais le principe de bouclage et de rapprochement des personnages et de leurs discours, à l'image de ces fameux zooms sur les conversations chers au cinéaste, n'en font pas plus une progression latente dans le film. Il fait au contraire perdre un peu d'intérêt, diminue la profondeur de ses personnages, figés dans leurs postures alcooliques, recalés à toute possible amélioration de leur sort. A ce constat pessimiste en dépit de la légèreté apparente du film, Sunhi est peut-être la seule exception, insaisissable dans ces jeux de l'amour et du hasard, et qui finit par, littéralement, fuir un film qui n'a plus grand-chose à lui dire.