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  • The Taste of tea

    Chroniques extraordinaires

    CHA NO AJI - THE TASTE OF TEA (2003) – Katsuhito Ishii

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    Singulier et original, The Taste of tea se savoure tantôt comme un cocktail explosif tantôt comme un thé paisible. Le film de Katsuhito Ishii présente une diversité de tons et d'idées tout à fait étonnants et singuliers, réveillant çà et là des échos de plusieurs imaginaires.

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    The Taste of tea convoque en effet plusieurs influences, les brodant au travers de courtes histoires quotidiennes, en lien avec chaque membre de la famille décalée que le réalisateur nous propose de suivre. Le double géant qui accompagne ainsi la petite fille rappelle, par ses apparitions, cet alter ego fantaisiste que s'imagine Mei dans Tonari no Totoro (Hayao Miyazaki) ; alors que les histoires d'amour cruelles et poétiques que vit le jeune fils se rapprochent de la prose de Haruki Murakami. En outre, les multiples intrigues qui se nouent et se dénouent autour de cette famille évoquent tantôt le cinéma de Takeshi Kitano – avec un double-clin d'oeil, car le personnage du yakuza fantôme est joué par un des acteurs fétiches du réalisateur de Hana-Bi, Susumu Terajima - tantôt l'univers de la littérature ou bien des mangas japonais. Le personnage du grand-père nous rapproche ainsi d'un burlesque décalé et tendre, et celui de la mère, dessinatrice, nous entraîne directement dans une séquence éblouissante et délirante d'animation.

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    Par le biais de ces multiples tonalités, ce film fait ainsi état d'une famille et en dresse délicatement les chroniques extraordinaires, à moitié prises entre l'absurde et le quotidien traditionnel japonais. Mais en outre, beaucoup de tendresse et d'émotion enveloppent ces récits. Le double que s'imagine la petite incarne par exemple avec finesse l'angoisse inexplicable d'une enfant. Ensuite, le personnage plus « magique » dans cet ensemble, et le plus emblématique de l'émotion qui s'en dégage, reste celui du grand-père, véritable présence étrange, comme un mélange de différents acteurs burlesques et de comédie musicale à la fois, enchantant la maison par des comportements hors de la quotidienneté. Au final, dans The Taste of tea, la quotidienneté ne se révèle qu'une apparence : les quelques plans-portraits de la famille ne sont là que pour installer quelques repères paisibles, que les récits décalés viennent briser avec douceur, révélant par cela la véritable singularité de cette famille.

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    De plus, le film se fait en même temps l'écho d'une certaine société bigarrée et bardée de signes étranges, semblant s'amuser avec les bizarreries exotiques qui ont toujours constitué l'imaginaire et le fantasme autour du continent japonais. Katsuhito Ishii joue ainsi avec l'étrangeté même de son pays, allant jusqu'à la satire - la chanson « Yama O » (« ÔMontagne »), parodie des shows télévisés, le yakuza enterré qui parvient à sortir de la terre, la dispute de deux promoteurs du cosplay... - mais également jusqu'à une absurdité éblouissante. Les jeux d'incrustations durant l'enregistrement de la chanson de l'oncle dérivent ainsi du kitsch de cet effet spécial démodé à un effet cosmique sidérant, élément qui se retrouvera également incarné dans l'explosif grossissement d'un tournesol, dans une autre séquence.

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    Plein de poésie et d'humour, The Taste of tea est un véritable plaisir des yeux et des oreilles, ne perdant rien de sa sincérité dans la représentation de ces chroniques extraordinaires.

  • Double suicide à Sonezaki - Hiroshi Sugimoto

    Grâce du Bunraku

    DOUBLE SUICIDE A SONEZAKI - Hiroshi Sugimoto

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    Au beau milieu du mois d'octobre ont eu lieu au Théâtre de la Ville ces représentations uniques en France de la reprise par Hiroshi Sugimoto d'un classique du bunraku, Double suicide à Sonezaki, une pièce tragique du 18ème siècle écrite par Chikamatsu Monzaemon, sorte de Roméo et Juliette japonais.

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    Après un prélude quelque peu décevant – avec encore une utilisation inutile d'un grand écran en fond de scène, sorte de « mode » du théâtre contemporain – l'entrée des marionnettes traditionnelles nous captivent d'emblée. Le spectacle est accompagné de récitants contant l'histoire de manière chantée, et accompagnés du shamisen. Le récitant principal présente une capacité de changements de voix impressionnante, incarnant toutes les voix aussi bien masculines que féminines. Dans ce cadre, le chant s'empare du texte japonais et en déploie les sensations, passant d'un rythme à l'autre en fonction des événements racontés. Telle accélération du phrasé simule les actions précipitées d'un combat, telle amplification d'une syllabe déroule une émotion et installe une tension, celle de la mort qui se rapproche pour les deux personnages...

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    Hiroshi Sugimoto, dans le cadre de ce genre très codé, a opté pour une mise en scène très sobre, choix qui ne peut qu'être salué car se révélant très efficace. La douceur des lumières et l'élégance de la scénographie – grandes portes coulissantes, petits escaliers polis, teintures rouges à motifs fleuris – transforment le spectacle en un ensemble très maîtrisé, d'une totale précision. Les marionnettes, accompagnées par leurs manipulateurs, glissent avec volupté sur les décors, se frôlent, esquissent des pas légers au-dessus de la scène. Ce qui trouble, ce qui émeut dans ces marionnettes, c'est cette incroyable grâce qui les enveloppe, marquée dans leur vêtements et dans leurs traits harmonieux, mais également dans les gestes des marionnettistes, tous des professionnels excellents du bunraku. Àtrois sur une marionnette, par les gestes combinés des mains, de la tête et des pieds, ils créent dans un synchronisme et une précision parfaits, les mouvements, les attitudes et les états d'âme de ces personnages.

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    Une expérience étonnante, prouvant la précision impressionnante des marionnettistes japonais, mais une nouvelle fois la force de ces acteurs de bois, ici des figures immaculées dont la fragilité bouleverse.

  • Ilo Ilo

    L'histoire d'un retour à l'équilibre

    ILO ILO – Anthony Chen

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    Ilo Ilo pourrait presque être un 400 Coups de Singapour. Rien de péjoratif dans cette comparaison car la grande réussite du film réside dans ce portrait d'un enfant à problèmes, probablement écrasé par ses parents touchés par la crise. L'arrivée de la servante Terri dans cette famille va devenir à la fois le souffre-douleur réceptif et la bouffée d'air libératrice de la tension présente dans le trio.

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    Le scénario d'Anthony Chen utilise savamment ce protagoniste de la servante, interceptant les événements, des plus anodins aux plus dramatiques. Ce personnage, Terri, occupe en effet place fondamentale dans le développement du récit et des relations, construisant un vrai lien avec le spectateur et l'ouvrant à la progressive évolution de la cellule d'une famille moyenne à Singapour. Le rapport à la crise financière se révèle ainsi abordé de manière subtile, par le personnage du père perdant son emploi, mais également celui de la mère, plus intéressant car se retrouvant en position de rédiger les lettres de licenciement pour les autres employés de son travail. Sans exagération, avec légèreté, le film dépeint cette situation petit à petit, montrant une tension du couple que la présence de Terri exacerbe. Autre point de vue que le film ne suit malheureusement pas jusqu'au bout, c'est celui de la distance entre les nationalités, entre la culture philippine de la servante et celle singapourienne des parents. Le film dresse subtilement ces différences, construisant un étrange mais juste rapport entre les deux, mêlé à la fois de respect et d'incompréhension.

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    Enfin le plus intéressant dans ces jeux d'interaction se révèle celui construit autour du personnage de l'enfant. Ce dernier présente en effet le portrait le plus poignant du film, gagnant une rare justesse de mouvement et d'action. Peu de parole, et beaucoup de gestes brusques et maladroits accompagnent ce personnage très touchant, là où tant de films affublent les enfants d'une parole bavarde et inutile. La performance extraordinaire du jeune acteur, Koh Jia Ler, sidère.

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    Plus qu'une chronique familiale ou qu'une représentation de la vie de la classe moyenne, Ilo Ilo s'impose enfin comme le récit d'un rééquilibre, d'un retour à une forme d'harmonie, de respiration. Le déséquilibre provoqué par l'arrivée de cette servante, Terri, et de cette autre culture étrangère, permet au final l'équilibre et la conciliation. Cette jolie proposition ne peut qu'émouvoir dans un contexte où tant de films s'enlisent dans une lecture pessimiste.

  • La Tour au-delà des nuages

    La frontière du coma

    KUMO NO MUKO, YAKUSOKU NO BASHO – LA TOUR AU-DELA DES NUAGES (2004) – Makoto Shinkai

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    Premier long-métrage de Makoto Shinkai, cinéaste que certains décrivent comme l'héritier de Miyazaki. Le film, bien que bancal, témoigne cependant du style personnel du cinéaste, dont l'univers autant que les choix narratifs se révèlent singuliers. L'un de ses derniers longs-métrages, très remarqué à sa sortie, Le Voyage vers Agharta présente moins de singularité, notamment parce qu'il souffre de comparaisons marquées avec les productions Ghibli (Laputa, Chihiro, Mononoke Hime).

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    Ici, le premier long-métrage de Shinkai traduit à la fois une certaine maladresse, notamment en terme de rythme ou de montage, mais témoigne d'une formidable sensibilité, notamment au travers de sa texture graphique, d'une qualité sidérante. En effet, ce qui marque et distingue en premier Shinkai dans le paysage de l'animation, c'est sa capacité à créer des univers d'une force visuelle magnifique, et dont la précision, l'harmonie, la souplesse incarnent l'héritage de sa carrière dans le jeu vidéo. Le film se révèle notamment particulièrement novateur au niveau de la création de la lumière, et des mouvements de circulation des rayons lumineux. Les séquences dans les transports – qu'ils soient anodins comme le tramway, ou bien plus époques comme les avions – sont de vrais moments d'anthologie visuelle, où la forme vient donner au récit ou à un simple échange entre deux personnages une véritable tension.

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    Le récit de Shinkai se révèle poétique, d'une belle capacité d'association entre l'intime et le spectaculaire, faisant croiser une situation politique avec un triangle amoureux entre de jeunes adultes. Les premiers émois se retrouvent brisés par la grande histoire, qui se déroule dans un monde futuriste totalement imaginaire, mais dressant des passerelles avec la question des armes technologiques et de la guerre au Japon. Mais au final, c'est bien plus l'idée de la frontière qui va définir tout le film. L'image de la limite, le trait de la distance, va marquer les plus belles séquences, celles des rêves de Sayuri, se trouvant dans un coma étrange et angoissant, celles de ses retrouvailles momentanées au beau milieu d'une chambre d'hôpital avec son amie d'enfance, ou encore celle de cet avion construit à mains nues, s'enlisant dans la zone à risque autour de la Tour. Le film de Shinkai tisse ce motif parmi un ensemble qu'on aurait voulu moins romancé. L'abondance de la voix-off, le surplus de coupes et de séquences scientifiques sans réel intérêt empêchent Kumo no muko, yakusoku no basho, d'atteindre sa véritable texture émotionnelle. En restent les traces des séquences nostalgiques, celles de ces souvenirs de jeunesse, où trois étudiants rêvaient sous la voûte du ciel et des nuages.

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  • Le Fils unique

    Les rêves d'une génération

    HITORI MUSUKO - LE FILS UNIQUE (1936) – Yasujiro Ozu

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    Sortie en copie restaurée – globalement de bonne qualité, à l'exception d'une grossière erreur de montage entre deux plans de conversation – ce film de Yasujiro Ozu n'a pas perdu de sa force ni de son émotion. Cernant sur plusieurs années l'évolution du rapport entre une mère ouvrière, Otsuke – incarnée par Choko Iida - et son fils Ryosuke rêvant de continuer ses études dans la grande capitale.

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    Le Fils unique émeut par son minimalisme et sa justesse dans le portrait des relations humaines. Il décrit, par petites touches, la lente amertume qui atteint la mère face aux efforts et aux déceptions de son fils unique, pour lequel elle a sacrifié ses économies pour lui permettre de recevoir une bonne éducation à Tokyo. Des années plus tard, alors qu'elle lui rend visite, elle s'aperçoit que son enfant se révèle déçu de sa condition, et gêné de la recevoir dans cet état. La justesse psychologique n'a pas perdu de sa force, le film misant en effet sur les non-dits et l'incompréhension régnant entre les personnages. Une réalisation douce suit de près ces jeux de distance et de rapprochement entre mère et fils, au travers de la visite de Tokyo ou de ses environs, comme une version minimaliste de Voyage à Tokyo.

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    Un personnage secondaire au récit offre un parallèle à cette situation, celui du professeur de Ryosuke, interprété par le fidèle Shisou Ryo. Il incarne un jeune professeur au début du film, qui part à Tokyo en partageant les mêmes espoirs que son élève. Plus tard, la mère le rencontre, s'apercevant que le brillant jeune homme, désormais marqué par la vieillesse, a dû se reconvertir en potier, en petit artisan peinant à survivre pour nourrir sa famille, mais semblant tout de même heureux. Le film est percé d'ambiguïté face aux carrières déçues de ces protagonistes, nourries d'une certaine réalité : les personnages balancent entre leur bonheur, modeste et paisible, et leur regrets de n'avoir pas pu réaliser ce qu'ils espéraient.

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    La réalisation d'Ozu embrasse ce sentiment de déception avec toute la patience requise, offrant au regard une douceur percée de cruauté. Que ce soit par le retour du soir dans un quartier délabré, loin de l'image bouillonnante et populaire de Tokyo, ou par la promenade en apparence paisible mais marquée par la distance au milieu des champs, le Fils uniquen'a pas perdu de sa force mélancolique. 

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