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A Touch of sin

4 histoires de possession

A TOUCH OF SIN – Jia Zhangke

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Prix du scénario à Cannes, le dernier film de Jia Zhangke prolonge son travail de peintre de son peuple, tout en proposant des variations inégales et expérimentales sur sa propre culture traditionnelle. Plus ambitieux que ses œuvres précédentes – proche en cela de l'étrange The WorldA Touch of sin dépasse par ses fluctuations de style l'entreprise portraitiste auparavant prônée par le cinéaste pour dévoiler un cri d'alarme désespéré et violent que porte Zhangke sur son propre pays.

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Afin d'explorer – ou plutôt de tenter de comprendre – la violence sidérante de son pays, le cinéaste s'est inspiré de faits divers pour composer son scénario, composant ainsi une structure en quatre temps, auquel il intègre un prologue explosif et un épilogue en forme de point d'interrogation. Zhangke use à chaque fois, au travers de chacun de ces récits, d'une multitude de micro-expérimentations, qu'il entremêle à son cinéma contemplatif et épuré. La fiction se frotte aux réflexes documentaires, le fantastique vient se nouer avec des moments au fort ancrage spatio-temporel, effectuant des retours fréquents à la description d'un contexte bien précis, celui de la Chine à la sortie du communisme et de son entrée dans le capitalisme. Mais au-delà de ça, le film nous rappelle constamment, et c'est l'objet de son prologue, à une retranscription d'une atmosphère, celle du sentiment de perte, de déséquilibre, d'une confusion entre les valeurs et les milieux. Une absurdité terrible accable A Touch of sin, embrassant chaque historie d'un regard définitivement plus cynique que poétique, démontrant l'incompréhensible. Ainsi, la séquence d'ouverture fait-elle succéder des états très différents, comme nous préparant à la multiplicité des genres et des traitements, débutant sur une atmosphère paisible, présentant des montagnes chevauchées par un motard solitaire. L'acte d'assassinat, brutal, sec, vient briser l'harmonie apparente. Plus tard, la picturalité forte et belle – et éminemment symbolique – d'une cargaison de tomates mûres étalées sur la route sera brisée par une explosion en arrière-plan. Tout le film fonctionne sur ces jeux de rupture, parallèlement au regard changeant de Zhangke sur sa société.

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A Touch of sin mélange en effet les tons, mais également les époques. Le traditionnel se frotte au moderne, le théâtre de bois et les opéras et légendes contées venant accompagner volontiers les périples de nouveaux « héros » en guerre. Le fait de raviver les religions et les légendes du passé dans le décor contemporain contribue à l'absurdité du propos. L'héroïsme lyrique des chants ou du théâtre agit comme un contrepoint grinçant et ironique face à la violence sèche et incroyablement effrayante des scènes d'assassinat. Ce contraste se retrouve transcrit dans une réalisation très étonnante, à mi-chemin entre un épique du paysage, et une violence tour-à-tour esthétisée, et rendue à son grain le plus effrayant. Il se joue une transformation beaucoup plus hybride du paysage par rapport aux autres films de Zhangke, qui eux étaient pris entre les ruines détruites et les buildings modernes. De la même manière, le mélange des genres opère un transfert du documentaire contemplatif aux arts martiaux, au thriller et au drame se frottent. L'exemple le plus criant demeure le récit de la femme incarnée par Zhao Tao, la muse du cinéaste. Le surgissement surnaturel du couteau dans une séquence jusque-là très réaliste, rappelle à la fois le bruitage fulgurant et typique du sabre dans les wu xia pian chinois, sa force esthétique et sonore, tout en basculant dans une horreur absolue. Une fois l'acte commis, la réalisation reprend de sa contemplation typique. Evidemment, le film souffre de ces changements de style : l'ensemble est chaotique, parfois inutilement violent, en particulier sur sa première partie, peine à se construire selon une réelle efficacité.

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Cependant, chaque récit s'empare néanmoins de la même thématique de la possession, et ce choix même confère une certaine singularité à la dernière réalisation de Jia Zhangke, permet au final le liant. En effet, chaque protagoniste se révèle assimilé à un animal : le tigre arboré fièrement en guise d'étendard pour le premier ; la nonchalance sournoise du bœuf pour le second ; l'inattendu et l'étrangeté du serpent pour la troisième ; et surtout la fragilité de l'oiseau pour le dernier... Ces animaux figurent à l'écran de manière plus ou moins métaphorique, le boeuf et le serpent étant concrètement présent, le lion et l'oiseau demeurant des images. Ces choix d'animaux prouvent bien que le film assimile la violence surgissante à une véritable possession : user de ces icônes provoque le passage pour chaque personnage à l'acte, les transforme tout comme cela transforme la réalisation. Loin d'en décharger les protagonistes de ces meurtres, le film pointe au contraire par ce choix l'incompréhension et la torpeur qui entoure ces événement.

 

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Le cas le plus troublant, et le plus émouvant, demeure le récit de l'oiseau, de ce jeune homme accomplissant l'acte de meurtre contre lui-même, en plongeant dans le vide. C'est la seule histoire qui se révèle détachée des autres et qui n'est pas reliée par des petits raccords à la logique du film. Pourtant, le portrait d'une Chine corrompue et marquée par le fossé social y apparaît le plus noir possible, nous projetant dans le monde, filmé comme une mécanique froide, d'un hôtel de luxe où de jeunes femmes régulées par des agents de sécurité doivent se prostituer pour des hommes d'affaires ou des pontes du monde de la finance. Dans cette description perturbante, la naissance d'un jeune amour trouve quelques accents poétiques dans une petite voiture perdue sous la pluie, mais est vite rattrapé par la froideur implacable du milieu, se concluant sur le terrible suicide. Cette dernière histoire se fait l'écho du regard extrêmement désespéré du cinéaste sur son pays.

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La Vie sans principe, le dernier film sorti en France de Johnnie To – et bien malheureusement passé totalement inaperçu – se rapproche sur plusieurs points de celui de Zhangke. Tout en restant fidèle à ses thèmes, le cinéaste y osait une entreprise à la violence plus indicible, celle perpétrée dans les agences bancaires ou le milieu des traders, dressant pour la première fois de sa carrière un portrait extrêmement ciblée et contemporain de son pays. A Touch of sin s'en rapproche, à la fois par une structure tout aussi éclatée, mais également par la vision grinçante qu'il propose. L'inachevé, dans ce film, est là pour transmettre un cri d'alarme : les histoires restent volontiers inachevées, saisissant uniquement les moments de violence et d'éclatement, laissant la police en toile de fond, comme pour incarner cette tragédie du fait divers et de sa logique, voulant conserver les personnages dans l'anonymat et dans l'incompréhension. Au travers des quelques balbutiements, qu'ils soient formels ou narratifs, de ce film se révèle au final un esprit chaotique, un regard désespéré car ne comprenant pas. C'est cela qui se révèle déchirant. Cette incompréhension du réalisateur, embrassant et contaminant toute sa réalisation, constitue chez A Touch of sin à la fois sa faiblesse et son éclatante force.

La poésie demeure discrète, semble à présent vaine. La violence y répond à présent. Mais le retour à la vie d'une ancienne meurtrière, ainsi que les quelques visages proposés face caméra appellent certes à une interrogation, mais également, espérons-l-on, à une forme d'espoir palpitant.

Commentaires

  • Très bon commentaire. Je découvre votre blog et j'y reviendrais car j'apprécie le cinéma asiatique.

  • Bonjour,
    Merci bien pour votre commentaire, et n'hésitez pas à revenir et à faire part de vos impressions.

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