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Manga - Page 2

  • Anthology

    ANTHOLOGY

    Katsuhiro Otomo

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    La couverture aux teintes volontiers élégiaques et aux évocations oniriques est loin de s'allier aux courts récits de jeunesse publiés pour honorer le réalisateur Katsuhiro Otomo, surtout connu pour les très célèbres Akira et Steamboy. Je n'ai jamais tant apprécié l'oeuvre de l'un des maîtres de l'animation, considérant que les récits et le propos s'essoufflent derrière la forme, bien souvent magistrale et graphiquement inspirée. L'anthologie publiant ainsi de courtes nouvelles dessinée par Otomo pour divers magazines ou commandes, rassemble ses thèmes favoris, voire s'annonce même comme des prologues à Akira.

     

    C'est le cas de « Fireball » qui présente le monde comme une dictature militaire, aseptisée, tenant les progrès de la technologie comme l'ultime pouvoir. Deux frères, tous deux porteurs de pouvoirs paranormaux, voient ainsi leurs vies s'opposer, l'un se faisant analyser par l'intelligence supérieure du pays (un ordinateur superpuissant), l'autre utilisant ses ressources pour conspirer contre les puissances mises en place. On retrouve la perte de l'humanité, l'obsession de la technologie et l'asservissement du corps humain au pouvoir atomique et destructeur. D'autres récits proposent des variantes sur ces thèmes, tel « Flower », illustration de fin du monde en couleurs aux inspirations de Moebius ; « Memories », où des éboueurs de l'espace se retrouvent face à un satellite en forme de rose destructeur (récit constituant le prologue au segment « Magnetic Rose » du film Memories) ; « Hair », où les humains chevelus sont considérés comme des menaces envers la société (amusant détournement par ailleurs du scandale provoqué par les générations des années 70, et clin d'oeil à Ray Bradbury). Ce qui continue de pêcher chez Otomo, aussi bien dans ses réalisations que dans ces récits, c'est la maigreur des psychologies et des personnages, chacun se devant se s'effacer derrière le concept de déshumanisation, la précision du graphisme, la métaphore de la dictature et de la vanité du pouvoir. Au-delà de l'expression de l'apocalypse, héritée des traumatismes issus des Guerres Mondiales et de l'affolement des industries d'armes et de la terreur nucléaire, les récits paraissent souvent creux, morbides, effroyables.

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    La lecture de ces nouvelles s'avère éprouvante, voire insupportable. Le dessin donne parfois les moyens à Otomo de s'attarder sur les divers états de décomposition du corps, ou de son rapport à la machine : viscères déchirés, intestins vidés, carcasses et dépouilles sont volontiers exposés avec un graphisme soigné, mais violent. Certains épisodes s'avèrent ainsi presque repoussants, comme « Minor Swing », où un humain, pris dans une sorte de marée noire, se solidifie, puis se liquéfie.

     

    La plupart des histoires amène ainsi toujours un constat de déshumanisation et de violence cruelle, parlant souvent trop par les images ou les métaphores que par des propos, ce qui déçoit grandement, suscite plus le dégout qu'une véritable émotion. 

  • Jiro Taniguchi

    RETOUR SUR JIRO TANIGUCHI

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    J'ai beaucoup parlé de mangas pour adolescents dans cette rubrique, et peu de ce qui se passait du côté des adultes. Il faut dire que le "seinen" s'exporte beaucoup moins que les mangas pour jeunes générations, étant donné que cette dernière est plus demandeuse que la génération adulte (qui a, du coup, et malheureusement, généralement une mauvaise perception des bandes dessinées japonaises). L'un des rares à s'être imposé dans le paysage français est l'illustre Jiro Taniguchi, révélé il y a quelques années déjà. Je me rappelle lire les premières oeuvres de Jiro Taniguchi vers 13 ans, à la même époque que le Poulet aux prunes de Marjane Satrapi (ils étaient tous deux les deux auteurs très en vogue à l'époque dans le rayon BD). L'auteur japonais est le seul (avec Osamu Tekuza, pilier dans l'histoire du manga, et à la limite Naoki Urasawa, l'auteur de Monster, 20th Century Boys ou récemment Pluto) à être totalement reconnu dans le domaine du manga et considéré comme un vrai artiste. Ce constat est malheureux, le manga étant souvent considéré comme un sous-genre, bardé de clichés d'un dessin à la va-vite, d'un trait grotesque et hyperbolique et d'une intrigue de divertissement. Si beaucoup n'échappent pas à ces caractéristiques (mais, après tout, l'hyperbole et la niaiserie existent aussi bien dans de nombreuses BD européennes !), certains mangas sont de vraies perles, capables de générer de multiples émotions et de captiver, dans sa logique de construction en chapitres, presque à l'image d'un roman-fleuve, les yeux et l'esprit avec intensité !

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    Bref, revenons au très grand Jiro Taniguchi, qui a heureusement contribué à l'ouverture au genre japonais. Pourquoi ce succès et cette reconnaissance ? Le fait est simple : les mangas de Jiro Taniguchi se distinguent par leur composition très occidentale et leur souci d'une narration très soutenue, littéraire et romancée. Le découpage est rigoureux, clair et limpide, les formats sont généralement plus grands que celui d'un manga traditionnel, et la précision du trait domine. les personnages de Jiro Taniguchi oscillent entre la rigueur anatomique de nos vieilles règles occidentales, et les caractéristiques faciales issues du style japonais (yeux larges, deux traits simples pour la bouche, droiture du nez, rondeur de la tête). D'où ce style, ce tracé si particulier, si naturellement agréable, universellement apprécié dans les oeuvres de Taniguchi. Celles-ci ont permis de changer une vision souvent fermée du manga, qui n'y voyait que l'agressivité des traits et du découpage, le grotesque des actions et du propos. Autre élément fondamental chez Taniguchi : le sens du décor et de l'espace. Chaque détail est étudié avec scrupule, rendu avec la finesse de la plume à l'image du travail d'un graveur ou d'un peintre d'estampes. Le Sommet des Dieux, passionnant ensemble sur l'ascension de l'Everest, en est l'exemple le plus probant : le rendu des chaînes de montagne et de la beauté fatale de ces sommets divins y sont sidérants, étourdissants. Ce manga, qu'il faut par ailleurs absolument découvrir, autant pour la finesse du travail pictural que pour l'humanité de son propos, reste l'une des meilleures créations de l'auteur, un bouleversant et long cheminement qui captivent le lecteur d'une page à l'autre.)

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    Une oeuvre de Taniguchi ne se lit pas comme un simple manga, mais véritablement comme un roman. Chaque page laisse le temps à la complexité de sa composition et à la densité d'un texte bien souvent issu d'une oeuvre littéraire. En cela, le travail est empreint d'une tranquilité zen proche de la pensée asiatique. les thèmes de la plupart des récits de Taniguchi concernent soit la famille, soit le cheminement individuel et spirituel : Quartier Lointain, Le journal de mon père ou Les années douces pour la famille, Le Sommet des Dieux, Seton ou Au temps de Botchan étant plus de grandes fresques s'attachant au rapport de l'homme à la vie, à l'immensité, à sa passion ou à son époque. Quartier Lointain reflète un questionnement proche d'Ozu à partir de cette trame simple : un homme, entre deux voyage d'affaires, connaît une pause atemporelle où il se retrouve rajeuni, dans la peau de lui-même à 14 ans, âge où son père avait quitté la maison. Avec subtilité, le récit, fluide et empreint de nostalgie, décrit l'évolution du comportement de cet homme, qui revit les choses de son enfance, réfléchit à ses regrets ou ses erreurs. Pas de dramatique introspection psychologisante, pas de mélodrame ni de violence, juste une paisible et cruelle observation du monde de l'enfance qui se délite progressivement, à l'image d'un film d'Ozu, dont Taniguchi reconnaît recevoir l'influence. Si son oeuvre se rapproche, par la forme, de la bande dessinée, voire de la littérature occidentales, les récits et la conception de l'humanité restent fidèles à une pensée asiatique : ostentation face au temps qui passe, recherche de l'harmonie, de l'équilibre, profonde spiritualité envers les objets, les paysages, les animaux et le passé. Une oeuvre de Taniguchi se lit de manière posée, paisible, car elle émane une douceur et une humanité profondément sensibles et touchantes. 

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  • Pandora Hearts

    PANDORA HEARTS – Jun Mochizuki 

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    Je voulais parler de ce manga depuis longtemps, d’autant plus que les premiers tomes sont maintenant enfin sortis en librairie (toujours ce paradoxe entre le succès croissant de la bande dessinée japonaise dans notre pays et une publication française rare). Pandora Hearts de Jun Mochizuki est une version revisitée du mythique Alice aux Pays des Merveilles de Lewis Carroll, qui inspire également de nombreux autres mangas. Mais, et c’est ce qui fait le talent de cette série, l’auteure ne s’en tient pas à une vision moderne ou parodiée des figures du roman. Elle en utilise juste les codes pour mieux les assortir à son récit et à son propos, bien éloignés du questionnement d’Alice.

     Oz Vessalius est l'héritier de la famille Vessalius, l'une des familles appartenant aux quatre duchés. A 15 ans, il doit passer une cérémonie de passage à l'âge adulte. Un événement pendant cette cérémonie l'entrainera dans un monde sombre et confus : un monde parallèle connu sous le nom d'Abysse, sorte de Pays des Merveilles horrifique. Il y rencontrera Alice, figure tyrannique à la recherche de ses souvenirs perdus. Derrière cette rencontre, une foule d'événements et de personnages vont s'introduire peu à peu, tous connectés par les événements mystiques et à la recherche de la vérité.

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    A travers le merveilleux royal de Pandora Hearts se retrouvent des thèmes bien typiques à la culture japonaise, notamment la question du passé et de la mémoire, qui hante chaque protagoniste. Le récit brasse avec un certain lyrisme l’action aux réflexions psychologiques des héros, les intrigues politiques au mystère des souvenirs morcelés d’Alice. Un fort symbolisme romantique agit tout au long des chapitres, tels les topoï de la rose, de la montre à gousset, de la mélodie familière, des jardins secrets, des évanescentes du passé… L’atout de Pandora Hearts est son scénario jouant sur la fragmentation, à l’image de la mémoire morcelée et incomplète d’Alice. Le mystère s’épaissit et se complexifie au fur et à mesure des chapitres, les indices étant délivrés par fragments, suggestions, visions fugitives sur le papier. L’ambiance joue aussi une importance capitale dans cette histoire, bardée de romantisme, d’onirisme envoûtant. Le trait est gracile et élégant, le découpage aéré et agréable, à la fois dépouillé et voluptueux lors des scènes de souvenirs, ou torturé et angoissant lors des introspections intérieures.Paradoxalement, si le mystère s’étoffe au fil des chapitres, le lecteur reste accroché, et le suspense se fait plus prenant, tout agissant sur la suggestion ou le souvenir, donc entretenant un doute constant jusqu’à ménager de grands moments dé révélation flamboyant. Il est ainsi assez plaisant de lire ce manga qui, loin des actions survoltées et grotesques de certains autres, laisse sa place à l’imagination du lecteur, grâce à son lyrisme empli de mystère et d’intrigues.

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    Les personnages du manga s’avèrent assez bien nuancés, échappant à de nombreux lieux communs typiques des protagonistes de ce genre. Chacun se retrouvera en proie au doute selon les situations. Le personnage principal, Oz, jeune garçon volatile, gai comme un pinson ayant un certains sens de l’opportunisme, révélera sa solitude par la suite. Alice, figure féminine très forte et tyrannique, oscille en permanence entre son côté féroce et la beauté de sa franchise. Gil, serviteur d’Oz, verra sa dévotion à son maître remise en cause par tous les autres protagonistes. Sharon, figure de jeune fille passionnée, révèle une sagesse infinie. Break, undes personnages les plus populaires de la série au Japon, est une sorte de Chapelier Fou charmant et inquiétant, tentant de dominer les situations par son comportement cynique. Mais un autre personnage me semble le plus tragique et complexe, c'est celui, empreint d'héroïsme, d'Eliot Nightray, sorte d'incarnation nostalgique de certaines valeurs perdues comme l'honneur, la fierté du nom, le sens chevaleresque et de l'amitié. Ce personnage, dont l'apparition semble hasardeuse au début, se connecte progressivement à l'immense toile d'araignée qu'est l'intrigue de la tragédie de Sabrié (événement mystique et apocalyptique autour duquel planent tous les souvenirs disparus), et se retrouve précipité dans un destin tragique avec son serviteur Leo, par ailleurs lui aussi un personnage très ambivalent.  

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    Dans Pandora hearts, à l'instar de Nabari No Ou, l'ennui est rare, du fait de l'ambiance envoûtante, chaque page étant une délectation des yeux, les illustrations peintes de l'auteur étant particulièrement belles. Les personnages sont de plus tous attachants, car tous mystérieux et échappant aux habituels lieux communs des héros typés de nombreux mangas. Au fil des chapitres, la dimension tragique s'intensifie, et certains passages s'assimilent à une véritable catharsis visuelle. Jun Mochizuki réussit à imprimer visuellement, par des découpages parfois violents et un travail typographique brutalisé (mais loin de tomber dans le gore ou l'horrifique, c'est là toute la qualité de son oeuvre qui conserve en permanence une certaine élégance) la torpeur psychologique de ses personnages, souvent dans l'incompréhension face à l'immensité de ce qui les dépasse. Difficile de comprendre, dans ces passages, quel est le véritable objet de leur peur, le mystère confinant parfois jusqu'à l'abstraction, et pourtant, l'impression s'en retrouve fortifiée et intensifiée, déchirante et troublante. 

    Pandora Hearts fut adapté en anime de 25 épisodes et n'échappe pas à cette règle cruelle de la déception, la série peinant à restituer la force de l'oeuvre originale, surtout en raison de la mollesse de l'animation. Reste l'atmosphère, assez bien rendue grâce à une très bonne bande originale, et le casting de voix, toujours excellent au Japon (notamment Akira Ishida, qui interprète le personnage du Chapelier Fou, un doubleur très populaire à la voix exquise). 

    Pandora Hearts de Jun Mochizuki fait parti, à mon sens, avec Nabari No Ou, des meilleurs mangas dans le paysage adolescent actuel. Le talent de la jeune auteure ne cesse d'évoluer au fil des tomes (14 en ce moment sont déjà parus au japon, mais le final semble s'approcher), qui amènent à des sommets d'émotion et de tension. Une première série très prometteuse, par sa sincérité et son style affirmé.

  • Nabari no Ou

     NABARI NO OU (2004-2010) - Yuhki Kamatani

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    Nabari no Ou est une oeuvre atypique dans le paysage du manga pour adolescents. Loin des récits d'action aux multiples rebondissements et protagonistes tels que Bleach ou Naruto, Nabari no Ou s'en tient à une poignée de personnages à la psychologie bien définie, jetés dans une histoire dramatique violente et intense. Ce que l'on peut saluer dans ce premier manga de Yuhki Kamatani, c'est l'extrême sincérité et humanité qui cerclent son récit et le distinguent des autres.

    Proche de l'intrigue de Naruto, postulat typique du récit d'action ou de fantasy pour adolescents, Nabari no Ou met en scène un jeune garçon, Miharu, qui se découvre porteur d'un pouvoir dangereux et puissant, évidemment désiré par tous les ninjas prêts à tout pour s'en emparer. Evidemment, la base du manga attire peu par ce schéma classique, où un jeune héros innocent doit faire face aux dangers provenant de l'extérieur et surtout de lui-même. Les premiers volumes vont dans ce sens, plutôt agréables à lire, scandant le récit par des moments d'action ou d'explications, présentant les différents protagonistes, rapidement attachants par leur simplicité, mais restant convenus. Dès le troisième volume, Nabari no Ou prend soudainement une tournure toute différente, et devient plus un récit d'amitié, attaché à la psychologie et aux réactions des personnages dès lors installés, notamment par le biais de la relation qui s'amorce entre les deux personnages sensés être ennemis.

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    L'originalité du manga provient dès lors de cet attachement à décrire les actions des deux clans opposés, l'un voulant détruire à jamais le pouvoir que porte Miharu, et ce, sans entraîner la mort de son porteur, l'autre utiliser ce pouvoir pour apporter au monde une meilleure destinée. Mais le récit s'avère beaucoup plus nuancé que cela. L'auteur observe l'évolution des sentiments d'une poignée de personnages face aux convictions de leurs chefs. Il y a évidemment le personnage principal, qui surprend par son indifférence durant les premiers tomes, impassible face aux événements et ne voulant que se débarasser de ce qu'il enferme en lui. Ce personnage de jeuen garçon est plutôt bien cerné, loin du sentimentalisme dépeint dans beaucoup de mangas adolescents. Ici, Miharu est un vrai petit diable, ignorant les tourments qu'il cause aux autres, mais qui va se révéler face à celui qui s'oppose à lui, Yoite, atout de l'autre clan qui ne connaît que la mort. Ce dernier est un des personnages les plus complexes de la série, du fait de son aura morbide et glaciale, mais traité avec une certaine subtilité et une belle douceur. Chaque protagoniste, dans cette histoire de course au pouvoir, agit pour ses propres motivations, souvent différentes de celles qui animent les deux chefs qui s'affrontent. Raimei, jeune samouraï, s'engage d'abord aux côtés de Miharu dans le but d'affronter et de se venger de son frère, Raikou, qui va lui-même devenir criblé de doutes, tiraillé entre ses idéaux et ses sentiments qui l'attachent aux autres.

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    Enfin, il y a dans Nabari no Ou un refus de l'action facile et d'une multiplication de combats. En cela, une bonne partie du manga concerne plus les introspections personnelles ou les scènes de discussion et explications. Les rares moments d'action, néanmoins efficaces, sont fulgurants et violents, contribuant pleinement à l'intrigue et n'étant pas juste un apport rythmique ou esthétique comme le sont beaucoup d'autres mangas de ninjas. Le graphisme assez particulier de l'auteur offre une certaine grâce au manga : les silhouettes sont fines et souples, fragiles, souvent torturées dans l'image, mais aussi gracieuses. Le découpage reste soigné et agréable, donnant sur certaines pages une forte émotion, notamment grâce à la qualité du dialogue, jamais poussé, toujours en évocations.

    L'adaptation en anime, pour une fois, respecte ce ton très humain qui fait la qualité du manga, et se révèle de bonne qualité, autant au niveau de l'animation, qu'au niveau du doublage, ou de la bande musicale, très belle. Le studio d'animation a opté pour un choix de couleurs douces et pâles, s'accordant parfaitement avec la paisibilité du ton et la douceur du récit.

  • Kazuya Minekura

    SAIYUKI OU LE STYLE KAZUYA MINEKURA

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    Saiyuki, doublé de sa suite Saiyuki reload, est une sorte de parodie d'une légende traditionnelle chinoise, provenant du roman Voyage en Occident qui raconte les pérégrinations d'un bonze et de ses trois disciples, personnages fantastiques (deux démons et un roi singe). Cette légende a déjà inspiré beaucoup de séries (Osamu Tekuza, Akira Toriyama), mais Kazuya Minekura en fait une nouvelle adaptation extrêmement libre et personnelle, faisant notamment de ces personnages nobles et traditionnelles de mauvais exemples modernes et complexes. Tout d'abord parce qu'il s'agit de personnages indifférents à leur mission, considérant le voyage comme un pique-nique dans la nature, ce qui fait du manga une sorte de road-movie divertissant et hilarant, mais également porté par une force dramatique due au passé sombre des quatre héros et à leur potentiel dangereux. Par exemple, le bonze, loin d'avoir le crâne rasé ou l'abstinence de la cigarette ou de l'alcool, est totalement corrompu et porteur d'un mauvais caractère ; le roi singe n'est qu'un gamin affamé et insupportable ; des deux démons ne ressortent qu'un pervers vulgaire et un aimable jeune homme sournois. Cependant, chaque protagoniste, malgré les apparences futiles et décontractées, est marqué par une certaine noirceur intrigante, qui gagne en profondeur au fil de la progression du récit et du voyage entrepris.

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    Si les quatre premiers tomes révèlent une certaine maladresse du trait et un découpage parfois paresseux, dès le cinquième volume, l'action prend de l'ampleur, de même que le texte qui s'affine et distille l'intrigue de manière maîtrisée et efficace. Mais ce qui attire dans le style de Minekura, ce sont la qualité et l'originalité du graphisme. Alors que de nombreux mangas perdent beaucoup du fait de la fragilité d'un trait un peu trop léger ou rapide, l'auteur confère aux personnages un charisme dans les attitudes et les regards, du volume aux corps et aux vêtements. Les contrastes de lumière ou la complexité du grain de la chair et des cheveux gagnent en profondeur par son style tranchant et recherché. En revanche, on peut reprocher l'absence de décors, d'autant plus qu'il s'agit d'un voyage...pratiquement sans paysage. En effet, les villages traversés se succèdent sans grand changement dans leur architecture, quelques forêts ou montagnes jonchent parfois le parcours, les chambres d'hôtels se ressemblent toutes... A partir de la deuxième série, le décor commence à devenir plus soigné et observé, mais il reste dommage que cet aspect du manga reste peu traité.

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    Enfin, Saiyuki recèle d'un humour irrésistible, notamment en raison de l'excentricité de ses personnages, leur attitude à la fois classe et totalement immorale. Chacun adopte des points de vue opposés, ce qui fait de leurs confrontations multiples des rixes verbales et physiques totalement délirantes. De plus, par l'insouciance et le train de vie hasardeux de ces quatre héros, les scènes d'action ou de tension sont toujours brisées par leur indifférence fière.

  • Pandora Hearts

    PANDORA HEARTS – Jun Mochizuki

     

    Pandora.Hearts.504503 - copie.jpgJe voulais parler de ce manga depuis longtemps, d’autant plus le huitième tome vient de paraître en librairie (toujours ce paradoxe entre le succès croissant de la bande dessinée japonaise dans notre pays et une publication française rare). Pandora Hearts de Jun Mochizuki est une version revisitée du mythique Alice aux Pays des Merveilles de Lewis Carroll, qui inspire également de nombreux autres mangas. Mais, et c’est ce qui fait le talent de cette série, l’auteure ne s’en tient pas à une vision moderne ou parodiée des figures du roman. Elle en utilise juste les codes pour mieux les assortir à son récit et à son propos, bien éloignés du questionnement d’Alice.

    « Là-bas, tout n'était que ténèbres »

     Oz Vessalius est l'héritier de la famille Vessalius, l'une des familles appartenant aux quatre duchés. A 15 ans, il doit passer une cérémonie de passage à l'âge adulte. Un événement pendant cette cérémonie l'entrainera dans un monde sombre et confus : un monde parallèle connu sous le nom d'Abysse, sorte de Pays des Merveilles horrifique. Il y rencontrera Alice, figure tyrannique à la recherche de ses souvenirs perdus. Derrière cette rencontre, une foule d'événements et de personnages vont s'introduire peu à peu, tous connectés par les événements mystiques et à la recherche de la vérité.

    Fragmentation et souvenirs

    A travers le merveilleux royal de Pandora Hearts se retrouvent des thèmes bien typiques à la culturePandora Hearts Echecs - copie.jpg japonaise, notamment la question du passé et de la mémoire, qui hante chaque protagoniste. Le récit brasse avec un certain lyrisme l’action aux réflexions psychologiques des héros, les intrigues politiques au mystère des souvenirs morcelés d’Alice. Un fort symbolisme romantique agit tout au long des chapitres, tels les topoï de la rose, de la montre à gousset, de la mélodie familière, des jardins secrets, des évanescentes du passé… L’atout de Pandora Hearts est son scénario jouant sur la fragmentation, à l’image de la mémoire morcelée et incomplète d’Alice. Le mystère s’épaissit et se complexifie au fur et à mesure des chapitres, les indices étant délivrés par fragments, suggestions, visions fugitives sur le papier. L’ambiance joue aussi une importance capitale dans cette histoire, bardée de romantisme, d’onirisme envoûtant. Le trait est gracile et élégant, le découpage aéré et agréable, à la fois dépouillé et voluptueux lors des scènes de souvenirs, ou torturé et angoissant lors des introspections intérieures. Paradoxalement, si le mystère s’étoffe au fil des chapitres, le lecteur reste accroché, et le suspense se fait plus prenant, tout agissant sur la suggestion ou le souvenir, donc entretenant un doute constant jusqu’à ménager de grands moments dé révélation flamboyant. Il est ainsi assez plaisant de lire ce manga qui, loin des actions survoltées et grotesques de certains autres, laisse sa place à l’imagination du lecteur, grâce à son lyrisme empli de mystère et d’intrigues.

    Ambivalence

    Pandora Hearts Bonds - copie.jpgLes personnages du manga s’avèrent assez bien nuancés, échappant à de nombreux lieux communs typiques des protagonistes de ce genre. Chacun se retrouvera en proie au doute selon les situations. Le personnage principal, Oz, jeune garçon volatile, gai comme un pinson et ayant un certain sens de l’opportunisme, révélera sa solitude par la suite. Alice, figure féminine très forte et tyrannique, oscille en permanence entre son côté féroce et la beauté de sa franchise. Gil, serviteur d’Oz, verra sa dévotion à son maître remise en cause par tous les autres protagonistes. Sharon, figure de jeune fille passionnée, révèle une sagesse infinie. Break, un des personnages les plus populaires de la série au Japon, est une sorte de Chapelier Fou charmant et inquiétant, tentant de dominer les situations par son comportement cynique. Mais un autre personnage me semble le plus tragique et complexe, c'est celui, empreint d'héroïsme, d'Eliot Nightray, sorte d'incarnation nostalgique de certaines valeurs perdues comme l'honneur, la fierté du nom, le sens chevaleresque et de l'amitié. Ce personnage, dont l'apparition semble hasardeuse au début, se connecte progressivement à l'immense toile d'araignée qu'est l'intrigue de la tragédie de Sabrié (événement mystique et apocalyptique autour duquel planent tous les souvenirs disparus), et se retrouve précipité dans un destin tragique avec son serviteur Leo, par ailleurs lui aussi un personnage très ambivalent.

    Romantisme et tragique

    Dans Pandora hearts, à l'instar de Nabari No Ou, l'ennui est rare, du fait de l'ambiance envoûtante, chaquePandora roses - copie.jpg page étant une délectation des yeux, les illustrations peintes de l'auteur étant particulièrement belles. Les personnages sont de plus tous attachants, car tous mystérieux et échappant aux habituels lieux communs des héros typés de nombreux mangas. Au fil des chapitres, la dimension tragique s'intensifie, et certains passages s'assimilent à une véritable catharsis visuelle. Jun Mochizuki réussit à imprimer visuellement, par des découpages parfois violents et un travail typographique brutalisé (mais loin de tomber dans le gore ou l'horrifique, c'est là toute la qualité de son oeuvre qui conserve en permanence une certaine élégance) la torpeur psychologique de ses personnages, souvent dans l'incompréhension face à l'immensité de ce qui les dépasse. Difficile de comprendre, dans ces passages, quel est le véritable objet de leur peur, le mystère confinant parfois jusqu'à l'abstraction, et pourtant, l'impression s'en retrouve fortifiée et intensifiée, déchirante et troublante.

    Pandora Hearts de Jun Mochizuki fait parti, à mon sens, avec Nabari No Ou, des meilleurs mangas dans le paysage adolescent actuel. Le talent de la jeune auteure ne cesse d'évoluer au fil des tomes (14 en ce moment sont déjà parus au japon, mais le final semble s'approcher), qui amènent à des sommets d'émotion et de tension. Une première série très prometteuse, par sa sincérité et son style affirmé.

  • Pluto

    PLUTO

    Naoki Urasawa & Osamu Tezuka 

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    Merci à mon frère pour m'avoir incitée à lire ce manga !

    Après 20th Century Boys et Monster, deux séries cultes dans le paysage du manga, Naoki Urasawa signe Pluto, dont le scénario est inspiré par une histoire originale écrite par le grand Osamu Tezuka. L'occasion à la fois de souligner la qualité du travail graphique et scénaristique d'Urasawa, tout en rappelant certains défauts qui se trouvent ici heureusement éliminés par l'encadrement « fantomatique » de Tezuka (son fils ayant cédé les droits de « Astro Boy, l'histoire du robot le plus fort du monde » à Urasawa au cours de l'anniversaire de cette figure mythique qu'est le personnage d'Astro Boy).

    En effet, Urasawa choisit à la fois de renouveler l'intrigue en changeant le ton et en approfondissant les personnages, notamment celui de Gesicht, policier robot qui s'avère le fil rouge dans ce thriller robotique, tout en respectant les thèmes chers à Tezuka. Ce policier va enquêter sur une série de meurtres rituels visant à faire disparaître les robots les plus puissants du monde, et ce à travers une mystérieuse mise en scène barbare. On retrouve le talent d'Urasawa pour nous faire partager une intrigue toujours haletante, son découpage simple et son sens du suspense se confirmant dans ce manga. Urasawa a toujours dû son succès à cette habileté dans le rythme de son récit, donnant à chaque chapitre des clés tout en complexifiant sans cesse le problème, et puis captivant le lecteur.

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    Auparavant, on pouvait aisément abandonner les séries d'Urasawa (20th Century Boys, par exemple) du fait de la multitude de rebondissements, la fatigue prenant le pas sur l'intérêt. Avec Pluto, Urasawa se plie à un scénario qu'il réécrit tout en tendant ses efforts vers le final cernant la solitude d'Astro Boy, le robot le plus puissant au monde, et l'apologie des tensions entre humains et robots. Dans le monde futuriste, le jeune robot-garçon, se nommant Atom, était entouré de ses compères Gesicht, Uran, Epsilon ou MontBlanc. L'univers est partagé entre les robots et les humains, un univers installé très simplement par Urasawa, puisque l'on bascule tout de suite dans le vif de l'enquête autour de l'assassinat de Mont Blanc. Contrairement à Tezuka, il y a peu de fantaisie dans ce monde, les décors étant réalistes et rigoureux et les personnages à visages plus ou moins humains.

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    Si Urasawa transforme le style de Tezuka en quelque chose de plus adulte et sobre, il reste fidèle à ses thèmes de prédilection et son sens dramatique. Ainsi, la relation robot-humain est au cœur de ce récit, avec la question de la perfection. Les robots les plus forts au monde ne le sont pas par leurs capacités réflexives ou leur sens du calcul et de leur performance, mais plutôt par leur proximité avec les sentiments humains. Gesicht, Epsilon, Atom... Tous sont des personnages romantiques, ne demandant qu'à se rapprocher de la société humaine. Celle-ci les rejettent au contraire, s'en méfient, ne se rendant pas comte que leur comportement finit per déteindre sur ces robots qui finissent par connaître la solitude, la culpabilité et enfin la haine. L'intelligence de la réflexion (inspirée, selon l'analyse de mon frère, d'Asimov) et la profondeur des personnages permettent à Urasawa d'atteindre un point d'orgue avec ce travail. Terriblement et paradoxalement humains, ces robots vivent des sentiments extrêmes et sont nimbés d'un certain charisme : Gesicht, évidemment, le rigoureux et perfectionniste inspecteur hanté par un traumatisme ; le combattant et digne Hercule ; le pacifiste et généreux Epsilon ; et enfin Atom, cet enfant-robot qui saisit un escargot un jour de pluie sans raison valable, geste prouvant sa proximité avec le réflexe humain.

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    Pluto, tout en étant un thriller haletant et admirablement construit, traite d'une multitude de sentiments et thèmes. On y retrouve les relations entre les robots et les humains, faites de jalousie, de pouvoir, de discrimination et d’ambiguïtés, mais aussi entre les robots et leurs créateurs, tout aussi contrastées. Face à cela, règne entre les robots une certaine solidarité, et ce, quelque soit le rang ou la classification de chacun. Si l'amitié et le soutien peuvent s'instaurer, la destruction peut aussi apparaître. La société, même futuriste, révèle les failles humaines à travers ces personnages de robots qui goûtent peu à peu aux joies de la famille, au deuil de l'ami, à la jouissance du pouvoir, ou à la haine d'autrui.