Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Soutien au Forum des Images
Le Goût des dorayaki, un soir après la projection
Un témoignage en soutien au Forum des Images
Le Forum des Images fut l'un des premiers espaces de réconfort pour la jeune provinciale que j'étais. Portée par une équipe conviviale et passionnée, l'institution se définit par une programmation tour-à-tour éclectique et engagée. Il n'y a guère qu'au Forum que je pus profiter de joyeux films d'action, d'animation trash comme de grands classiques ou de documentaires sérieux.
Dans la lumière rosée de son hall, j'ai ainsi le souvenir de riches dialogues, de nombreuses mains serrées, de sourires échangés. J'eus l'aubaine d'apercevoir des personnalités admirées, d'échanger avec certaines d'entre elles, de me nouer avec d'autres spectateurs fidèles, et de me sentir inspirée par les conférences ou les échanges avec le public. Le Festival Carrefour de l'animation, en particulier, me ravit chaque année et j'en sors toujours comblée.
Connaître la fragile situation actuelle de ce lieu si apprécié me laisse pantoise. Car son rayonnement me semble nécessaire. De même, ses actions – venues de jeunes réalisateurs comme de grands maîtres, projections cosmopolites, engagement à mener la réflexion autour de la programmation – m'apparaissent forcément essentielles. Soudain, les qualités modèles de cet espace accueillant et exigeant vacillent, enveloppées par un climat d'incertitude.
Beaucoup ont déjà tiré la sonnette d'alarme et rappelé l'importance du rôle audiovisuel, et plus particulièrement cinématographique, du Forum des Images. Je renvoie là aux textes forts clairvoyants de Jean-Yves de Lépinay, textes qu'il partage depuis quelques mois sur le groupe Facebook Comité de Soutien au Forum des Images. Par ailleurs, l'institution n'est pas la seule menacée dans le domaine de la culture. Elle s'ajoute à une liste malheureusement de plus en plus longue ces derniers temps...
Dans ce contexte inquiétant, je me tourne modestement vers ce que le Forum des Images m'a apporté en priorité, à savoir des souvenirs de projection. L'un d'entre eux, en particulier, a marqué mon existence de spectatrice. La madeleine commence dix jours après les attentats de Paris, le dimanche 22 novembre 2015. Hasard cruel du calendrier, le Forum des Images était en pleine programmation de son festival « Un État du monde et du cinéma ». Au même moment, l'état du pays comme de ses habitants sombraient d'un coup dans la terreur, l'incompréhension et l'effroi. Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase devait alors clôturer le festival. J'avais acheté ma place bien longtemps auparavant et j'hésitais longuement avant de partir pour le Forum. Depuis le vendredi fatidique, je n'avais pas remis les pieds dans une salle et le terrible travail de l'imagination alimentait des visions traumatiques, face à l'idée de rentrer dans un espace clos et rempli d'individus.
Une fois assise dans la vaste salle 500, la sensation crainte commença à m'envahir. Au milieu d'une rangée, je regardais avec inquiétude autour de moi, songeant à me placer près d'une sortie de secours. Oui, la paranoïa œuvrait sans pitié à ce moment.
Et puis... Et puis le discours de clôture commença à dissiper les craintes. La directrice fit part de son émotion, annonça un film prêt à « faire du bien », à rassurer les esprits tourmentés. Pendant ce discours, toute l'équipe du Forum était là, à gauche en bas des rangées. Je me souviens des regards des employés qui parcouraient la salle, regards dans lesquels pointaient l'éreintement – malgré les événements, ils n'avaient pas cessé leur travail pour maintenir le festival – comme l'apaisement – toute la tension accumulée paraissait s'évader de leurs corps.
Cette attitude contamina dès lors toute la salle entière. Les lumières s'éteignirent et les nombreux spectateurs s'élancèrent dans les images et les sons. Au fur et à mesure de la projection, l'atmosphère se chargeait d'une émotion planante ; tandis que, depuis les rangées du haut jusqu'à celles du bas, s'écoulait la lourde anxiété des derniers jours. Quant à cette torpeur qui nous avait tous paralysés, elle flottait là, au plafond, abandonnée dans la poussière de la projection. Au milieu du film, je détournais mon regard de l'écran et je contemplais cette salle attentive, au souffle enfin soulagé ; cette vision, je m'en souviens plus que le film lui-même.
Après la projection, nous sortîmes dans un doux silence, papillons dans les yeux, sourires osés sur les lèvres. Certains évoquaient la brillance épurée de l'image et de ses cerisiers si pâles. L'image cinématographique avait chassé l'image médiatique, traumatique, de la semaine passée.
Mais un second temps de réconfort nous attendait devant la salle des collections.
Fidèle à ses principes, l'équipe avait préparé une dégustation, accompagnée d'un léger thé vert, des pâtisseries entrevues dans le film. Alors que chacun attendait son dorayaki comme un écolier, les langues conversèrent dans la chaleur attentionnée.
Il y a à peine plus d'une semaine, Jean-Yves de Lépinay publiait un nouveau texte sur le rôle du Forum des Images, et y écrivait ces mots : « Ainsi rassemblées, mises en relation, les images sont des supports au débat public, comme aux bouleversements intimes. ». Cela, le Forum des Images, ses films et son équipe, me l'ont rappelé, en ce ténébreux dimanche de novembre où je me sentais envahie par la détresse. Cette véritable expérience de cinéma, qui ne s'en tient pas à mettre en parenthèses un quotidien vers lequel nous retournerions inchangés, permet au contraire de partir à la rencontre de soi comme des autres. En somme, de se (re)construire dans une sincère altérité.
Tel est mon témoignage sur le Forum des Images et sur l'une de ses projections, dominée par le goût des dorayaki. J'estime qu'il sait traduire la profonde nécessité de cet espace, capable d'élever, par sa programmation comme ses activités, notre regard comme notre esprit. Parce que nous sommes dans le contexte d'une société actuellement très agitée, ce rôle ne doit pas s'effacer au profit d'un autre, il doit au contraire perdurer.