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Nos Années sauvages

Brouillons de couples à l'aube du Kar-wai-verse

 

NOS ANNEES SAUVAGES (A Fei jing juen阿飛正傳, 1990) – Wong Kar-wai

Triangles amoureux, déambulations dans les rues, danses suaves sous la chaleur d'un appartement, ce second long-métrage de Wong Kar-wai pose les premières pierres de son « verse », de son univers tour-à-tour romantique et âpre. Avant l'alter ego Tony Leung, Leslie Cheung incarne le représentant des hommes fatals du cinéaste hongkongais.

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Même dans sa fébrilité, Nos Années sauvages fait preuve d'une certaine sensibilité à l'égard du tissu amoureux et de l'entrelacs complexe entre le désir égoïste, la quête de soi, la peur de la solitude. Nos Années sauvages respire d'une franche sincérité à l'égard de ces thématiques, de pureté également. Dès ce mystérieux restaurant ouvrant le film et où travaille Su Li-zhen (Maggie Cheung), l'intemporalité marque les plans. Pureté des espaces, très peu nombreux, souvent isolés, accueillant la violence amoureuse. Chaque pièce est un îlot, chaque protagoniste surgit d'on ne sait où. Ainsi, cette serveuse aux longs cheveux voit arriver sans crier gare l'insistant Yuddy (Leslie Cheung) ; puis se laisse approcher quelque temps plus tard par le ténébreux Tide (Andy Lau). Les protagonistes de Wong Kar-wai sont des éveillés flottants et évanescents qui tourbillonnent nonchalamment d'une chambre à un restaurant, d'une rue à un wagon de train. Même lorsque Yuddy, au final le plus développé des quatre, s'engage dans sa quête familiale aux Philippines, l'errance le rattrape rapidement. Le voyage vers le Sud-est se résume à une longue marche brumeuse sur un chemin désert, dont la lente solitude achève de déraciner entièrement le personnage hors de ses origines.

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Pureté également dans la jeunesse éclatante des acteurs, encore gauches dans leurs interprétations, projetés de manière brute dans l'univers de Wong Kar-wai. De manière fort singulière, la maladresse de jeu permet de porter l'alanguissement général du film. Ainsi, Maggie Cheung et sa beauté triste longiligne se situe très loin de son élégance subtile à venir. Sa grande silhouette aux cheveux flottants impose un sérieux lisse et parfois fade, mais néanmoins en phase avec l'atmosphère. Même sérieux quasi ennuyeux chez son alter ego masculin, le soldat joué par Andy Lau. L'apathie de ces deux protagonistes indique aussi leur déception plus globale, touchant à leurs carrières respectives – l'une se supporte pas d'être serveuse, l'autre souhaite devenir marins. Le ruban tragique de leurs vies noue ainsi l'assèchement de leurs sentiments. A Yuddy, Tide et Su se rajoute la tempête Mimi (Carina Lau). Le personnage fier et bruyant incarné par une Carina Lau méconnaissable dresse les prémisses de Zhang Ziyi dans 2046. Loin des trois autres, Mimi se fait être à part par son indépendance impétueuse. Celle-ci trouble les girouettes indécises, replace face aux vacuités personnelles.

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Entre ces quatre acteurs se joue une opposition fort marquée, mais relativement subtile. Si les deux femmes Su et Mimi contrastent radicalement, leur scène de confrontation hystérique montre au final la même désillusion à l'égard de leur amant commun. Atomes loin d'être crochus, mais souffrance souveraine et contiguë. Quant aux deux hommes, leur brève rencontre exotique brise temporairement leurs solitudes respectives.

Pour Yuddy, Leslie Cheung s'adonne à ce qu'il fait de mieux, un séducteur à mi-chemin entre l'amusant folâtre et le bad boy sournois. L'acteur, au naturel éclatant, à la beauté insolente, était le meilleur choix pour ce protagoniste tour-à-tour charismatique et agaçant, et forcément omniprésent. La force de présence de Yuddy dirige la fièvre comme la méchanceté des trois autres. Les nombreuses scènes d'amour ou de confession, sont-elles réellement probantes d'un attachement réel ? La jeunesse frappante des protagonistes, presque adolescente, la mise en scène de leurs comportement font surgir l'égoïsme de chacun. Ou est-ce plutôt le narcissisme éclatant de Yuddy qui entaillent les autres ? La question est double, et trouble. Au final, l'unique moment possible de partage sera celui de la minute au début du film pour Su et Yuddy, à compter et à suivre ensemble le mouvement de l'aiguille sur l'instrument de mesure du temps.

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Nos Années sauvages pose de manière très évidente la minuterie de son cinéaste. L'exemple de la montre cristallise ses questions de cadence comme de disharmonie. Marcher au même pas, mais partir dans des directions différentes, échanger des caresses mais danser tout seul, écouter le tic-tac à deux mais se déchirer ensuite pour des rendez-vous manqués. Il souligne également l'inévitable solitude des êtres, toujours rattrapés par l'impossibilité d'être à deux, ou de même se réconcilier avec soi-même. Restent les longues errances dans les rues souvent mal éclairées, seules exutoires des cœurs brisés.

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La fin du long-métrage surprend. Car Wong Kar-wai préparait une suite, jamais tournée, aux destins de ses protagonistes. Cette suite, elle s'esquisse dans l'ultime apparition finale de Tony Leung, se préparant pour un rendez-vous galant dans une chambre basse. L'atmosphère impose un décalage frappant avec le reste du film et projette le spectre des films les plus célèbres de Wong Kar-wai – l'on pourrait d'ailleurs disserter longuement sur l'allure « intemporel » de son acteur fétiche qui n'est là pas marqué par la jeunesse comme ses autres collègues, mais plus défini par un âge moyen unique. Le « cameo » du futur héros se greffe à deux autres images : celle d'un Leslie Cheung dérivant les yeux mi-clos dans un wagon vers une destination exotique ; puis celle d'une Maggie Cheung se souvenant d'un vaporeux moment de bonheur partagé. Au final, cette chambre conclusive se révèle antichambre de la filmographie à venir du cinéaste. Tony Leung s'y prépare à devenir le futur séducteur de ces dames et hommes du Kar-wai-verse. Nos Années sauvages ne serait-il pas, en ce sens, la propédeutique d'Happy Together comme d'In The Mood for Love. Tony récupère les deux âmes les plus esseulées de Nos Années sauvages, à savoir Leslie et Maggie, ce couple impossible car trop contrasté. La gaminerie de l'un comme le sérieux de l'autre vont en quelque sorte réconciliés par l'être qui rassemble ces deux caractéristiques.

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