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  • Le Jardin des mots

    La Goutte de trop

    LE JARDIN DES MOTS – KOTONOHA NO NIWA – Makoto Shinkai

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    Dernière création de Makoto Shinkai, ce moyen-métrage réunit à la fois toute la splendeur du style Shinkai, mais également ses limites et son principal défaut. L'histoire d'amour romantique que nous conte le cinéaste se révèle empreinte de pudeur et de finesse... jusqu'à un final pour le moins décevant. Chez ce cinéaste romantique, la frontière entre sensibilité fragile et exacerbation sentimentale se fait toujours sentir, bâtissant une œuvre inégale, aboutie graphiquement, mais encore maladroite au niveau dramatique.

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    Le Jardin des mots, en dépit de son titre quelque peu trompeur, s'empare bien plus du motif de la pluie plutôt que de celui du jardin – où se rejoignent les deux amis. La pluie scande en effet l'évolution du récit, passant du mois de juin, humide et arrosé, à celui caniculaire, et ainsi aride au niveau du sentiment amoureux, d'août. Dans cette histoire, le romantisme de Shinkai prend tout son envol, cernant l'approche progressive, l'attirance mutuelle qui grandit, le tout enveloppé dans une certaine pudeur propre au cinéaste. Dans une séquence en particulier, la sensibilité de Shinkai s'épanouit dans la retranscription, par le biais du montage, du mouvement dans l'image et du son, de la montée du désir. Au bout des dix premières minutes apparaît ainsi ce passage mémorable où le rythme s'accélère sur le mois de juin, saisissant le désir progressif du jeune adolescent, parallèlement à son quotidien. Le temps s'accélère car porté par une attente et une émotion, les gestes d'impatience se reportent ensuite sur le mouvement de la ville, des transports, des oiseaux dans le ciel, de la pluie qui tombe. Toute cette séquence, probablement la plus vibrante du film, compose un mouvement amplifiant le sentiment intérieur, l'incarnant dans des motifs extérieurs, un peu à la manière de David Lean dans ses épopées romantiques. Par ailleurs, le rôle du train dans Brève Rencontre se révèle parfois similaire à celui du tramway dans Le Jardin des mots, ces deux transports en commun scandant métaphoriquement les étapes de la romance.

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    Sur la seconde partie du film, le film perd de son intérêt, parallèlement à la perte du romantisme. Le portrait que dresse Shinkai du monde lycéen, brusquement mis sur le devant, se révèle très stéréotypé et attendu, maladroit, tout en nous projetant dans une réalité amère, celle où le romantisme auparavant déployé ne peut pas exister. L'exquise photographie et lumière des rencontres sous la pluie s'estompe, laissant place à un univers froid et plat. Si cette deuxième partie du récit déçoit, le plus décourageant, comme une goutte de trop dans ce film très pluvieux, demeure le final, qui, sans le dévoiler, tombe dans une surenchère émotionnelle inutile. Peut-être manquerait-il chez Shinkai une pointe d'érotisme ou de sensualité. Le motif du pied et du fétichisme que lui porte le jeune étudiant dans ce film dessinaient une thématique nouvelle dans l'oeuvre de Shinkai, composant un imaginaire sensuel autrement troublant que la sensibilité pudique du cinéaste. Cet imaginaire apparaissait par touches tendres, au détour de plusieurs plans – un pied délicatement mesuré, une chemise délicatement entrouverte, une respiration plus trouble de la part des personnages – et serait probablement le moyen pour Shinkai d'évoluer. Si Le Jardin des Mots atteint en effet une impressionnante maturité visuelle, le film présente encore une vision balbutiante et naïve dans son propos.

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  • Koji Yamamura

    RETROSPECTIVE KOJI YAMAMURA

    Le 6 décembre 2013 au Forum des Images

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    Invité d'honneur au Carrefour de l'Animation du Forum des Images (du 5 au 10 décembre 2013), Koji Yamamura y a présenté une œuvre à la fois expérimentale et pleine de sensibilité. Sa filmographie est composée par de nombreux courts-métrages – les plus connus constituent l'ensemble de La Boîte à Malice, souvent projeté pour le jeune public – mais également de nombreuses œuvres de commande pour des festivals ou pour la télévision. Fait rarissime, ces derniers furent projetés en deuxième partie, constituant un pan souvent méconnu de la réalité de la réalisation, mais apportant tout autant son lot de surprises. En outre, autre phénomène rare, et extrêmement appréciable, Koji Yamamura, présent du début à la fin de la projection, s'est révélé un précieux pédagogue, présentant consciencieusement son travail, et attendant même patiemment les questions et réactions des spectateurs à la sortie de la salle, accompagné par le grand spécialiste Ilen Ngûyen.

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    Le Vieux Crocodile

     

    Yamamura présente, à travers ces courts-métrages, une capacité à se saisir de styles et de textures diverses, expérimentant graphiquement, mêlant le trait crayonné aux encrages. Le Vieux crocodile (Toshi wo totta wani, 2005) se révélait une exception dans ce qui été projeté, car il s'agissait bien plus d'une ré-appropriation du style de Léopold Chauveau, auteur-illustrateur français du début du XXème siècle. Autrement, l'oeuvre de Yamamura présente néanmoins, parmi sa diversité, une certaine singularité d'une part dans le traitement de la déformation et du mouvement métamorphique, d'autre part dans son travail sonore d'une véritable richesse.

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    Le Mont Chef

     

    Déformations, en effet, ou plutôt changements d'un état à un autre, semblent scander les propositions graphiques et narratives de Yamamura. Dès Le Mont Chef (Atama Yama, 2002), une réalisation qui lui valut d'être remarqué en Europe, le cinéaste appuie des basculements constants entre la banalité et l'extraordinaire, entre le microcosme et le macrocosme, entre l'humour noir et le poétique. Son animation « vacille », se révèle prise dans des soubresauts graphiques, à l'image de l'existence de ce personnage qui voit pousser sur son crâne un cerisier. Ces mêmes basculements se retrouvent dans les courtes esquisses expérimentales de A Child's metaphysics (Kodomo no Keijijôgaku, 2007), ensemble noir qui part des rondeurs mignonnes d'enfants pour mieux les écarteler, les briser, les casser en formes géométriques. Ce même effet se retrouve d'ailleurs dans le générique – lui aussi projeté – que Yamamura a composé pour une émission de Takeshi Kitano, où les traits du visage calme représentant le cinéaste japonais sont subrepticement tiraillés dans tous les sens (idée qui rend d'ailleurs extrêmement bien compte du style artistique de Kitano, pris sans cesse entre la rigidité impassible et la violence explosive).

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    A Child' Metaphysics

     

    En outre, il est honorable de souligner l'étonnant travail sonore qui apparaît dans ces films, témoignant d'un véritable laboratoire de bruitages, de chants et de voix. Yamamura fait appel dans Le Mont Chef à des conteurs de rakugo, créant ainsi des décalages étonnants par rapport au comportement quelque peu vulgaire du personnage. Ce choix se retrouve dans l'adaptation d'une nouvelle de Kafka, qui a recours à des choeurs à la fois d'hommes et d'enfants, cette fois-ci dans une optique plus atmosphérique. En outre, les personnages, chez Yamamura, s'expriment toujours de manière indirecte, par le biais d'une voix narrateur, d'un texte conté, ou encore par des doublages toujours décalés, sans souci de réalisme. Il ne règne pas l'attention portée à un accent dynamique ou compréhensible tel qu'on peut le trouver dans l'animation industrielle en général, mais bien plus un empâtement dans les voix, un surjeu exagéré de manière à créer des effets de distance, d'humour et de décalages étonnants.

    Déformations et décalages composent ainsi l'oeuvre de Koji Yamamura. Ses deux beaux films, à la fois emblématiques de son style mais témoignant le plus le talent, restent son adaptation du texte de Frank Kafka, Un Médecin de campagne, et sa réalisation sur la vie de Muybridge, coproduite par l'Office Nationale du Film.

    Un Médecin de campagne (Kafuka inaka isha, 2007)

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    Très belle proposition, Un Médecin de campagne fait l'une des plus belles retranscriptions graphique et sonore du style de Kafka. Les effets anamorphiques des corps et des visages, alliés au travail atmosphérique rendent en effet compte de son écriture torturée. La prosodie tortueuse de l'écrivain allemand se retrouve ainsi incarnée dans le chemin tortueux parcouru par l'animation, faite d'angles étranges, de changements brusques de perspectives, d'angles brisés, cassés, de silhouettes anguleuses et onduleuses. Chaque sentiment intérieur du médecin, bien souvent celui de l'angoisse et de l'incompréhension, devient une composition métamorphique à l'écran, l'animation permettant de donner aux corps représentés ce que l'imagination travaille dans les esprits. Sans cesse, le film donne l'impression de contempler cette histoire au travers d'un globe de verre, et le récit devient peu à peu surréaliste, composant une étrangeté étonnante et très impressionnante.

    Les Cordes de Muybridge (2011)

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    Expérience sensorielle plutôt qu'un documentaire conventionnel, Les Cordes de Muybridge est une variation sur l'inventeur de la décomposition du mouvement. Les voix sont peu présentes dans ce court-métrage, tandis qu'un travail de bruitage et un thème musical dominé par le piano scandent les différentes histoires contées. Des temporalités se lient, des figures se rejoignent, des expériences animées se confrontent, créant une rythmique très particulière. Le motif du mouvement de décomposition du cheval vient constituer le liant visuel et sonore – le son rendant compte du bruit des obturateurs des appareils photographiques placés par Muybridge pour son expérience – de cet ensemble dissonant. Les Cordes de Muybridge s'apprécie ainsi comme une partition graphique, dont les mouvements se révèlent aussi vibrants que les émotions qu'ils procurent.

    Le site personnel du studio Yamamura Animation : http://www.yamamura-animation.jp/index.html