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City of Life and Death

Nanjing ! Nanjing ! 

CITY OF LIFE AND DEATH (2010) – Chuan Lu

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A la fois film de guerre et reconstitution historique, City of life and death, grosse production chinoise, évoque le massacre de la ville de Nankin par les soldats japonais en 1938. Sorti sur Nancy seulement à la fin du mois d'août (alors que sa sortie nationale était le 20 juillet, même jour que l'Inception de Christopher Nolan - encore un exemple de la distribution problématique des films asiatiques en France), City of life and death reste un film impressionnant, tant par la violence du sujet que par sa réalisation. Chaque scène est visuellement impressionnante et imprime un sentiment d'horreur sans avoir recours à la surenchère.  

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Le film débute sur les plans d'une série de cartes postales de l'époque, représentant différents quartiers de la ville, pas encore soumis à la violence et l'anarchie qui vont l'envahir. Sur ces cartes postales s'inscrivent les grandes lignes du contexte historique. Dès le départ, le ton du film est donnée : entre la reconstitution historique fidèle et cohérente, suivant les différentes étapes qui ont mené progressivement à un massacre matériel, physique et psychologique massif ; et la "petite histoire", où le film saisit des fragments de l'intimité de différentes figures, qu'elles soient chinoises, japonaises, américaines, ou allemandes. Le scénario brasse brillamment ces deux options, à la fois reconstitution et film de fiction, description objective des événements et récits subjectifs à travers les yeux des personnages, visée globale et ressenti personnel. ceci permet en outre d'établir un équilibre entre les deux camps, un peu comme Clint Eastwood l'avait effectué avec son dyptique Flags of our fathers/Letters from Iwo Jima. Il règne par ailleurs dans le film une volonté de pacifisme et d'espoir finals tout à fait honorables.

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Ce qui impressionne le plus dans cette grosse production, c'est la qualité de sa photographie. Une image en noir et blanc, traitée à la manière des documents d'archive, à la fois terriblement belle, mais accentuant les effets de crasse ou de fumée, donnant aux corps un grain de peau plus pâle, une tournure torturée aux visages, une intensité au regard peu à peu vidé de toute vie des habitants. Cette photographie, ainsi que le travail sur la lumière, les effets de fumée, les décors en ruines, donnent au film son aspect fantomatique, à la ville de Nankin son surnom de "city of life and death", lieu de vie et de mort, où se frottent les habitants effrayés aux cadavres, les soldats à leurs victimes. Certaines scènes magistrales représentent bien ce contraste saisissant qui finit par créer l'identité de cet unique décor, sorte de place de tragédie antique. Au début du film, dans l'église de Nankin, les soldats tombent par exemple sur une énorme foule de Chinois réfugiés dans le lieu religieux. Lorsqu'ils pénètrent au centre du lieu saint, leurs casques crasseux vissés sur la tête et leurs mitraillettes le long du corps, les habitants s'écartent dans un même mouvement circulaire, muets, comme s 'ils s'éloignaient de la Peste, ou plutôt de l'aura de mort qui définit les ennemis japonais. Et dès qu'un soldat tire, dans l'intention d'effrayer la populace tremblante, dans la porte entrebâillée du confessionnal, c'est tout un groupe de jeûnes filles cachées derrière qui s'effondre. 

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Kadokawa, le jeune soldat Japonais dont nous suivons l'évolution du début à la fin, va tour à tour, être ébranlé par cette violence qu'il ne désirait pas, puis peu à peu habitué à elle. Il s'use à la mort, la mort finit par le rendre impassible, par totalement l'envahir, par l'aliéner. Les cadavres s'alignent le long des rues, accrochés, trainés, délaissés. Le plan le plus représentatif, car très bien filmé, de ce massacre, est celui de ce général vu de dos, envahi par une brume épaisse, qui s'avançant le haut d'une colline, laisse découvrir, au-dessus de son épaule, dans le mouvement de travelling ascendant de la caméra, un champ immense de corps de soldats chinois exécutés, empilés les uns sur l'autre, comme s'emboîtant pour former une immense mosaïque morbide. Pas de mutilation dans ce film, peu de sang ou de membres arrachés, pas de boucherie comme dans Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg. De manière surprenante, en utilisant intelligemment les moyens mis à sa disposition, City of Life and death frappe grâce à la composition de ses plans, aux influences quasi-picturales. On reconnaît dans ces décors des tableaux de ruines, tels ceux d'Hubert Robert, créant cette sensation fantomatique oppressante.

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Le fantôme, voilà bien ce qui règne dans cet immense chantier apocalyptique : un lieu de morts-vivants, où les habitants et les soldats perdent peu à peu toutes leurs ressources, toutes leurs valeurs, tout sens moral, toute consistance humain. Le jeune soldat japonais dont on suit le trajet perd foi en son pays et en l'humain. La prostituée qu'il rencontre le maintient encore quelque temps dans une forme d'espoir et de renaissance. Mais dès sa disparition, il tombe dans un état de non-mort, en parfaite résonance avec la dégradation des femmes de la zone « internationale » de la ville de Nankin, zone placée sous le contrôle du ressortissant nazi John Rabe, qui peine cependant à en assurer la protection. Le rôle de ces femmes est extrêmement fort, et elles sont toujours présentées par le film comme porteuses d'une certaine humanité. Melle Jiang, en particulier, interprétée par Yuanyuan Gao (la jeune actrice de l'excellent Shanghai Dreams de Wang Xiaoshuai), est un personnage très complexe, se pliant aux règles mais tentant de conserver sa dignité de femme jusqu'au bout, jusqu'à cette requête finale qu'elle adresse en anglais au soldat japonais Kadokawa. Le film réussit à dresser de multiples portraits de femmes, chacune au destin tragique (notamment par le biais de scènes de viol extrêmement éprouvantes), mais toutes cernées avec un regard admiratif. 

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Le film s'appuie en outre sur un symbolisme important, notamment sur les évocations apocalyptiques. Huis-clos terrifiant, la présence de la neige et les décors en ruine semblent figer éternellement la souffrance. dans les rues s'étalent les corps sans vie, les cadavres vidés de vie, les soldats trébuchants et blessés, les femmes folles, images du martyre. Les nombreux fondus au noir qui assurent la transition après les scènes dures (telle, celle, terrifiante car suggérée, de la petite fillette jetée par la fenêtre) représentent cet évanescence des morts qui se multiplient et le saleurs des âmes. La présence du feu et des cendres dans les plans d'extérieurs agissent comme l'incarnation des âmes en peine et de la souffrance qui se consume. L'ensemble repose sur peu de mots et reste accroché à cette violence âpre et sans complaisance, présentant la réalité avec finesse et franchise. Le film se divise en deux parties : d'une part, la capitulations des derniers soldats chinois ; et d'autre part, la dégradation physique et psychologique des femmes face au règne anarchique des soldats japonais. Si la seconde partie est la plus éprouvante car elle cerne de front l'humiliation des corps féminins au travers des scènes de viol ; la première partie, plus dans le registre du film de guerre, échappe à la violence facile. Le film suit le point de vue d'une poignée de soldats chinois, qui, par l'intensité de leurs regards et leurs gestes, se passent de la langue pour tout exprimer sur le sentiment de la défaite. Lors des scènes de bataille ou d'exécutions, la caméra ne montre jamais les corps qui tombent, amis uniquement les mitraillettes qui tirent, comme voulant laisser à ces hommes l'intimité de leur mort humiliante tout en dénonçant la brutalité qui les abat. Un des soldats principaux est par ailleurs l'immense acteur chinois Lui Ye, dont le rôle est peu présent mais exprime une intensité dramatique remarquable. 

Si City of Life and Death relève de cette violence éprouvante mettant en valeur la monstruosité de l'être humain, il y règne un fort désir et d'humanité, d'abord à travers le personnage de Lui Ye, ensuite la dignité des femmes chinoises, et enfin le geste final du Japonais Kadokawa. A la fin subsiste la vie, brisée pour ce soldat, mais miraculeuse et pleine d'espoir pour l'enfant et l'homme qu'il a sauvés. 

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