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Court

L'anesthésie de notre époque

COURT (EN INSTANCE) - Chaitanya Tamhane

 

Premier long-métrage, Court impressionne par son point de vue distant, définitivement affirmé tout au long au d'un film profondément cynique et démantelant avec justesse le milieu de la justice indienne.

Comparé à Asghar Farhadi, le jeune cinéaste ne déploie pourtant pas ses scènes de procès sur une attente émotionnelle, à l'inverse du cinéaste iranien, mais bien plus sur une succession de saynètes absurdes. Celles-ci accompagnent le procès du chanteur Narayan Kamble, arrêté par la police car ayant incité un éboueur à se suicider peu de temps après son concert. En toile de fond des agissements surgissent en effet les chansons polémiques de Kamble – par ailleurs joué par Vira Sathidar dans son propre rôle – qui s'attaquent à la société indienne, mais aussi aux failles du monde entier. La mise en procès du vieil homme est traitée sur un mode clinique démontrant peu à peu la vanité du système.

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Cette composition du film en succession de segments et saynètes va de pair avec le système judiciaire. Le procès peut s'étendre, repoussant de sessions en sessions le fruit du jugement, s'attardant en longues complaintes sur des détails inutiles. Plutôt que des plaidoiries, le film va s'emparer de ces pertes de temps judiciaires, ces longs moments de référence à des lois anciennes et inutiles, ou d'interrogatoires sans fondement. L'avocat du chanteur proteste bien souvent contre cette perte de temps et ces détails législatifs, alors que la véritable enquête de terrain n'est jamais effectuée.

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Le réalisateur joue de cette frustration en étirant volontairement la durée de ses plans, mettant le spectateur dans une sensation d'alanguissement parfois insupportable. Cette habile mise en condition fait jaillir très justement cette sensation propre à nos machines administratives et notre souci de retarder, ou déléguer, sans cesse les décisions et les jugements. Les réels jugements, ceux qui considèrent avec un regard avisé et construisent les éléments, le contexte et l'homme derrière la barre, peinent à exister dans le film. Ici, c'est une profonde et plane indifférence qui s'élance dans les répliques, les regards et les postures de la cour. Pas une seule fois l'avocate qui représente le suicidé ne jettera le regard vers celui qu'elle cherche à condamner. Elle applique tranquillement une méthode et retourne à son quotidien, sans chercher à appréhender les circonstances exactes de ses affaires.

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Le film, sans réellement condamner ses personnages, dénonce plutôt un état d'anesthésie général. Il n'y a guère que l'avocat célibataire qui s'enflamme pour son client, lui-même un chanteur alignant des vers forts ne semblant pas éveiller la foule. La réalisation de Tamhane incarne elle-même cette anesthésie en étant à son tour incroyablement distante et sobre face à des événements ou des propos révoltants. Ainsi, l'effroi saisit durant la scène où l'avocate et sa famille se rendent dans une salle de spectacle populaire. À la pièce de boulevard pétrie de répliques piquantes face à lesquelles les spectateurs se gaussent grassement succède un soudain message xénophobe glissé dans le jargon populaire. La foule applaudit et approuve, cadrée dans un plan d'ensemble qui dit tout de cette anesthésie faisant la promotion de l'intolérance, effaçant les pensées uniques et supprimant toute réflexion personnelle.

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