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  • Opus

    OPUS

    Un manga de Satoshi Kon

    Editions Imho 

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    Plus personnel que Kaikisen, Opus est un des mangas écrits par Satoshi Kon, avant qu'il ne commence sa carrière dans l'animation. Il s'agit du premier tome d'un récit fantastique qui amorcé déjà le goût des traversées et des univers parallèles qu'on peut trouver dans les films de Kon. Le graphisme très souple et agréable à lire nous attache tout de suite très facilement à l'histoire et aux protagonistes.

    Le défaut majeur de ce manga repose sur la vacuité de son personnage principal, Chikara Nagai, un artiste mangaka populaire qui se retrouve propulsé dans l'univers de ses dessins, lorsqu'un de ses personnages, refusant le tracé de sa mort, vole la précieuse planche sensée clôturer un chapitre important. D'emblée, la fiction rejoint la réalité de manière habile et efficace, mais, pour ce premier volume, le protagoniste du mangaka précipité n'apporte pas grand-chose à ce basculement fantastique. Ses réactions s'avèrent d'abord amusante, puis deviennent ennuyeuses, plutôt lourdes et classiques, ce qui ne permet pas à la dimension fantastique de s'étoffer plus.

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    En revanche, le protagoniste placé en face du mangaka, l'héroïne Satoko qu'il a créé de toutes pièces dans son manga intitulé « Resonance » avant de la rencontrer, se révèle plus écrite, semblable aux personnages féminins des films de Kon. Elle oppose une certaine méfiance et résistance face à l'écrivain, le retranchent dans ses choix et le faisant réfléchir sur sa propre création. Le même processus s'installer peu à peu au travers du « Masque », le grand opposant de Satoko, qui se remet brutalement en question lorsqu'il apprend que tous ses plans de conquête de pouvoirs ne sont que le fruit de l'imagination d'un autre. Au final, le basculement se révèle intéressant au niveau de l'évolution des protagonistes de ce manga imaginaire, passant au début comme pour un shonen – manga d'action pour garçons - classique, qui se dirige peu à peu vers un manga plus psychologique, approchant le seinen – manga pour adultes.

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    Enfin, la belle surprise de cette œuvre de jeunesse reste la formidable élasticité du trait, prouvant que Kon possède un véritable sens du cadre et de la profondeur. Dans Kaikisen, certaines pages présentaient déjà une belle harmonie, notamment dans la représentation de l'eau ou de phénomènes fantastiques. Ici, la souplesse du tracé de Kon donne lieu à des expérimentations autour de l'idée de traversée, de passage d'un espace à un autre : portes, fenêtres, pages, cadres de toutes tailles deviennent des ouvertures que le futur cinéaste s'amuse à représenter de diverses façons, un simple livre devenant par exemple un immense escalier en mouvement. Plus intéressant se révèle les quelques tentatives d'introspection dans l'esprit des personnages. Un très beau chapitre fait ainsi s'entrechoquer entre les pages les souvenirs imaginés de Satoko, prémisse aux kaléidoscopes des univers de Mima, Chiyoko, ou Paprika.

  • People Mountain People Sea

    Des montagnes aux enfers

    PEOPLE MOUNTAIN PEOPLE SEA – Cai Shangjun

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    Certains critiques y voyaient un western chinois, mais il s'agit plus d'un film noir dans les montagnes chinoises, teinté par l'esprit de Zola – dont le réalisateur affirme s'être inspiré. D'une carrière immense et d'une blancheur extrême aux profondeurs noires d'une mine illégale, le personnage de Lao Tie effectue une progressive descente aux enfers, traversant les bas-fonds et les couches exploitées de la société, à la recherche de l'assassin de son frère. Le film de Cai Shangjun refuse le pathos et le sentimentalisme et s'ancre dans une âpre observation des faits, préférant la précision de la mise en scène et la richesse des sons d'ambiance aux scènes de dialogue ou d'explication.

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    Dans sa réalisation, Cai Shangjun succèderait presque à Jia Zhanke. La photographie du film, et son sens de la mise en scène, rejoignent dignement la latence des films de Zhanke, et chaque mouvement de caméra déploie un sens de la mise en scène et de la narration absolument sidérant. Rien que la première séquence, celle de l'assassinat, propose une esthétique hors du commun : le cadre et les choix de position des personnages déploient une intensité dramatique surprenante, car alliés à une forme de simplicité et de dépouillement provenant des lignes du décor, des collines désertes et inondées de soleil. Par la suite, le protagoniste du frère apparaîtra au beau milieu d'une carrière impressionnante, d'où jaillissent des effluves de poussière blanche et de roches friables. Les textures et l'éclairage ont une importance très forte dans le cadre de cette mise en scène, étant là pour rendre compte d'une atmosphère particulière, souvent angoissante. De bout en bout de son enquête, le frère va ainsi peu à peu passer des montagnes escarpées à l'ambiance bouillonnante et miséreuse de la ville, aux campagnes peuplées de moutons, jusqu'à ce final sidérant au sein d'une mine illégale, où ne règnent que la sueur luisant sur les peaux noircies des travailleurs clandestins.

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    Le personnage de Lao Tie recherche au final plus l'assassin pour se donner une quête et une raison d'agir. Sa mort paraît si absurde et si naturellement acceptée – étant elle-même filmée au début comme un événement naturel – que toute action de vengeance paraît vaine. Sa quête se révèle plus une déconstruction progressive, où Lao Tie observe, se fait humilier, essaie de reprendre le pouvoir par la force, se rend dans les lieux sans réelle conviction, plus dans l'attente que dans la réalisation. Le film nous place autant en position d'observateurs des actions de Lao Tie que de ce qu'il découvre, à savoir une succession de portraits des couches les plus miséreuses de la société, des bas-fonds de la ville aux conditions inhumaines du travail dans les mines. Dans cette peinture noire et âpre, les rares séquences du quotidien de Lao Tie apparaissent comme des temps de suspension paisibles, le temps de déguster un repas ou de promener les moutons, comme si la seule échappatoire possible était de rester fidèle à la vie des montagnes.

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    La sécheresse des scènes et de l'écriture, qui confine au dépouillement le plus complet, prêtent par fois à confusion. Le montage alterne en effet des scènes de contemplation, souvent des plans-séquences à la belle latence, avec de courtes et explosives bulles de violence. Ces choix provoquent soit une émotion brutale, soit une rupture de rythme assez désagréable pour la suite du récit. Hormis ces quelques moments de confusion, l'ensemble laisse une impression forte, film désespéré sur la vengeance ou la condition d'un homme progressivement précipité des montagnes aux enfers de la terre.

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  • Shokuzai

    Dichotomies

    SHOKUZAI – Kiyoshi Kurosawa

    CELLES QUI VOULAIENT SE SOUVENIR

    CELLES QUI VOULAIENT OUBLIER

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    Après le drame familial de son précédent film, Shokuzai semble renouer avec l'horrifique, tout en continuant le prolongement de la critique sociale amorcé avec Tokyo Sonata. Diptyque réunissant 5 épisodes, ce nouveau film se révèle moins radical qu'un Cure ou qu'un Kaïro, plus dans le psychologique et frôlant le fantastique par moments. On songe à du Yoko Ogawa sous sa forme la plus crue, à certains mangas d'horreur ou encore aux figures féminines de Satoshi Kon. Mais malgré toutes ses références, le travail photographique et narratif du film se révèle unique en son genre, très surprenant par son audace et son efficacité.

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    En effet, Kurosawa prend à contrepied l'idée de la réminiscence. Il refuse, avec son scénario, la recherche de tout souvenir, et, au montage, se méfie des flash-backs. C'est bien plus la couleur du présent, propre à chacune des jeunes filles ayant vécu se drame et ayant été dans l'incapacité d'aider à se rappeler du meurtrier de leur camarade, qui intéresse le cinéaste. Comment ont-elles évolué ? Comment ont-elles vécues avec ce traumatisme ? Le film décline ainsi une esthétique du présent tout à fait étonnante : teinte froide, rendant les visages très pâles et la lumière éblouissante, comme désaturant tout sur son passage. Là où le passé apparaît bien souvent, dans la plupart des films mêlant plusieurs temporalités, comme peuplé d'images évanescentes, aux couleurs légères et aux contours estompés, le film de Kurosawa effectue le mouvement inverse. Son passé qui ouvre le film sur le drame vécu par les enfants est d'une esthétique classique, aux teintes marquées, tandis que le présent apparaît comme déjà « passé », vieilli, par sa photographie. Cette dernière trouve des accents définitivement surréels dans le premier ou le cinquième épisode, avec par exemple la transformation d'une chambre à coucher en terrifiante vitrine pour poupée. Ce choix entièrement assumé transforme d'emblée chaque récit en une lecture inquiétante, où l'atmosphère paraît sans cesse vaciller, prête à basculer dans le fantastique ou dans la subjectivité troublée de chaque personnage.

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    En outre, Kurosawa développe une figure fantôme nouvelle, non plus incarnée au travers d'un personnage ou d'un thème ou élément comme auparavant (le suicide dans Kaïro, l'amnésique démoniaque dans Cure, l'arbre dans Charisma), mais apportée par un lieu, autrement dit ce fameux gymnase, lieu du crime où s'est déroulé le drame. Les personnages se révèlent tous hantés par une image du corps de la petite Emili, alliée à une atmosphère du lieu, désert et plongé dans la pénombre. Le geste de la mère qui est de s'allonger par terre à l'emplacement exact du corps témoigne de cette hantise qui traverse tout le film et qui constitue la texture même de la réalisation de Kurosawa. Dès lors, des effets de réminiscence de cette atmosphère traversent chaque histoire, les liant entre elles par échos et créant un sentiment permanent de tension et de mystère, donnant à chacun des récits leur dimension tragique et angoissante. Le film réussit à transmettre une partie de la complexité psychologique décrite à travers cette histoire dans cette forme hybride et nouvelle.

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    Car Shokuzai embrasse avec ambition plusieurs thématiques liées à la société japonaise, en particulier le rapport au corps, à la sexualité, à l'affirmation de soi parmi les autres. C'est à ce niveau que le scénario de chacune des histoires, sauf à la rigueur celle du dernier volet qui renoue plus avec le style des années 90 de Kurosawa, rejoint les meilleurs écrivains japonais dans leur capacité subtile à saisir le malaise, et à balader les protagonistes entre cruauté, radicalité et pudeur, épure. Le film passe ainsi d'un registre à un autre – du drame du premier épisode aux accents vaudevillesques du quatrième – et touche par la finesse de description qu'il confère à ces femmes. Chacune est capturé, dans une scrupuleuse mise en scène des faits, dans son assimilation du traumatisme. Mais les récits ne les condamnent pas ou ne s'en limitent pas à leur unique mode de vie, faisant interagir une série de circonstances et de protagonistes parallèles étant là pour révéler cette assimilation. Le premier épisode fait rencontrer ainsi la timidité maladive d'une des jeunes filles avec la maniaquerie d'un schizophrène, tandis que le deuxième dresse un portrait cinglant des rapports de pouvoir au sein du système scolaire. Le troisième épisode, plus tendre et étonnant, mêle l'imaginaire d'une fille « ours », repliée sur elle-même, à une sombre histoire d'abus sur enfants, où des suggestions inquiétantes viennent frôler l'univers ludique de la jeune adulte. Le dernier épisode, conclusion du film, se révèle moins audacieux, approchant plus l'esthétique des films sud-coréens de vengeance, et rejoignant certaines figures de Kurosawa (les narrations parallèles, la rencontre inattendue avec le tueur, la course dans les bois, ou encore le regard extérieur des enquêteurs).

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    Par le film se révèle enfin une nouvelle facette de Kurosawa, celle de sa qualité à diriger des acteurs n'étant plus uniquement présents dans une dimension plastique ou corporelle. Il y eut certes l'inoubliable acteur fétiche du réalisateur dans Cure, Charisma, Doppelgänger, Koji Yakusho, mais jusqu'à présent – si on excepte Tokyo Sonata – la plupart des acteurs incarnaient des figures bien souvent aliénées, victimes et perdues dans la folie. Ici, dans Shokuzai, une vraie prégnance psychologique est attribuée aux protagonistes féminins, toutes interprétées excellemment dans chacun des volets. Enfin, la plus belle part est accordée au couple de Tokyo Sonata, qui se retrouvent ici dans des rôles aux antipodes de ce précédent film. Kyoko Koizumi incarne une veuve noire impressionnante, tandis que Teriyuki Kagawa – qui jouait également l'hikikomori dans Tokyo ! - propose une métamorphose radicale et une capacité de jeu et de maîtrise du corps impressionnante.

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    L'efficacité de Shokuzai est dans sa dichotomie : allier une photographie proche du noir et blanc à ce qui relève du présent tandis que les flash-backs demeurent dans des couleurs vives, dresser des caractères à la fois autant à la recherche du pardon que de la punition, brasser des actions antagonistes dans une réalisation élégante. Le nouveau film de Kurosawa se révèle tout en finesse, confirmant la maturité d'un cinéaste investissant de plus en plus sur de nouveaux terrains et matières de création.

  • The Grandmaster

    THE GRANDMASTER – Wong Kar-wai

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    Autant le nouveau film de Wong Kar-wai m'a séduite par son esthétique dont je me méfie habituellement, autant son scénario ne m'a pas convaincue. Alors que la forme visuelle et le travail photographique et sonore du cinéaste hongkongais trouve une nouvelle ampleur avec l'histoire d'Yip Man et du kung-fu, les choix de récit et de montage se révèlent confus, peu à peu lassants et creux.

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    Qu'a voulu faire Wong Kar-wai avec The Grandmaster ? Raconter la vie du grand maître ? Montrer sa gloire, puis sa déconstruction face à l'invasion de l'armée japonaise ? Donner une histoire plus générale des différents types d'arts martiaux ? S'attacher à la figure de la fille du grand maître, attirée par la modestie de Ip Man ? Etre dans la fresque ou dans l'intime ? Autant d'intrigues et de choix d'écritures qui ne cessent de se frôler tout du long de The Grandmaster, uniquement unifiés par la forme, exquise, du film.

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    Si Wong Kar-wai a voulu dresser le portrait de la diversité des arts martiaux et se frotter à tout style de combat, cette intention trouve son apogée durant la séquence dans la maison close, autant un lieu de plaisir qu'un espace dédié aux rencontres entre les grandes écoles. Superbement filmé, la séquence fait gravir, au sens propre, les échelons d'un art martial à un autre, mêlant la démonstration à l'épique. Dans cette scène, les intentions de Kar-wai apparaissent et cette alchimie fonctionne admirablement. Or, par la suite, en particulier sur la période de l'invasion japonaise, les rares indications historique délivrées ne suffisent pas à appréhender le reste de l'histoire et à comprendre sa direction. En résulte une succession de séquences tout aussi bouleversantes dans la forme qu'incompréhensibles dans le fond. Le protagoniste mystérieux de La Lame, joué par Chang Chen, donne ainsi lieu à une troublante séquence de rencontre dans un train et à un combat épique dans la rue, mais ne se trouve qu'effleuré dans le récit, jouant plus un rôle en toile de fond.

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    Si le choix de Tony Leung devient presque un classique chez Wong Kar-wai, sa sobriété marquée et son charisme naturel étant les deux ressorts clés de ses personnages, et en l'occurrence parfaits pour incarner Yip Man, le choix de Zhang Ziyi, pourtant un personnage secondaire, se révèle bien plus audacieux et étonnant. Le fait est que l'écriture de la fille du Maître Gong présente bien plus d'ambivalence que l'intègre Yip. Zhang Ziyi incarne ainsi un personnage aux antipodes de ceux – bien plus niais et sans réelle profondeur – de ses précédents films, et réunit plusieurs questionnements sur l'héritage et la vengeance. La beauté de l'actrice est traitée dans la tonalité d'une grande froideur qui atteindra sa force avec la séquence dans la neige près d'une voie de chemin de fer. Cette froideur et cette épure concernant la mise en scène du personnage transmettent une forme de dignité chez Kar-wai, et déclenchent bien plus d'émotion que pour le malheur vécu par Yip Man, dont le destin familial est totalement éclipsé du film.

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    Plus intéressant, enfin, se révèle le choix esthétique apporté aux séquences de confrontation. Kar-wai y semble fusionner deux styles auparavant distingués dans le cinéma d'action chinois, réunissant à la fois Bruce Lee et Tsui Hark. En effet, si le film met en scène le maître du wing chun, l'art martial qui a fait la renommée de Yip Man et de son élève Bruce Lee à Hollywood, les combats au corps au corps sont filmés comme des séquences de wu xia pian, d'affrontement au sabre. L'esthétique développée autour du mouvement, de la virevolte et du prolongement des membres du corps atteint presque une dimension surnaturelle et fantastique. Ce renversement se révèle impressionnant et aurait pu atteindre une véritable ampleur si l'écriture globale du film s'était révélée plus cohérente.