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I am not Madame Bovary

Sortir de son histoire

 

I AM NOT MADAME BOVARY (WO BUSHI PAN JINLIAN) - Feng Xiaogang


I am not Madame Bovary est le premier film de Feng Xiaogang qui arrive sur nos écrans. Il réveille le souvenir du dernier opus de Jia Zhangke, Au-delà des montagnes : ambitieuse relecture de petits destins par-delà les temps, embrassade du passé comme du présent, changements de formats au rythme des métamorphoses internes du personnage… Mais I am not Madame Bovary impose un écrin unique, celui de cette forme circulaire empruntée à la peinture miniature.

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Est-ce à dire que la force du film naît de cette beauté du cadre ? Probablement. La courbe parfaite instaure une élégance foudroyante, aux antipodes de la violence angulaire du cadre usuel du plan cinéma. En outre, la réalisation de Fen Xiaogang se révèle fort exquise, finement travaillée au niveau de l’éclairage, du rapport au décor naturel, des teintes picturales.

Pourtant, l’utilisation de cette esthétique n’est guère une coquetterie : comme ces peintures, le cas de Li Xuelian (Fan Bingbing), le personnage principal, est miniature, elle n’est qu’un exemple parmi d’autres. Pourtant, son action devient vite la métonymie idéale pour dénoncer les absurdités du système judiciaire chinois. Brisée par l’infidélité de son mari, qui l’a menée en bateau pour orchestrer un faux divorce et ensuite se marier ailleurs, Li cherche à se venger. Le classement judiciaire de son affaire la met en colère et l’obstine à porter plainte, protester devant les tribunaux, s’adresser aux hiérarchies supérieures. Héroïne atypique, non nécessairement portée par un idéal mais plutôt incroyablement têtue et indépendante. Le cercle qui l’entoure sublime ce caractère : concentré, envers et contre tout, forçant l’attention dans un ensemble par nature fuyant.

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I am not Madame Bovary fait écho à un autre film, celui-ci indien, sur le thème de la justice. Avec le cas d’un chanteur injustement emprisonné, Court (en instance) montrait avec une certaine acidité les failles des tribunaux de son pays. Le jeune réalisateur Chaitanya Tamhane avait choisi la forme du plan-séquence pour souligner la durée abusive des procédures, ainsi que l’état de paresse dans lequel s’était englué le système et ses acteurs. A l’instar de Tamhane, Feng Xiaogang utilise sa forme cinématographique pour à la fois définir son personnage, mais aussi faire jaillir les nombreux défauts juridiques et les absurdités hiérarchiques. La prétendue justice ne subsiste finalement qu’à travers quelques proverbes convoqués de-ci de-là pour résoudre les situations embarrassantes. Elle est vite chassée par le souci de conserver la réputation et l’apparence d’un terrain paisible et sans litige. L’effet loupe sur le destin de Li est l’occasion idéale pour dresser un portrait de l’état politique chinois.

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Bien évidemment, la masculinité suintante des hautes sphères en prend un coup, face à la ténacité de la femme fière. En cela, le film propose quelques scènes de dialogue fort réjouissantes, où les préfets et avocats viennent maladroitement s’assurer que Li ne mènera pas d’action. L’affaire se résout finalement bien plus par le choix des mots et l’audace rhétorique que par l’application de lois. La complexité du dialogue naît paradoxalement d’une situation absurde et vaine. Car il ne restera plus que les mots, les regards et les silences d’un dialogue comme ultime recours.

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Le rythme du film et la traversée du temps sous-entend l’allure éternelle de la situation. Les rouages sont grippés par le cas Li ; et Li elle-même est figée dans l’espace-temps de son divorce irrésolu. Au final, l’expansion du temps - et du film - fera peu à peu éprouver la palpable humanité de certains hommes englués dans le système. Leur impuissance éclate dans la dernière partie : certains sont prêts à tout, d’autres s’offusquent, deviennent presque fous, ou se laissent porter par ce qui arrive. Subtilement, le film dénonce la cruauté des comportements sans les caricaturer. Pressés comme des citrons, ces hommes de loi seront partagés entre le soulagement et la compassion lors de la fatale nouvelle qui résoudra d’un coup l’affaire de quinze ans.

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En parallèle à la bataille judiciaire, Li fait face à un autre litige qui la concerne. Très vite, son action fait naître les rumeurs dans les villes et soulève les moqueries des autres. Car elle est comparée à un personnage de la littérature chinoise, Pan Jinliang, symbole de la femme infidèle - la distribution française a préféré substituer la comparaison avec notre Madame Bovary nationale. Si elle s’est imposée la violence de la vengeance, le protagoniste essuie aussi l’échec d’une autre vie, d’une autre histoire qui l’aurait sortie de ses sentiments brisés. Les quelques brèves sorties hors de la forme circulaire et le retour ponctuel à un cadre cinématographique classique supposent cette possibilité. Li échappe parfois à l’écrin de sa propre histoire, respire de temps en temps pour redevenir une femme ordinaire, et non plus une combattante du système patriarcal. Il faut remarquer la finesse avec laquelle le protagoniste, remarquablement interprété par Fan Bingbing n’incarne pas un idéal de justice, mais bien plus l’aspiration à un équilibre intérieur. Faire justice équivaut selon elle à créer chez l’autre la même douleur pour au final y échapper personnellement. La dernière séquence d’I am not Madame Bovary dévoile cette douleur. La fameuse vérité cachée, ce bébé perdu, donne un bouleversant nouveau visage à Li. Elle jette un accent tragique et amène un nouvel éclairage au film. Hors de la fiction, hors de l’écrin stylisé… Car celui-ci, dans le fond, protège d’une réalité trop cruelle, encore étouffée sous les tabous. La fiction, bien qu'impuissante, peut néanmoins, sur ses derniers plans, ouvrir les yeux de ceux qui contemplent les belles images.

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