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Office

Singing, sinking in the money

 

OFFICE (HUA LI SHANG BAN ZU) - Johnnie To

Une satire grinçante sur la crise financière en forme de comédie musicale et en 3D, le projet de Johnnie To avait de quoi faire tourner de la tête. Et laissait imaginer un violent drame vertigineux qui ferait date dans la filmographie du cinéaste hongkongais. Mais… Le coup d’éclat promis n’est pas là ; à la place ce film élégant mais inégal, dont la dimension tragique se révèle plutôt superficielle.

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Office croise les désirs nés de deux précédents films de Johnnie To. L’intérêt du cinéaste hongkongais pour la crise financière en tant que phénomène quasi criminel aux lourdes conséquences surgissait dans l’excellent La Vie sans principe. To y décrivait les destins d’une poignée de personnages touchés de manière invisible par le krach boursier : la violence stylisée du cinéaste se retrouvait de manière dématérialisée mais tout aussi dramatique ; les rafales de balles devenaient des rafales de chiffres en chute sur les écrans. Cette mutation invisible de la violence porte aussi Office : ses décors, notamment sa grande horloge survolée par de spectaculaires mouvements de caméra, comme le texte des chansons transcrivent la déchéance des employés, qui se sentent prêts à se brûler les ailes en visant le haut de la hiérarchie et de la fortune.

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Autre désir, toujours latent dans le travail fort chorégraphe des scènes d’action comme de déambulation chez To, celui de la comédie musicale, du rythme dansant et pimpant. Face à la gestuelle des personnages d’Office, on songe à ce beau quatuor de Sparrow, assurément l’une des œuvres les plus singulières du réalisateur. Les quatre attachants pickpockets du film y dérobaient leurs victimes avec la même grâce virevoltante qu’un Gene Kelly hongkongais. Sans pour autant exécuter une danse, les protagonistes de To sont transportés par un souci de cadence, de gestuelle en rythme, d’organisation par rapport au décor. Le large “office”, bureau, où les employés se croisent et s’affrontent tels des corps de ballet sur cette scène improvisée. La comparaison fonctionne admirablement car elle se justifie par l’extrême hiérarchie du milieu financier.

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Face à ces deux importants thèmes, l’intrigue peine à distiller de l’intérêt. Il faudrait lire la pièce de Sylvia Chang dont le film est l’adaptation pour saisir peut-être des subtilités effacées à l’écran : car les conflits entre les deux hiérarchies, celle dirigée par Ho (Chow Yun-fat) et Cheung (Sylvia Chang), relève d’une certaine banalité. Cette bataille de deux puissants charismatiques multiplie mensonges et coups de trahison mais ce sans la puissance réelle d’une tragédie. Et, notamment parce que le duel des titanesques acteurs hongkongais est marqué par un réel déséquilibre : le protagoniste incarné par Chow Yun-fat est largement sous-incarné et sous-représenté face à celui, plus décrit et subtil, de Sylvia Chang. Certes, revoir Chow Yun-fat recouvrir son prestige d’antan par un rôle bien plus sérieux que ses pâles compositions hollywoodiennes fait plaisir, mais son personnage demeure effacé, et fort peu menaçant. Sous le parapluie de cette confrontation des magnats de l’entreprise, les intérêts d’une galerie de protagonistes s’affrontent entre deux chansons.

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Ne boudons pas notre plaisir d’entendre d’autres langues que l’anglais, généralement surreprésenté côté films musicaux au cinéma - par ailleurs, Lou et l’île aux sirènes est un autre film asiatique qui nous fait entendre ses chansons cet été. La découverte du musical cantonais est une vraie surprise, assez agréable car rythmée et vive. Durant les séquences chantées, les points de vue sont variés, les acteurs prennent plaisir à s’affronter dans un décor traversé de part en part. Cependant, l’effort devient peu à peu freiné par certains accents rock des plus déplaisants.

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Cependant, l’abondance des chansons indique un autre déséquilibre du film : le trop-plein évident de personnages. Certains ne sont introduits qu’à travers une composition musicale (comme la coquette Ka-ling), d’autres mettent du temps à exister avant de se révéler essentiels au dénouement final. Le projet d’initier une véritable comédie musicale paraît avoir donné à To le désir d’ambitionner un schéma de protagonistes plus riche et tentaculaire. Néanmoins, les différences d’écriture et de jeu se font sentir. Ainsi, plusieurs couples se répondent, par générations : les supérieurs Ho et Cheung ; David et Sophie, deux salariés bien placés ; puis les arrivants Xian et Kei-kei. Ces deux derniers, les plus jeunes, incarnés par Ziyi Wang et Yueting Lang ne soulèvent guère de curiosité en dépit de leur présence importante. Ces nouvelles recrues n’ont pas l’étoffe du protagoniste Toien par excellence.

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Face à la galerie parfois insatisfaisante de personnages, il serait quelque peu cruel d’affirmer que le meilleur acteur d’Office se révèle… le décor. La mise en place de cette gigantesque scène de spectacle hybride, entre l’espace d’un opéra et le plateau de cinéma, impressionne presque à chaque nouvelle séquence. Après des années d’absence sur nos grands écrans français, le retour de la réalisation stylisée de Johnnie To procure un certain plaisir. Ses mouvements de caméra englobent dans une élégance exquise les myriades d’escaliers, la douceur des baies vitrées, la largesse des salles de réunion. Autre détail, ce métro presque futuriste qui arrive juste en bas de l’entreprise et qui organise déjà la hiérarchie sociale par son architecture. La disparition des portes et des fenêtres laisse tout voir dans cet espace, tous les médisances, toutes les critiques, tous les complots : tout se joue côte à côte, sans intimité réelle, car tout le monde est dans le même sac. Ce traitement singulier de l’espace donne une dimension tragique que le scénario peine à apporter.

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Néanmoins, il faut reconnaître une configuration réussie au sein de ce scénario bancal. En parallèle aux trois couples, une autre relation, cette fois-ci triangulaire, s’élabore et soulève un lot plus intriguant de complications. David et Xian se disputent les faveurs de la même femme, Cheung. Le rapport de David (la star de la chanson Eason Chan, très convaincant) avec Cheung est en particulier fort troublant, avec ses désirs cachés, son double-sentiment d’amour comme de haine. Les scènes entre Eason Chan et Sylvia Chang sont en cela les plus fortes émotionnellement, loin d’autres confrontations plus éteintes. Une quatrième protagoniste se retrouve impliqué malgré elle dans ce filet déjà tendu. Le rôle de Sophie, jouée par une Tang Wei à fleur de peau, fait également gagner un certain dramatisme au film. La configuration inspire en outre la meilleure utilisation du décor, avec cette fameuse où David, tiraillé entre Cheung et Sophie, rendu fou par sa jalousie sans bornes et son désir de gloire indépendante, gravit les escaliers à toute vitesse. La caméra virevoltante en même temps que le personnage, ersatz des hommes trop ambitieux, typiques de l’univers de Johnnie To, et atteint une véritable jouissance à la Broadway.

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