Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis
Goggles
GOGGLES – Tetsuya Toyoda
Un manga publié aux éditions Latitudes, 2012
Sorti il y a deux ans dans nos librairies françaises, le manga de Tetsuya Toyoda offre des nouvelles dont la limpidité fond sous les yeux et ravive la douceur de la lecture. Claires et aérées, ses pages se parcourent avec légèreté, simplicité, immédiateté.
Les récits sont tour à tour doux ou amers, ou les deux à la fois. Ainsi, « Goggles » ou « Mr Bojangles » émeuvent tandis que « Slider » et « Nouvelles acquisitions à la bouquinerie Tsukinoya » tiennent plus de la plaisanterie comique. Tetsuya Toyoda manipule merveilleusement les tons, abritant derrière la quotidienneté rurale et maritime des petits accents d'excentricité, de fantastique ou de poésie.
La nouvelle qui donne son titre au manga se trouve à mi-chemin de la lecture. « Goggles » est probablement le meilleur petit récit dans ces nouvelles, dépeignant avec délicatesse l'arrivée d'une petite fille étrange dans une colocation. Muette depuis le décès de son grand-père, elle va peu à peu révéler son visage auprès d'un jeune chômeur, par le biais de minuscules actions de la vie quotidienne. Étendre le linge, se balader dans une rue, s'absenter, dormir. Le silence de l'une crée l'écoute de l'autre.
« Aller voir la mer », lié secrètement avec « Goggles », bouleverse tout autant. Récit très imagé, il contient cette même sensibilité dans le découpage, fait de courts aperçus de la relation entre le grand-père et sa petite fille. Le cadre se fait déjà souvenir des meilleurs instants, pose la légèreté presque évanescente de l'écume éclaboussée entre les deux êtres.
La particularité de ces nouvelles est qu'elles demeurent inachevées. Telles les pages déchirées d'un carnet et abandonnées sur un coin de plage, elles laissent entrevoir un bout d'histoire, le récif d'une rencontre ou la coquille d'une anecdote. Tetsuya Toyoda s'en tient à la légèreté de ses pages et de sa plume, laissant au vent de l'imagination ce qu'il adviendra de la petite fille à lunettes, de Mr. Bojangles ou des livres perdus sur l'autoroute. Un goût de Tonkatsu se pose sur les lèvres, une vague nous éclabousse, un petit vieux nous regarde... Tous ces petits indices disséminés entre les récits offrent au lecteur de quoi se nicher dans son émotion.